Le 16 mai 1997, jour de la chute de Mobutu Sese Seko
Alors que Laurent-Désiré Kabila est aux portes de Kinshasa, Mobutu Sese Seko s'enfuit vers Gbadolite, puis vers le Togo et le Maroc. Le 16 mai 1997 marque le début de la fin du Léopard, qui mourra moins de quatre mois plus tard.
Kinshasa se réveille la peur au ventre. Chacun se demande si l’épilogue de la guerre éclair menée par Laurent-Désiré Kabila, soutenu par ses parrains rwandais et ougandais, est pour bientôt. Certains espèrent que les Forces armées zaïroises (FAZ) relèveront la tête pour défendre la capitale. Les rebelles sont déjà à Kenge, à quelques kilomètres. Mais la bataille de Kinshasa n’aura pas lieu. Sur recommandations américaines, les hommes de Kabila n’entreront dans la ville qu’après le départ de Mobutu Sese Seko. Ce matin du 16 mai 1997, une longue escorte quitte le camp Tshatshi, la résidence officielle du Président Mobutu, et se dirige à vive allure vers l’aéroport de Ndjili.
Quelques minutes plus tard, le Léopard embarque dans un avion à destination de ses terres de Gbadolite, dans la province de l’Équateur (Nord-Ouest), aux confins de la frontière avec la République Centrafricaine. Une tragédie se dénoue. Mais Gbadolite ne sera qu’une étape. Le lendemain, Mobutu Sese Seko, sous la pression des événements, est contraint de prendre un autre vol pour Lomé. À l’aéroport de Moanda, près de Gbadolite, des soldats désespérés tirent sur l’appareil, sans pouvoir l’endommager. Le même jour, en fin d’après-midi, les rebelles prennent Kinshasa. Le 7 septembre 1997, l’ex-Président s’éteint à Rabat, au Maroc. Il était arrivé au pouvoir en novembre 1965.
Règne sans partage ?
En réalité, Mobutu n’était plus le « maître du Zaïre » depuis ce jour d’avril 1990 où il avait annoncé, la larme à l’œil, la voix brisée par l’émotion, la fin du parti-État, le Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), à la manière d’un père qui abandonne son enfant.
On a dit et écrit, un peu trop facilement, que « l’Homme seul » (ainsi l’avait surnommé, au tout début des années 1960, un de ses amis, le journaliste belge Francis Monheim) avait régné sans partage. Mobutu Sese Seko fut un homme à poigne. C’est incontestable. Mais en réalité, il n’était plus le « maître du Zaïre » depuis ce jour d’avril 1990 où il avait annoncé, la larme à l’œil, la voix brisée par l’émotion, la fin du parti-État, le Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), à la manière d’un père qui abandonne son enfant. Dès lors, les rangs se fissurent, des proches collaborateurs de longue date s’émancipent et basculent dans l’opposition. Les temps sont durs, tellement durs que, pendant les travaux de la Conférence Nationale Souveraine, le Léopard est vilipendé. Touché dans son amour-propre, il quitte Kinshasa, le centre du pouvoir, et s’exile à Gbadolite. Erreur fatale, sans doute, car il ne contrôlera plus rien, en réalité. Tout le reste, six ou sept années durant, ne sera plus que gesticulations, manœuvres dilatoires, querelles byzantines face à une opposition faussement radicale et ivre de mots. Mobutu, miné par un cancer de la prostate, n’était plus Mobutu, la bête politique. On le verra sur des images restées célèbres lorsqu’un notable de Gbadolite le supplie de regagner Kinshasa afin de « reprendre le pouvoir ». En vain.
La chute de Mobutu, après une guerre venue de l’extérieur, a traumatisé son camp. « Vaincus militairement, la peur nous a gagnés. Nous avons alors choisi de nous taire pour éviter les représailles. Seule la vérité des vainqueurs comptait », résume un ancien vice-président du MPR sous le couvert de l’anonymat. Un autre ancien du MPR, Louis Koyagialo Ngbase te Gerengbo, qui fut gouverneur du Shaba (l’actuel Katanga) sous Mobutu et tout récemment vice-Premier Ministre du gouvernement Muzito et Premier Ministre intérimaire (entre mars et avril derniers), désormais dans la majorité présidentielle, n’en pense pas moins. Pour lui, « le Maréchal Mobutu a été diabolisé dans l’opinion. Il était difficile de se réclamer de son héritage et d’en tirer des dividendes politiques ». Détail important, après la perte de son statut de parti-État, le MPR n’avait plus les moyens financiers nécessaires à un rebondissement.
