juin
03
2015

Adisco sème l’espoir sur les collines du Burundi

L'organisation Adisco a reçu aujourd'hui le  Prix Roi Baudoin pour le Développement. Le 26 mai dernier, Colette Braeckman du journal Le Soir dressait le portrait de cette coopérative. 

 

Pour vivre heureux, vivons caché… Loin de la route de Cibitoke, sur sa colline de Butaramuka, François Minani se fait discret. Là haut, vers le village, il y a des meetings, on discute, on observe. Lui, il se contente, tranquillement, d’écouter la BBC sur son transistor suspendu à un arbre devant la maison. Et pour le reste, il surveille sa parcelle, il taille, il coupe, il cueille. C’est que les saisons se succèdent vite, il y a toujours quelque chose à planter et surtout une récolte à faire…Qui dit que le Burundi est pauvre ? Bien soignée, la terre ici est une bénédiction. François, tenant compte de l’exiguïté de sa parcelle, a multiplié les cultures : ce mois ci, les arbres fruitiers croulent sous le poids des mandarines, les avocats arrivent à maturité, les manguiers sont magnifiques. Sous les ombrages, François nous montre le maïs, les courgettes qu’il s’apprête à cueillir, les colocases, les amarantes, le manioc qui se dresse fièrement. Devant chaque maison, des haricots, rassemblés en bouquets sèchent au soleil. Ceux-ci sont les plus beaux de tous : de longues tiges brunes, sous lesquelles glissent les grains ronds et fermes, parmi lesquels François choisira les semences de l’année prochaine. « La vente de mes seules mandarines me rapporte 300.000 francs burundais » explique le vieux paysan, « de quoi payer les frais scolaires de mes enfants.. »Avec un bémol cependant : « cette année à cause des troubles à Bujumbura les camions ne sont pas venus chercher nos fruits et j’ai peur de ne rien gagner. Mon fils a du rentrer à la maison, il va peut-être rater son année car l’université a fermé et les étudiants ont été renvoyés chez eux… » Tout cela n’entame cependant pas l’optimisme du vieux paysan : « nous nous sommes organisés à une échelle tellement modeste, en ne comptant que sur nous-mêmes, que nous nous sentons forts… »
C’est en 2010 que l’aventure a commencé. Ces collines éloignées, où la guerre a fait rage dans les années 90, n’on jamais eu l’honneur d’une visite du gouverneur de province, et l’agronome de l’Etat n’a jamais abîmé ses souliers sur les chemins boueux. Un jour, raconte François, les animateurs d’Adisco (appui au développement intégral et à la solidarité sur les collines) sont venus nous proposer de créer notre propre coopérative, en versant chacun 10.000 francs burundais (6 euros). Si certains sont restés sceptiques, 523 paysans ont adhéré. Le message d’Adisco, qui nous a envoyé un animateur de proximité, était clair : « ne comptez que sur vos propres forces, le sol est bon, perdez l’habitude de tendre la main, vous pouvez avancer… » François poursuit « nous avons alors créé des IGG, groupes d’auto promotion et sur le modèle des tontines en Afrique de l’Ouest, nous nous sommes organisés par groupes de dix personnes, mettant en commun nos apports financiers pour réaliser à tour de rôle des projets individuels. L’un voulait améliorer ses capacités de stockage, l’autre acheter les intrants, tous souhaitaient se regrouper pour vendre à un meilleur prix.
Au Burundi, les banques commerciales ignorent les paysans, elles refusent de leur prêter de l’argent, considérant que les terres, les modestes maisons ne représentent pas des gages suffisants. Adisco s’est alors proposé de jouer les intermédiaires auprès de la Banque nationale de développement économique et des prêts ont pu être obtenus, au taux encore très élevé de 19%.
François, un homme patient et minutieux, est devenu « multiplicateur de semences ». Formé par Libère, qui se présente comme un « inspecteur de sécurité » il produit désormais ses propres semences : maïs, riz, sorgho. Sélectionnées par l’Isabu (l’institut de recherche agricole du Burundi), ces semences de qualité supérieure sont amenées à la coopérative par Adisco et sur chaque récolte, François sélectionne et prélève les meilleures graines pour la saison prochaine. « Nous avons nos pépinières, nous savons comment bien orienter nos tuteurs, comment tailler les billons perpendiculairement à la pente pour empêcher les érosions ; nos récoltes ont augmenté » dit François tandis que Libère souligne : « ces semences paysannes sont certifiées bio, de qualité supérieure et les paysans pourront les commercialiser eux-mêmes, plus besoin de recourir aux OGM… »
