juin
10
2015

Deogratias Niyonkuru (ADISCO): L’homme qui répare les collines

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Photo : Frank Toussaint

Nous connaissions en RDC le Docteur Denis Mukwege, surnommé « L’homme qui répare les femmes », désormais nous devrons apprendre à connaitre au Burundi Déogratias Niyonkuru, « l’homme qui répare les collines ». Car c’est bien là une des principales missions d’une personnalité hors du commun, comme seuls les Grands Lacs africains sont en mesure d’offrir à leurs peuples souvent en proie à la violence et à la pauvreté.

Après une vingtaine d’années passées en Afrique à travailler dans des projets de développement, Déogratias Niyonkuru décide de rentrer au pays, la tête pleine d’idées et une conviction : « puiser mon inspiration dans les très nombreuses erreurs que j’ai commises au cours de ma carrière et émanciper les burundais des effets pervers des programmes de développement ».

En 2006, il fonde avec d’autres cadres burundais ADISCO (Appui au Développement intégral et à la Solidarité sur les Collines), dont le but est de mobiliser les ressources des paysans et paysannes burundais pour accroître leur autonomie et construire avec eux des modèles économiques viables.

« Quand nous sommes arrivés le pays sortait péniblement d’une longue guerre civile et le terrain du développement était occupé par des agences d’aide humanitaire qui distribuaient pratiquement tout à la population, y compris les vaches et les semences », se souvient Niyonkuru. « La population allait perdre toutes ses chances de se développer en s’habituant à la gratuité ».

Pour convaincre les paysans à adhérer à leur projet, « nous avons misé sur les ‘ferments’, à savoir des hommes et des femmes représentatifs de leur communauté avec lesquels nous avons mis en place des ‘groupes d'autopromotion et de solidarité’ (des IGG en kirundi, ndr) sur le modèle des tontines ouest-africaines, qu’il fallait adapter au contexte burundais ».

En un peu moins de dix ans, ADISCO a lancé plus de 2.000 IGG sur les collines burundaises dans lesquels se sont engagées 18.000 familles. Au total, ce sont 100.000 personnes qui ont pu bénéficier des nombreux projets soutenus par l’ASBL, dont ceux liés à trois enjeux majeurs : l’accès au crédit et aux semences, et la résolution des conflits fonciers, « véritable serpent de mer au Burundi ».

Le 3 juin, à Bruxelles, Déogratias Niyonkuru a reçu des mains du Roi Philippe le prix de la Fondation Roi Baudouin pour le développement en Afrique 2014-2015. La Fondation a voulu récompensé ADISCO « pour son action qui stimule l’esprit d’entreprise, la création de coopératives et de mutuelles de santé, afin de renforcer l’autonomie financière des individus et de changer durablement les conditions du vivre ensemble de la population burundaise. »

Dans ce grand entretien concédé à Infos Grands Lacs, Niyonkuru a fait part de ses sentiments « de joie et de fierté, mais aussi de grande responsabilité. Aujourd’hui nous sommes sous les projecteurs de la presse internationale. Pour toute personne qui sait combien il est difficile de faire du développement, il y a le risque que d’être imité de façon mécanique. Et cela est dangereux ».

L’autre risque concerne évidemment la crise politique et les violences qui sévissent dans le pays depuis plus d’un mois. « Contrairement à Bujumbura, la crise ne s’est pas véritablement installée dans le milieu rural ; ceci dit, certains effets commencent à se faire sentir, comme le coût de la vie qui est en train d’augmenter ». Et même si « les paysans continuent à travailler, la peur est généralisée ».  

Une peur qui a contraint 100.000 à fuir dans les pays limitrophes, dont « des personnes dotés d’expertises précieuses pour le Burundi ».

Interview réalisée par Joshua Massarenti pour Infos Grands Lacs à Bruxelles au cours des Journées européennes du développement, et en collaboration avec VITA/Afronline (Italie)

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00:21:00

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