fév
21
2018

Moïse Katumbi va-t-il rentrer ?

L’opposant doit-il rester à Bruxelles, au risque de voir sa popularité s’étioler, ou retourner au pays et peut-être mettre sa sécurité en danger ? Un choix cornélien, après vingt mois d’exil.

Le rendez-vous a été fixé au Sea Grill, restaurant chic de Bruxelles, où tombe ce jour-là une pluie glacée. En vingt mois d’exil contraint, loin des ciels limpides du Katanga, sa province d’origine, Moïse Katumbi a pris ses marques en Belgique. C’est d’ailleurs là que l’opposant a provisoirement élu domicile. Du moins lorsqu’il n’est pas en déplacement.

La veille de notre rencontre, il était encore à Addis-Abeba, où se tenait le 30e sommet de l’Union africaine (UA). Moïse Katumbi ne fait certes pas partie du club des chefs d’État africains, mais il aspire à le rejoindre. Il côtoie déjà discrètement certains de ses membres. Peut-être même plus que son adversaire, le solitaire président Joseph Kabila, qui, cette année encore, ne s’est pas rendu en Éthiopie.

À 53 ans, Katumbi reste la principale menace pour le pouvoir de Kinshasa

Katumbi est rentré par un vol de nuit. Une mauvaise nouvelle l’attendait à l’atterrissage : la défection officielle de Dany Banza, l’un des sept chefs de parti qui soutiennent sa candidature à l’élection présidentielle. Depuis la création en 2015 de cette coalition, baptisée G7, c’est la première fois qu’un membre quitte le navire. Au cours du long entretien qu’il va nous accorder, ce séducteur-né ne laissera pourtant paraître ni déception ni fatigue. Il se félicite, au contraire, du retour dans l’opposition d’une autre figure : celle de vital Kamerhe qui tient le haut du pavé ces temps-ci à Kinshasa. « L’opposition est au grand complet », dit-il en souriant.

À 53 ans, Katumbi reste la principale menace pour le pouvoir de Kinshasa. Sans doute est-il le seul à pouvoir le défaire dans les urnes. Le seul, aussi, à rassembler des soutiens aussi divers, du petit peuple aux investisseurs étrangers en passant par certains diplomates occidentaux. Le seul enfin à susciter une haine aussi viscérale chez Joseph Kabila.

Mais Katumbi est confronté à un casse-tête. Une délicate équation dans laquelle il doit arbitrer entre ses ambitions, l’évolution de sa popularité en RD Congo, les conseils de ses amis et la crainte d’être emprisonné, voire tué.

La politique, un jeu dangereux

En RD Congo, la politique est un jeu dangereux. En 2001, le président Laurent-Désiré Kabila a été assassiné alors qu’il était en fonction, dans son palais de Kinshasa. Les manifestants qui réclament depuis plus d’un an maintenant le départ de son fils, Joseph Kabila, président hors mandat, l’ont parfois payé de leur vie. Quant à Moïse Katumbi, il affirme avoir été victime de plusieurs tentatives d’empoisonnement. La dernière fois, c’était en mai 2016, dans son fief de Lubumbashi.

Moïse Katumbi vient alors de passer dans l’opposition. Pendant huit ans, cet homme a été le gouverneur de la vaste et riche province du Katanga – et un solide allié du président. Mais il a compris, peut-être avant tout le monde, que ce dernier n’avait pas l’intention de quitter le pouvoir en décembre 2016 comme l’y obligeait la Constitution. Or Moïse aussi a des ambitions. Pour conquérir le pouvoir, il doit défier son ancien allié.

Très vite, il est accusé de recruter des « mercenaires » pour déstabiliser l’État. Cela le conduit trois fois devant le tribunal, où il se rend escorté d’une impressionnante foule de supporters. Et c’est là, au cours d’une bousculade, qu’un policier cagoulé lui aurait inoculé du poison. Katumbi est hospitalisé avant d’être autorisé à partir pour l’Afrique du Sud à bord d’un avion médicalisé. Il ne reviendra plus.

