Grand entretien. Thierry Vircoulon : « La Monusco et les Nations Unies sont discréditées en RDC »
Bruxelles - Quelques centaines de mètres séparent le camp militaire de la Monusco à Erigenti, au nord de Beni, du lieu où 17 civils ont été massacrés par les rebelles ougandais de l’ADF sans que les casques bleus n’aient pu empecher cette énième tragédie qui s'est comnsommée dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC). Mais pour bon nombre de congolais, ce sont les quelques centaines de mètres de trop, ceux qui symbolisent à leurs yeux la faillite d’une mission, celle des Nations Unies en RDC, qui n’a pas été à la hauteur de la crise politique et sécuritaire qui sévit depuis bientôt 20 ans dans l’est du pays et qui aujourd’hui touche Lumumbashi.
Petit rappel des faits. Avec la résolution 1 279, le Conseil de sécurité de l’ONU établit le 30 novembre 1999 la Mission des Nations Unies (MONUC) avec le rôle de superviser l’application du cessez-le-feu de Lusaka. De 550 observateurs la mission, qui entre-temps changera de nom et d’objectifs comprend en 2016 plus 22 000 personnels en uniforme, ce qui en fait la mission de maintien de la paix la plus chère de l’histoire des Nations Unies. Qu’est-ce qui aujourd’hui justifie la présence en RDC d’une telle mission ?
Dans cet entretien accordé à IGL, Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri) fait part de ses « Réflexions sur 17 ans de présence de l’Onu en République démocratique du Congo », une note co-écrite avec Marc-André Lagrange et publiée par l’Ifri quelques jours avant le massacre d’Erigenti. Le constat est sans appel : « Après 17 ans, on se demande à quoi sert la Monusco aujourd’hui », soutient Vircoulon. « Ella n’a pas réussi à mettre en œuvre ce qui est son mandat principal depuis 17 ans, à savoir la protection des civils. Son incapacité à empêcher un groupe rebelle comme le M23 de prendre une des principales villes du pays, Goma, en novembre 2012, symbolise son impuissance ».
Certes, l’arrivée en 2013 de Marin Kobler à la tête de la Monusco et la création de la Brigade d’intervention de force (FIB) composée de troupes des trois pays de la SADC ont fait croire à un sursaut, mais rien y a fait. Au contraire, alors que « le choix de déplacer le siège central de la Monusco de Kinshasa à Goma semblait au départ judicieux, il s’est en réalité révélé contre-productif ». Les Nations-Unies n’avaient pas compris « qu’en faisant de la neutralité des groupes armés présents dans l’est du pays une priorité politique et sécuritaire de la Monusco, ils coupaient la leadership de la mission de ses interlocuteurs politiques restés à Kinshasa ». Vircoulon est par ailleurs convaincu que « la réponse aux problèmes des groupes armés se trouvent à 80% dans la capitale congolaise car depuis 20 ans ces groupes peuvent compter sur le soutien de Kinshasa ».
Pire. L'incapacité de la Monusco à mettre en œuvre son mandat, à savoir l’application du chapitre 7 qui prévoit le recours à la force, soit pour légitime défense, soit contre les gens qui menacent les populations civiles, lui a été fatale. « Ce qui est choquant et qui a complètement discrédité la Monusco aux yeux de la population congolaise et du gouvernement ce n’est pas son incapacité à prévenir les tueries contre les civils », assure le chercheur de l’Ifri, « mais plutôt qu’elle n’ait jamais réussi à réprimer les auteurs de ces tueries en laissant perdurer une impunité totale dans l’Est du Congo, alors que les criminels sont connus ».
Mais l’Onu n’est pas l’unique responsable des déboires que connait le pays. « La sécurité de la population congolaise doit être en premier lieu garantit par le gouvernement congolais, mais on sait très bien les liens qui subsistent entre les politiques congolais et les groupes armés. On ne peut pas compter sur les forces armées congolaises ». A cela s’ajoute « la responsabilité de certains pays de la région, contre lesquels aucune mesure n’a été prise jusqu’à présent ».
Résultat : aujourd’hui la Monusco est dans une impasse, aussi bien sur le plan sécuritaire qu'au niveau politique. « Après avoir contribué à une élection aussi frauduleuse que celle de 2011, l’ONU est en très mauvaise posture pour les prochaines élections », qui selon Vircoulon « ne se tiendront pas avant 2017 ». De ce fait, « l’Onu et la Monusco n’ont plus de capital politique en RDC, et ne jouent qu’un rôle marginal dans les discussions politiques congolaises ». Seul un sursaut du Conseil de sécurité des Nations Unies pourrait changer la donne. « Tant que le Conseil de sécurité ne mettra pas sur la table une solution pour prévenir la crise électorale par ailleurs en cours, les Nations Unies ne pourront qu’être perdants car personne dans l’opinion internationale aura du mal à croire qu’une force de 22.000 hommes soit incapable d’empêcher les violences si les choses tournent mal à Kinshasa et Lumumbashi ». Le cas de Moise Katumbi laisse présager le pire. Ironie du sort, « la Monusco est actuellement concentré dans l’est du pays, alors que la crise électorale se joue à Lumumbashi et Kinshasa. Encore une fois les casques bleus sont à côté du problème ».
Propos recueillis par Joshua Massarenti pour Infos Grands Lacs, en collaboration avec Afronline/VITA (Italie).