mar
13
2017

L'ONU cible Bujumbura

Le Secrétaire Général des Nations Unies a transmis un rapport sur le Burundi, le 23 février dernier, au Conseil de sécurité. Bujumbura monte au créneau et parle d’un rapport fondé sur des informations erronées. La tension monte alors que le Burundi était à l’étude, ce jeudi 9 mars, au Conseil de Sécurité.

«Depuis deux ans, l’impasse politique n’a fait que s’aggraver. L’espace de dialogue politique s’est rétréci davantage du fait de la répression», indique le Secrétaire Général des Nations Uunies, Antonio Guterres, dans un rapport transmis au Conseil de Sécurité qui porte sur la période écoulée depuis l’adoption de la résolution 2303, le 29 juillet 2016.

D’après lui, au lieu d’un véritable dialogue, l’échange des vues politiques, essentiellement sous forme d’accusations et de contre-accusations, intervient à travers les médias sociaux et les communiqués. «Fait nouveau, le Président Nkurunziza a déclaré à la fin de 2016 qu’il pourrait briguer un quatrième mandat (…) situation qui pourrait plonger le pays dans une crise encore plus profonde», souligne Antonio Guterres.

Antonio Guterres se dit préoccupé par cette récente déclaration du numéro Un burundais. L’adoption d’une révision constitutionnelle allant à l’encontre des dispositions de l’Accord d’Arusha ferait courir le risque, dans les circonstances actuelles, de faire replonger le pays dans un conflit armé. Avec des conséquences imprévisibles pour la région. «Si les Burundais ont le droit souverain de modifier leur Constitution conformément à leurs propres lois, il faut rappeler que c’est la décision du président Nkurunziza de briguer un troisième mandat qui a provoqué la plus grave crise qu’ait connue le Burundi.»

 Selon M. Guterres, une adoption des conclusions du rapport d’activité d’août 2016 de la Commission Nationale de Dialogue Interburundais (CNDI), prévoyant d’annuler la limitation du nombre de mandats présidentiels et d’autres amendements constitutionnels, iraient à l’encontre de l’Accord d’Arusha.

Une sécurité précaire

Le Secrétaire Général trouve que malgré une baisse de la violence et une réduction du nombre d’affrontements armés, on continue de signaler des violations des droits de l’homme, notamment des meurtres, des disparitions forcées, des cas de violence sexiste, des arrestations et détentions arbitraires, des cas de torture et de mauvais traitements, ainsi que la présence de corps non identifiés. «Plus de 200 cas de disparition forcée ont été signalés depuis octobre 2016, suscitant de graves inquiétudes. Le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme a établi qu’il y avait eu 593 violations du droit à la vie entre avril 2015 et le 31 décembre 2016 et des centaines de personnes continuent d’être arrêtées chaque mois.»

Alors que les violences qui avaient marqué le début de la crise en 2015 étaient largement concentrées dans la capitale et ses environs, poursuit Antonio Guterres, des problèmes ont régulièrement été signalés ailleurs dans le pays en 2016, en particulier dans les provinces de Bururi, Cibitoke, Gitega, Kirundo, Makamba, Muyinga, Ngozi, Rumonge, Rutana et Ruyigi. «Qui plus est, il semblerait que les Imbonerakure, la milice des jeunes du parti au pouvoir, soient plus actifs que par le passé, ce qui alimente le sentiment d’insécurité et le climat de peur. Des actes d’intimidation, des activités criminelles, de mauvais traitements, des patrouilles nocturnes et des entraînements paramilitaires ont été souvent signalés dans plusieurs provinces.» Selon ce rapport, les Imbonerakure participeraient fréquemment à des opérations conjointes avec la police et les services de renseignement.

Pour le Secrétaire G énéral, les informations selon lesquelles les ex-FAB seraient de plus en plus souvent pris pour cibles sont préoccupantes. «La cohésion a pu jusqu’ici être préservée, mais elle risque d’être mise à mal si de hauts responsables, y compris des officiers de la FDN, continuent d’être pris pour cibles.»