Si j’étais resté, ma vie aurait été en danger. Je souffrais d’insuffisance respiratoire

Chez une partie de ses supporters, c’est l’abattement et, bientôt, la démobilisation face à une implacable répression. Cet empoisonnement a-t-il eu lieu ? Ce scénario a-t-il servi à justifier un repli stratégique, voire un compromis avec un pouvoir qui ne voulait plus de lui sur le territoire congolais ? Moïse Katumbi s’en défend vigoureusement : « Je n’ai pas fui le pays. Je me suis présenté à mon procès, même en sachant qu’il était bidon. Si j’étais resté, ma vie aurait été en danger. Je souffrais d’insuffisance respiratoire. Les médecins envoyés par Kabila l’ont constaté eux-mêmes, avec leur propre matériel, et ils ont demandé mon évacuation. Heureusement, Dieu me protège », conclut ce fervent catholique. Un argumentaire qui pèserait davantage si les résultats des analyses médicales réalisées en Afrique du Sud étaient publiés.

À Kinshasa, malgré l’exil, les représailles se poursuivent. On l’accuse de s’être frauduleusement attribué un immeuble qui, dans les années 1970, appartenait à une famille grecque. L’héritier, Emmanouil Stoupis, a fort opportunément relancé la procédure en 2014. Curieusement, il a le même avocat que le chef de l’Agence nationale de renseignement (ANR), Kalev Mutond, l’un des hommes les plus proches du président. À l’époque, le frère de Moïse Katumbi, Raphaël Katebe Katoto, interviendra pour le défendre : il est le véritable propriétaire de l’immeuble, assure-t-il. Mais rien n’y fait. En juin 2016, Moïse est condamné par contumace à trois ans de prison. Un rapport rédigé par les évêques catholiques congolais qualifiera plus tard cet épisode de « mascarade ».

L’accord de la Saint-Sylvestre

Dès lors, Katumbi sait que, s’il rentre, il sera arrêté. Bravache, il annonce malgré tout son retour. Il le fait même plusieurs fois en un an, sans tenir parole. Il garde l’espoir que son sort judiciaire sera réglé par les négociations qui s’engagent, fin 2016, entre le pouvoir et l’opposition. Le mandat de Joseph Kabila vient d’expirer. Le chef de l’État doit donc faire acter son maintien au pouvoir. En échange, l’opposition tente d’obtenir des garanties : elle réclame le poste de Premier ministre et le retour des exilés. Kinshasa cède rapidement sur la première condition (du moins théoriquement), mais le retour de l’opposant reste une ligne rouge.

In extremis, Katumbi accepte de lâcher sur ce point, remis à plus tard. Le 31 décembre, le fameux accord de la Saint-Sylvestre est donc signé. Mais le gouvernement ne va pas tarder à revenir sur ses engagements, notamment sur celui de rediscuter du sort de Katumbi. Ce dernier aurait-il fait preuve de naïveté ? « Non, je savais que le pouvoir ne respecterait pas sa parole, assure-t-il. Mais la communauté internationale nous conseillait de signer l’accord pour éviter un bain de sang. Je me suis dit que le plus important n’était pas ma personne, mais le pays. »

Le gouvernement ne veut pas que je rentre, parce que des centaines de milliers de personnes seront présentes et ce sera le début d’un grand changement

Depuis, il est confronté à un dilemme. Doit-il rester en exil en espérant que ses alliés sur place finiront par obtenir l’annulation de sa peine ? Le risque, c’est qu’entre-temps sa popularité s’effrite. Il est plus difficile d’inciter à la mobilisation lorsqu’on est soi-même en sécurité en Europe. D’autant qu’en RD Congo la stature d’opposant s’est toujours forgée dans la rue, aux côtés des partisans, ou en détention. Katumbi doit-il au contraire rentrer en pariant que le pouvoir n’osera pas l’arrêter ? Et que, s’il l’est, sa détention aura des répercussions incontrôlables pour Kabila ?

Face à JA, Katumbi affirme, une fois de plus, qu’il a choisi la seconde option : « J’ai réservé un avion privé pour rentrer à Kinshasa le 30 décembre et participer aux manifestations du 31. Le gouvernement n’a pas donné l’autorisation. Ils ne veulent pas que je rentre parce qu’ils savent que des centaines de milliers de personnes seront présentes et que ce sera le début d’un grand changement. »

Mais a-t-il vraiment tout tenté ? Ne peut-il pas, par exemple, acheter un siège sur une ligne régulière ? Son passeport congolais, valide jusqu’en 2021, lui permettrait d’embarquer. Et, selon l’usage, les compagnies aériennes ne communiquent la liste de leurs passagers qu’après la fermeture des portes de l’avion. Dans ces conditions, si les autorités locales veulent à tout prix l’empêcher d’atterrir, elles devront assumer de dérouter l’appareil. Ce scénario présente toutefois au moins un inconvénient pour lui : il laisse peu de temps pour organiser son accueil – un accueil qui ne manquera pas d’être considéré comme la jauge de sa popularité.

