déc
28
2015

Grand entretien: le regard de Cécile Kyenge sur la région des Grands Lacs

Bruxelles - Crise politico-humanitaire et violation des droits fondamentaux au Burundi; référendum au Rwanda; tensions politiques en RDC. La député européenne d'origine congolaise, Cécile Kyenge, passe en revue l'actualité politique dans la région des Grands Lacs en plaçant au coeur de ce grand entretien concédé à IGL les droits de l'homme et la liberté d'expression, "en faveur desquels le Parlement européen, et tout particulièrement le Groupe des Socialistes et démocrates se sont toujours engagés". 

Alors qu'à Entebbe, en Ouganda, a débuté aujourd'hui le premier round de négociations entre les représentants du gouvernement burundais, de l'opposition et de la société civile, Cécile Kyenge affirme qu'il est nécessaire de « continuer à exercer une pression maximale sur le régime burundais. Pour cela, trois actions prioritaires doivent être menées : la première concerne l’envoie le plus rapidement possible de 5.000 soldats et policiers de l’UA dans le cadre d’une mission africaine de prévention et de protection au Burundi, la MAPROBU; en même temps il faut une reprise immédiate d'un dialogue national ouvert et transparent entre le gouvernement, les partis d'opposition et les représentants de la société civile ; enfin, l’UE doit geler toute aide non humanitaire au Burundi. Si ces trois conditions sont réunies, je pense que le régime finira par comprendre que l’on ne peut massacrer son peuple en toute impunité ». Mais quel rôle le Président Nkurunziza est amené à jouer ? Pour l'ex ministre de l'Intégration italienne, « Pierre Nkurunziza est le premier responsable de la catastrophe humanitaire et politique qui est en cours dans son pays. Tôt ou tard, il devra répondre des crimes qui ont été commis tous ces derniers mois en territoire burundais, aussi bien à Bujumbura que dans les différentes provinces du pays. S’il pense échapper à la justice internationale, il se trompe. Encore aujourd’hui, je ne comprends pas comment un leader politique qui invoque autant Dieu ait pu faire basculer son pays dans un tel cycle de violence ».

De l'autre coté de la Kagera, « la situation au Rwanda est beaucoup plus complexe de ce que l’on imagine », soutient Kyenge. Certes, « s’accrocher au pouvoir n’est jamais très bon pour un homme politique et pour le pays qu’il dirige. Dans le cas du Rwanda, la Constitution ne prévoyait que deux mandats présidentiels, mais les citoyens rwandais en ont décidé autrement. Contrairement au Burundi, un parcours juridique et politique a été fait dans ce pays, au cours duquel une initiative populaire demandant au Président sortant de se porter candidat une troisième fois a recueilli une adhésion impressionnante parmi les rwandais. Cette initiative a abouti à un référendum dont les résultats peuvent laisser perplexe, mais je ne pense que la majorité des rwandais se seraient prononcer contre la modification de la Constitution ». Selon la député européenne, « au regard du génocide de 1994, je pense qu’au fonds d’eux-meme les rwandais veulent avant toute chose que la paix et la sécurité soient préservées dans leurs pays. On ne s’imagine pas à quel point ce génocide à marquer à jamais le destin du Rwanda ».

Mais peut-on comparer la situation du Rwanda ou du Burundi avec celle qui prévaut actuellement RDC? Non, répond Cécile Kyenge, alors que l'attention des experts est focalisée sur la question des troisième mandats présidentielles. « En janvier 2015, le président Kabila s’était publiquement engagé à faire respecter le calendrier électoral et la Constitution, qui interdit sa candidature aux élections présidentielles pour briguer un troisième mandat. Le groupe des Socialistes et Démocrates européens et moi-même demandons à ce que ces engagements soient respectés. Par ailleurs, la Communauté internationale, y compris le Parlement européen se sont exprimés à maintes reprises sur la nécessité de soumettre un agenda électorale en ligne avec ce qui était prévu et de ne pas violer la Constitution ». Dans cette interview accordée à Infos Grands Lacs, Kyenge se dit « profondément inquiète sur la situation des droits de l’Homme et du respect des libertés fondamentales dans ce pays. Et je ne suis pas la seule. Dans un communiqué de presse conjoint daté du 12 février 2015, la rapporteure spéciale de l’UA sur la situation des défenseurs des droits de l’homme en Afrique, Reine Alapini-Gansou et le rapporteur spécial sur les prisons et conditions de détention en Afrique, le commissaire Med Kaggwa, avaient déjà fait part de leur grande préoccupation face à la détérioration de la situation des droits de l’homme en RDC à la suite des manifestations qui avaient eu lieu en janvier. Lors de la mission que le groupe des Socialistes et Démocrates européens avait effectuée en avril dernier en RDC, nous avions demandé au gouvernement congolais de mener une enquête crédible et transparente sur la découverte des corps retrouvés dans la fosse commune de Maluku, à proximité de Kinshasa. Cette demande a été réitérée par le Parlement européen à travers une résolution adoptée en juillet. Mais depuis, qu’est-ce qui a été fait ? Rien, ou presque. C’est triste à dire, et vous pouvez vous en imaginer les raisons, mais en RDC l’Etat de droit n’est pas respecté ».

La naissance du Front citoyen 2016 pourrait selon Kyenge changé la donne, mais « il est encore trop tôt pour se prononcer ». La création « d’un front aussi large témoigne d’une certaine souffrance du peuple congolais et des risques qu’encourent le pays si Kabila ne respecte pas ses engagements. Le Front citoyen 2016 démontre aussi que les congolais ont soif de démocratie, et je pense que la naissance d’une nouvelle entité en RDC est une bonne chose pour la démocratie congolaise et pour la liberté des droits fondamentaux qui doivent absolument être respectés. L'attitude des pouvoirs publics congolais, et notamment des forces de l’ordre congolaises, qui ont empêché la tenue d'un échange entre les supporters du TP Mazembe et leur Président, Moise Katumbi, à la veille du Mondial des clubs auquel a participé cette équipe, est la preuve que les droits fondamentaux ne sont pas pleinement respectés en RDC ».

Enfin, une dernière question taraude Cécile Kyenge: le Parc National de la Virunga. Malgré son statut de zone naturelle protégée, le parc est depuis des années menacé la présence de groupes armées qui pratiquent le braconnage, contribuant à la déforestation et à d’autres formes illégales d’exploitation de ses ressources. En décembre 2007, le gouvernement congolais avait autorisé des concessions pétrolières sur 85% de la superficie du parc. Aujourd’hui, la société britannique SOCO est la seule dotée d’un droit de prospection. Le Parlement européen a approuvé récemment une résolution qui condamne l’exploitation illégale des ressources naturelles du parc. « Nous avons invité le service de relations extérieures de l’Union Européenne à élaborer une réponse diplomatique coordonnée des États membres de l'Union et d'autres bailleurs de fonds potentiels actifs en RDC,  afin d'aider le gouvernement congolais à renoncer à l'exploration et à l'exploitation pétrolières dans le parc national des Virunga, à annuler les permis de prospection pétrolière portant sur des zones entrant dans le périmètre du parc national des Virunga, ainsi que le réclame le Comité du patrimoine mondial. Nous avons aussi rappelé qu'en vertu du droit international et européen dans le domaine des droits de l'homme, les États membres de l'UE sont tenus de veiller à ce que les activités des entreprises qui relèvent de leur ordre juridique ne donnent pas lieu et ne contribuent pas à des violations des droits de l'homme, en adoptant des mesures appropriées ».

Propos recueillis par Joshua Massarenti pour Infos Grands Lacs, en collaboration avec VITA/Afronline (Italie).