Cendres
Grâce à la normalisation politique qui va conduire au dialogue intercongolais en Afrique du Sud, le MPR tente de renaître de ses cendres à partir du début des années 2000. Mais la guerre des chefs va faire rage entre deux fidèles, Catherine Nzuzi wa Mbombo – ancienne Vice-présidente du MPR et candidate à l’élection présidentielle de 2006 – et Félix Vunduawe te Pemako – vice-Premier Ministre, Ministre, directeur de cabinet de Mobutu, avant d’être élu député en 2006. Le parti se divise en deux tendances : le MPR-Fait privé, créé en 1991 après la disparition du parti-État, que revendique Nzuzi wa Mbombo, et le MPR « canal historique » du côté de Vunduawe. « Cette dualité entretenue par le pouvoir en place n’a pas permis l’émergence du MPR dans la nouvelle configuration politique et a déshonoré la mémoire du maréchal Mobutu », déplore Vunduawe te Pemako.
On aurait pu croire que Nzanga Mobutu, en créant avec ses amis l’Union des Démocrates Mobutistes (UDEMO), se poserait en héritier politique de son père. Paradoxalement, il a toujours affirmé que son géniteur appartenait au siècle passé et que lui est un homme de ce siècle. À moins que la vérité ne se trouve du côté de cet observateur qui affirme : « Les gens s’attachent plus aux individus eux-mêmes qu’à ceux qui prétendent les représenter. » Et de rappeler que les enfants de Patrice Lumumba (dont l’une fut Ministre de Laurent-Désiré Kabila), de Joseph Kasa-Vubu (dont deux filles étaient candidates à la Présidentielle de 2006) et de Moïse Tshombe (une de ses filles est Conseillère à la Francophonie de Joseph Kabila) n’ont jamais réussi en politique.
Du temps de sa splendeur, il rassurait et incarnait l’idéal de grandeur.
Dignité
Le mobutisme en tant que vision du monde est-il mort pour autant ? « Non », répond André-Alain Atundu Liongo, Président de la Convention pour la République et la Démocratie (CRD, majorité présidentielle), qui fut chef des services de renseignements sous Mobutu. Selon lui, « le mobutisme a survécu à travers les idées d’intégrité du territoire national, de cohésion nationale, de dignité face à l’adversité. Bref, c’est l’esprit de la nation qu’on retrouve dans tous les partis aujourd’hui. Les gens se réfèrent désormais au mobutisme sans complexe ».
Il n’empêche, l’œuvre de Mobutu est diversement appréciée. Ses plus farouches détracteurs l’accusent d’être resté trop longtemps au pouvoir, de n’avoir rien construit, d’avoir pillé et ruiné le pays. Cet état d’esprit transparaît à travers une anecdote que raconte un ancien Ministre des Affaires Etrangères du régime actuel. « Un jour, je recevais au Ministère Nkosazana Dlamini-Zuma, alors Chef de la diplomatie sud-africaine. Elle a estimé que le bâtiment était beau et cherché à savoir à quand remontait sa construction. Je lui ai répondu qu’il datait de l’époque de Mobutu. Elle s’est alors exclamée : « Ce n’est pas possible ! Vous avez pourtant toujours affirmé que ce monsieur n’avait rien construit. » »
Pour Vunduawe, tout ce qu’on dit sur Mobutu n’est pas juste. « Je constate avec regret que les gens ont l’habitude de juger le bilan du maréchal sur ses cinq dernières années, caractérisées par une forte crise consécutive à la fin de la guerre froide, clame-t-il. Le bilan global des trente-deux années de pouvoir montre qu’il a réalisé beaucoup de choses, notamment l’unité et la concorde nationales, la conscience et la fierté nationales, la paix, sans oublier la démocratie, qu’il nous a léguée. »
Croyance
Indulgence exagérée ? D’une manière générale, beaucoup de Congolais se montrent nostalgiques de l’ère Mobutu. C’était l’époque où le Zaïre était craint et respecté par tous ses voisins. « En ce temps-là, affirment-ils, nous vivions en paix et personne ne venait nous humilier chez nous. » La Gécamines était florissante et le Zaïre était le premier pays d’Afrique subsaharienne à participer à la Coupe du Monde de football (en 1974). Il pouvait organiser le combat de boxe Ali-Foreman à Kinshasa, financer la construction de l’université de Nouakchott, payer les fonctionnaires de certains pays frères en difficulté, former les militaires des armées de quelques États africains. Ils se souviennent de leur musique qui faisait danser tout le continent et brillait par sa qualité.
« Aujourd’hui, nous sommes tombés très bas », se lamente un chauffeur kinois. Ils n’ont pas oublié le « grand chef » qui rassurait et incarnait l’idéal de grandeur, la fierté d’être soi-même, africain, dans la dignité. Les références, aujourd’hui, semblent provenir d’ailleurs. Mobutu Sese Seko demeure également l’artisan de l’unité nationale. « Les aspects positifs de son œuvre politique demeurent. Tôt ou tard, ils seront sauvegardés », veut croire Vunduawe te Pemako. Le mobutisme a toujours été une forme de croyance.
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