Ce pouvoir tire dans les églises. Qu’est-ce qui les empêcherait d’abattre un avion ?

« Ça n’est pas un problème, dit-il en souriant. Je peux même arriver de nuit à Kikwit et, dix minutes plus tard, je serai acclamé par toute la ville ! Mais les compagnies refusent de me vendre un billet. » La porte-parole de Brussels Airlines, Kim Daenen, dit pourtant ne pas trouver trace d’une telle tentative. « De toute façon, je suis responsable, poursuit Katumbi. Je ne veux pas faire prendre de risques à d’autres voyageurs. Ce pouvoir tire dans les églises. Qu’est-ce qui les empêcherait d’abattre un avion ? »

Ce que voudrait l’opposant, c’est obtenir la protection de la mission des Nations unies en RD Congo, la Monusco. « J’ai écrit à l’ONU, affirme-t-il. Le pouvoir cherche à éliminer des candidats. Je ne suis pas le seul. La Monusco protège déjà le docteur Denis Mukwege [victime d’une tentative d’assassinat en 2002]. Elle peut en faire autant pour d’autres personnes en danger. Comme lors des élections de 2006. Les Casques bleus avaient protégé Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire lorsqu’il était candidat ! » Le problème, c’est qu’on voit mal l’ONU s’ingérer dans une procédure de la justice congolaise… Katumbi n’aurait-il donc pas intérêt à négocier un arrangement avec le pouvoir ? « Non, c’est un régime sanguinaire ! s’offusque-t-il. Je n’ai plus aucun contact avec eux depuis mon départ et je n’en veux pas. »

Je n’ai pas peur mais que gagnerait mon peuple si j’allais aveuglément vers la mort ? Je dois rester en vie pour le sauver

Dans son entourage, on admet cependant que la nécessité de son retour fait l’objet d’une réflexion. « Nous lui recommandons de ne pas rentrer pour l’instant », indique son ancien directeur de cabinet, le professeur Huit Mulongo, qui échange encore avec l’ex-gouverneur sur WhatsApp depuis sa chambre à la clinique universitaire de Lubumbashi« Il est certain qu’un jour ou l’autre, il va devoir rentrer, poursuit-il. Mais est-ce utile qu’il le fasse maintenant, avec les risques que cela comporte ? Nous ne sommes même pas sûrs que le calendrier électoral [qui prévoit des scrutins en décembre] soit respecté. » Pour l’opposition, la présence de Katumbi dans le pays, voire dans les cortèges, constituerait pourtant un soutien de poids pour faire pression et obtenir l’organisation desdites élections.

La question est donc celle-ci : Moïse Katumbi est-il prêt à risquer sa vie pour prendre le pouvoir ? Il est convaincu qu’il faut s’y préparer lorsque l’on a ses ambitions en RD Congo. « Ailleurs, être candidat ne présente pas de danger. Mais moi, je dois agir comme un chef militaire et je le déplore. Je n’ai pas peur mais que gagnerait mon peuple si j’allais aveuglément vers la mort ? Je dois rester en vie pour le sauver. »


Katumbi défend Paris

Ces dernières semaines, une partie de l’opposition congolaise a accusé l’Hexagone de soutenir Joseph Kabila. Un appel à boycotter les entreprises françaises a même été relayé par le mouvement citoyen Lutte pour le changement (Lucha).

De quoi agacer Paris, qui voit derrière ces assertions la main de diplomates belges.

Katumbi, lui, a une autre explication : « Cela vient de la majorité, qui veut discréditer l’opposition, analyse-t-il. Mais la France est engagée auprès des Congolais. C’est elle qui porte les résolutions de l’ONU. Elle veut l’avènement de la démocratie dans le plus grand pays francophone du continent. »

jeuneafrique.com

 

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