Opposants traqués et liberté d’expression inexistante

D’après ce rapport, les membres des partis d’opposition et ceux qui sont perçus comme des adversaires continuent d’être victimes d’arrestations arbitraires, de placements en détention, de mauvais traitements et de disparitions forcées. «Les individus présumés coupables de violations des droits de l’homme continuent de jouir d’une impunité totale et presque rien n’a été fait pour enquêter sur les atteintes portées aux droits de l’homme par des agents de l’État ou des Imbonerakure.»

Le rapport revient sur des discours des politiques qui incitent à la haine et à la violence. Depuis le début de la crise, écrit Antonio Guterres, les personnalités politiques emploient un langage incendiaire et haineux dans leurs discours, dans les médias sociaux, dans leurs communiqués et dans la presse. «Cette rhétorique est tissée d’incitations à la violence, ainsi que d’attaques contre l’opposition et la société civile. Les pays voisins étant accusés d’être impliqués dans des tentatives d’assassinat.»

Le patron des NU trouve aussi que la liberté d’expression et celle de la presse sont restées limitées. «Les journalistes des médias privés et indépendants ont continué de faire l’objet de campagnes de harcèlement allant parfois jusqu’à des arrestations arbitraires, des placements en détention ou des disparitions forcées.» De plus, assure le SG, la répression s’abat toujours sur les organisations de la société civile. Et de souligner la radiation et la suspension de certaines organisations de la société civile.

« Je suis convaincu qu’il est urgent de réagir à la crise. Ne pas intervenir tout de suite, dans le cadre d’un dialogue ouvert à tous, reviendrait à prolonger les souffrances de la population et l’on courrait le risque de voir réduits à néant plus d’une décennie d’efforts en matière de consolidation de la paix.»

La faute à Jamal Benomar

Dans un communiqué du 27 février 2017, Bujumbura annonce qu’il a appris par voie des médias qu’un rapport sur la situation au Burundi «aurait été déposé au Conseil de Sécurité des Nations unies.» Dans la foulée, il reconnaît qu’il en ignore le contenu, le rapport ne lui ayant pas été officiellement signifié.

Bujumbura se réjouit du travail accompli de commun accord avec les NU particulièrement à partir des années 2000. Toutefois, il dit regretter que certains lobbies aux intérêts et positions avérés contre le Burundi semblent avoir la main haute sur certains organes des NU jusqu’à influencer certains rapports.

Bujumbura incrimine le conseiller spécial du SG pour le Burundi, Jamal Benomar. «Le Gouvernement du Burundi voudrait rappeler à son Excellence Monsieur le Secrétaire Général de l’ONU que l’auteur du rapport, à savoir M. Jamal Benomar, a été officiellement désavoué par le Gouvernement. Il ne peut donc pas, ne serait-ce que du point de vue moral, présenter un rapport neutre ou équilibré sur le Burundi.»

Selon le gouvernement burundais, le rapport évoque des faits non avérés et prête des intentions aux plus hautes autorités de la République. «Ainsi, par exemple, la référence au « 4ème mandat » du président de la République est incompréhensible.»

Le 6 mars, le gouvernement envoie une lettre au Conseil de Sécurité par le biais de son ambassadeur aux NU, Albert Shingiro. Bujumbura estime que le rapport du SG contient des informations non vérifiées et qu’il oublie de mentionner les développements positifs. «Le Burundi fait face à des problèmes politiques, sécuritaires, humanitaires, de droits de l’homme et de développement, comme tous les pays. Il est clair que certains faits mentionnés dans le rapport ont été exagérés et d’autres rapportés sans preuves.»

D’après Bujumbura, il y a eu des progrès du point de vue politique. Il mentionne la mise sur pied de la CNDI, le retour de certains opposants politiques et de 100.000 réfugiés burundais qui ont regagné le pays jusqu’au le 31 décembre 2016.