Sur la colline de Rugeja aussi les femmes ont décidé de se rassembler par groupes de dix, les « Serukabakenyezi » (de « seruka », qui veut dire « bougez, sortez de chez vous… »Auparavant, dit Jocelyne «on vivait chacun pour soi. On s’observait, on se jalousait. Un jour une animatrice nous a proposé de nous mettre ensemble, de créer des tontines : chacune apporte sa contribution et une fois par semaine, nous nous réunissons pour décider comment faire fonctionner le dispositif d’entr ‘aide : à tour de rôle, par exemple, les femmes ont pu s’acheter une chèvre…A la longue, comme l’argent augmentait, on a pu louer un champ, cultiver du riz, planter des bananiers. Depuis cinq ans, beaucoup de femmes nous ont rejoint. Nous comptons désormais 80 groupes de dix femmes, qui se réunissent chaque semaine, ont appris à travailler ensemble, à se soutenir en cas de problèmes… Nous avons acquis une force que nous ne soupçonnions pas… »
Comme François, Jocelyne se montre sceptique face à l’aide internationale : « auparavant on croyait que le PAM (Programme alimentaire mondial) allait nous sauver et nous attendions les distributions de vivres. Mais nous avons compris que nous devions d’abord compter sur nos propres forces, sur nos capacités. Après tout, nous ne sommes pauvres, nous avons une bonne terre, de l’énergie à revendre, c’est de nous que le développement doit partir… »
C’est ainsi qu’en se regroupant, les femmes ont pu, via la coopérative, vendre leur café à l’usine en obtenant un meilleur prix, qu’elles ont amélioré leurs pratiques culturales et les capacités de stockage « on ne gaspille plus, on utilise la fumure, on apprend à acheter les engrais au bon moment, à les utiliser à bon escient… » Les voisines de Jocelyne approuvent « même le regard des hommes sur nous a changé, ils nous respectent davantage puisque nous gagnons de l’argent… »
Ces modestes succès n’empêchent pas les problèmes de demeurer nombreux : dans cette région qui connut la guerre, de nombreux démobilisés sans travail viennent de Kayanza ou de Ngozi, des régions surpeuplées pour voler les récoltes, piller les champs… En outre, il faut intégrer les rapatriés de Tanzanie qui ont quitté le pays dans les années 70. Ils revendiquent les terres qu’ils possédaient autrefois et qui sont aujourd’hui occupées par d’autres, et les arrangements sont difficiles.
Bébé au sein, enfant sur le dos, les voisines de Jocelyne font le compte des bouches à nourrir : l’une a eu douze enfants, l’autre dix. « Un seul repas », dit Aimée, « cela fait trois kilos de riz, deux kilos de haricots, sans oublier les amarantes, l’huile, le sel…Il est de plus en plus difficile de faire deux repas par jour et il nous arrive d’envoyer les enfants chez les voisins en leur suggérant « va voir s’il leur reste quelque chose à manger… »
Peu à peu, assure Jocelyne « les femmes vont comprendre que si elles veulent nourrir leur famille, envoyer les enfants à l’école il leur faudra veiller à avoir moins d’enfants ; les mentalités vont deoir évoluer mais cela doit partir de la base…Aujourd’hui déjà, les familles ont moins d’un hectare à cultiver…
A Ruziba Nyamakarabo, où le café est trié en plein air, graine par graine, les membres de la coopérative ont la fierté de ceux qui ont remporté une bataille. Les entrepôts sont pleins à craquer, les sacs gonflés de graines s’empilent jusqu’au plafond, bientôt des camions viendront emporter la récolte et la coopérative distribuera les bénéfices. La bataille s’est déroule voici quelques années lorsque sous pression de la Banque mondiale le gouvernement du Burundi fut obligé de privatiser la filière café et d’en confier la commercialisation à la multinationale suisse Webcor. Adisco, soutenue par de nombreuses ONG internationales, s’est opposée à cette dépossession des paysans . Aujourd’hui, assure Pascal Bigirimana, président de la coopérative, nous vendons directement notre café aux acheteurs, sans intermédiaires, et notre production étant certifiée « Fair trade », commerce équitable, nous en obtenons un bon prix…Un cultivateur moyen peut gagner, pour une seule récolte, de 500 à 800.000 francs burundais… Ce qui nous permet de payer les frais scolaires, d’adhérer aux mutuelles de santé…
Mais surtout les membres de la coopérative affichent une fierté inspirée par une raison immatérielle : « nous nous sentons libres. Ici, c’est a base qui décide, ce n’est pas comme dans e pays voisin, où l’Etat dit aux paysans ce qu’il doivent faire, pour leur bien… Ici, nous avons appris à discuter, à défendre nos intérêts… »
C’est cela aussi le miracle burundais, construit au cours des quinze dernières années, à la faveur de la paix politique qui avait été garantie par des accords équilibrés : la population, jusqu’à la plus lointaine colline, a appris à se prendre en charge, à réfléchir…C’est pour cela aussi que ceux qui voudraient balayer de tels acquis et instaurer un régime fort, incarné par un parti quasi unique rencontrent une aussi large résistance …

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