mai
09
2017

La CVR recommande une « mémoire collective » sur les blessures du passé sanglant

Le président de la Commission pour la vérité et la réconciliation au Burundi (CVR/Burundi), Jean-Louis Nahimana, recommande à ses compatriotes de « sortir des émotions » et d’évoluer plutôt vers une mémoire « collective » et « réconciliatrice » sur les blessures du passé sanglant.

M. Nahimana a ainsi plaidé au cours d’une interview accordée récemment à Xinhua, en marge des travaux d’une journée de réflexion organisée par la CVR sur la gestion des mémoires « blessées » à l’intention des acteurs burundais issus de « diverses sensibilités » sociopolitiques.

Au lendemain de l’accession à son indépendance recouvrée le 1er juillet 1962, le Burundi a connu au cours des cinq dernières décennies plusieurs crises cycliques « maquillées de sang », avec notamment comme années de repères 1965, 1969, 1972, 1988, 1991 et 1993.

« Là où le bât blesse, c’est qu’en effet jusqu’aujourd’hui, dans la commémoration de ces tragédies, nous assistons dans ce pays à une radicalisation des mémoires sélectives et concurrentielles aux dépens d’une mémoire collective réparatrice et réconciliatrice », a-t-il fait remarquer.

Ainsi, par exemple à chaque date du 29 avril, certaines familles hutues, se retrouvent pour pleurer les leurs massacrés le 29 avril 1972, quelques familles tutsies dont les leurs ont été massacrées à cette même date organisent des commémorations parallèles, ainsi qu’au sein des familles princières, qui s’organisent séparément pour pleurer elles aussi, à chaque 29 avril leur roi Charles Ndizeye disparu à cette date en 1972 dans la province de Gitega (centre).

« Face à ces commémorations célébrées séparément, avec le risque de s’enraciner, au fur des ans, dans une concurrence nocive au détriment du processus de réconciliation, la CVR veut plutôt encourager les Burundais à sortir des émotions et de privilégier des cadres de réflexion rationnels dans la gestion de leurs mémoires blessées dans un pays divisé comme le Burundi », a-t-il souligné.

La CVR, a-t-il poursuivi, est convaincu qu’un consensus qui sortirait d’une synergie active entre les membres de la classe politique burundaise, et consolidée par l’expertise de la communauté scientifique (universitaires), pourrait donner un coup d’accélérateur au processus de recherche de la vérité et de la réconciliation au Burundi.

Car, a-t-il insisté, pour parvenir à une confection d’une mémoire collective, réparatrice et réconciliatrice au Burundi, les Burundais doivent apporter un pied à l’édifice dans la mise en œuvre de la mission assignée à la CVR, en faisant en sorte que « le débat sur les crises cycliques, soit dépassionné ».

Pour M. Nahimana, l’un des gros défis à relever pour la CVR burundaise, c’est celle d’apprendre aux Burundais, de « savoir écouter » la souffrance des autres.

« Car, jusqu’à présent, au Burundi, nous sommes encore enfermés dans l’histoire des vainqueurs, à savoir celle qui veut écraser les faibles. Malheureusement, l’un des effets néfastes d’un tel état d’esprit, est que nous ne savons pas écouter la souffrance des autres. Parce que chaque communauté veut s’enfermer dans les catégories de son appartenance, et plus grave, nous observons aujourd’hui une certaine tendance à instrumentaliser ses propres souffrances, pour justifier les souffrances que l’on fait subir aux autres », a-t-il noté.

La CVR souhaite que les Burundais affrontent « sans faux fuyant » cette question de mémoires sélectives, apprennent à « forger leur regard sur des questions qui fâchent » et parviennent à « harmoniser leur vision sur le mal qui ronge leur pays ».

Certes, a-t-il laissé entendre, cet exercice, quoique complexe, est utile pour la réussite du processus burundais de réconciliation.

Sur une question de savoir la stratégie de la CVR pour harmoniser les regards des Burundais sur les douleurs endurées suite aux crises sanglantes du passé, M. Nahimana a déclaré que cette institution a opté pour une méthodologie très simple.

« Au lieu de partir des idéologies qui dominent le pays aujourd’hui, nous avons préféré partir des faits en privilégiant l’écoute des populations avec un focus sur les victimes. Parce que c’est eux qui portent le poids de la souffrance, qui détiennent l’essentiel de la vérité sur les diverses crises burundaises, mais qui portent aussi les stigmates de celles-ci », a-t-il affirmé.

Pour toutes ces raisons, a-t-il tranché, la CVR estime qu’au cœur du processus de recherche de la vérité et de la réconciliation vis-à-vis des crises du passé burundais, se trouvent les victimes, afin qu’elles renseignent sur ce qu’elles ont vécus.

Toutefois, a-t-il nuancé, la CVR est intéressée aussi par les présumés auteurs dans les diverses crises, pour savoir notamment le rôle joué par certaines personnalités burundaises qui, au moment des faits, étaient dans les centres de décision.

A l’heure actuelle, a-t-il explicité, la CVR est intéressée par la reconstitution des faits sur les graves crimes du passé, avant de passer à l’étape suivante d’analyse.

Proposée par l’Accord burundais de paix d’Arusha d’août 2000 et confirmée dans la constitution burundaise d’août 2000, la CVR burundaise est chargée de travailler sur les crises burundaises datant du 1er juillet 1962 au 4 décembre 2008, date supposée de la fin de la belligérance armée.

French.china.org.cn | le 07-05-2017

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