Sur le plan sécuritaire, le gouvernement reconnaît qu’il y a encore quelques défis, mais que par rapport à 2015, la situation sécuritaire s’est améliorée. Il subsiste quelques cas isolés de banditisme que le gouvernement s’efforce d’éradiquer. Bujumbura réfute les allégations de disparations forcées. D’après lui, les jeunes qui ont fui le pays pour aller faire des entraînements militaires dans des pays voisins ont été déclarés personnes disparues. Et d’affirmer que parmi les 150 jeunes revenus de la République Démocratique du Congo, en février dernier, certains avaient été déclarés portés disparus.

«Les Imbonerakure ne sont pas une milice»

Bujumbura s’insurge aussi contre le terme «milice» utilisé dans le rapport pour qualifier les Imbonerakure. Il s’étonne, d’ailleurs, du fait que le SG n’ait pas mentionné «les jeunes de l’opposition qui ont lancé des grenades dans des lieux publics, qui ont tendu des embuscades aux leaders du parti au pouvoir et attaqué des camps militaires.» Il est clair, poursuit Bujumbura, que cette omission a été faite délibérément.

Concernant la liberté de la presse, Bujumbura brandit la réouverture de trois radios détruites, lors du coup-Etat manqué du 13 mai 2015. Et de signaler que le Burundi compte aujourd’hui sept stations TV, plus de 24 stations radio publiques et privées, 24 journaux, 17 sites d’information. De plus, ajoute le gouvernement, ni un journaliste ni un activiste des droits humains n’est en prison actuellement.

Bujumbura demande à la Communauté Internationale de comprendre que la crise burundaise est politique et non ethnique. Pour lui, il faut plutôt assister le gouvernement dans la relance économique des communautés locales.

Adama Dieng ajoute une couche

Dans une lettre envoyée, le 7 février dernier, au Conseil de sécurité des NU, Adama Dieng, conseiller spécial des NU pour la prévention du génocide, alerte sur les violences massives qui pourraient survenir. « La qualification du conflit burundais de faible intensité par certains experts ne doit pas occulter aux yeux de la Communauté Internationale les nombreux indicateurs qui montrent que le Burundi court aujourd’hui le risque de violences de masse.» Pour Adama Dieng, il ne faut pas ignorer que le Burundi a connu des violences ethniques dans le passé. « Je crains que si l’atmosphère actuelle de la peur et de divisions politiques se poursuit, il pourrait y avoir une augmentation de la violence dans laquelle les individus pourraient être davantage ciblés en fonction de leur affiliation politique ou ethnique.» Il indique que cette préoccupation est causée par les violations des droits humains et des abus perpétrés par des éléments des services secrets, de la police, de l’armée et des Imbonerakure. Le conseiller spécial exhorte le Conseil de sécurité à prendre des mesures énergiques.

Même son de cloche de la part de 19 organisations non gouvernementales étrangères et locales. «Le Conseil de Sécurité des NU devrait imposer des sanctions ciblées contre des responsables burundais.» C’est le cri de ces organisations dans une lettre conjointe envoyée au Conseil de Sécurité des NU.

 « Les services de renseignements burundais, la police, et des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, se livrent à des meurtres, à des disparitions forcées, et à des actes de torture, alors que les autorités refusent de coopérer avec la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU pour le déploiement de policiers ou des enquêteurs sur les droits humains», souligne Ida Sawyer, Directrice pour l’Afrique Centrale à Human Rights Watch, une des organisations signataires. Pour ces organisations, des sanctions ciblées comme des interdictions de voyager et des gels des avoirs enverraient un message fort aux dirigeants burundais ayant été peu inquiétés pour avoir continué de perpétrer de violents abus contre leur propre population. «L’obstruction de la compétence de l’ONU de documenter et de limiter les violations perpétrées par le gouvernement devrait astreindre les membres du Conseil de Sécurité à prendre des mesures fortes.»

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