Pierre Nkurunziza entretient l’ambiguïté autour de sa candidature en 2020
En annonçant qu'il soutiendra « le nouveau président de la République » qui sera élu en 2020, Pierre Nkurunziza a surpris son monde. Mais les termes ambigus de son discours entretiennent le flou autour de ses réelles intentions.
C’est une déclaration en forme de coup de théâtre, mais qui n’est pas dénuée d’ambiguïté. «Nous informons les Burundais et le monde entier que nous n’allons pas nous rétracter. La fin de notre mandat prendra fin en 2020 »,a annoncé Pierre Nkurunziza, jeudi 7 juin, dans un discours tenu en kirundi à Gitega, dans le centre du pays, à l’occasion de la cérémonie de promulgation de la nouvelle Constitution. « Pour ce qui me concerne, je m’y engage et me prépare en mon âme et conscience, avec toutes mes connaissances et tous mes efforts, à soutenir le nouveau président de la République que nous élirons en 2020 », a ajouté le président burundais, selon une traduction du site burundais Iwacu – confirmée par d’autres sources consultées par JA.
Si cette déclaration a pris tout le monde de court, elle n’en est pas moins sujette à de multiples interprétations. Adoptée par référendum à 73 %, le 17 mai, la nouvelle Constitution a fait l’objet de vifs débats, en particulier car elle permet à l’actuel président burundais, au pouvoir depuis 2005, de briguer deux septennats supplémentaires à partir de 2020 et donc, potentiellement, de rester au pouvoir jusqu’en 2034.
Pour l’opposition, ce discours doit toutefois être analysé avec prudence. « La parole de Pierre Nkurunziza, un homme qui vient d’enterrer l’accord d’Arusha et la Constitution de 2005, ne vaut rien. La promesse de partir en 2020 est une vaste blague pour endormir l’opinion », a ainsi réagi sur Twitter Pancrace Cimpaye, porte-parole du Cnared, , la principale plateforme d’opposition en exil.
« Je reste sceptique, les mots utilisés sont très flous. Il ne dit pas qu’il ne se présentera pas mais qu’il soutiendra le nouveau président qui sera élu en 2020. Je ne peux pas être leurré par ce genre de discours. Le parti au pouvoir peut très bien proposer son nom pour la prochaine élection et c’est à ce moment que l’on verra s’il renonce vraiment au pouvoir », explique à Jeune Afrique un membre de la coalition d’opposition Amizero y’Abarundi, dirigée par Agathon Rwasa. Un scénario que n’écarte pas une diplomate burundaise que nous avons contactée. « Il [Pierre Nkurunziza] a été un bon président pour le Burundi. C’est le parti qui aura le dernier mot et choisira un candidat. Attendons de voir », commente-t-elle sobrement.
Chacun peut maintenant se déclarer, c’est ensuite le parti qui choisira celui qui le représentera
Du côté du CNDD-FDD, le parti présidentiel, on estime que Pierre Nkurunziza ne fait que tenir sa parole, donnée en 2015, notamment dans les courriers qu’il dit avoir envoyés à cette époque au FMI et à l’EAC (East African Community), et répétée lors de son investiture, le 20 août, concernant un troisième mandat. « Il a annoncé sa décision dès le 3 juin, à la surprise générale, devant les principaux responsables du parti », nous assure l’un des témoins de la scène. Même si ces derniers, pour la plupart anciens compagnons d’armes du président, n’hésitaient plus, ces derniers temps, à lui rappeler ses promesses faites au temps du maquis. Pierre Nkurunziza, auréolé de la victoire enregistrée lors du référendum, aurait donc profité de cette fenêtre politique favorable pour annoncer sa décision. Selon les membres du parti eux-mêmes, aucun « dauphin » n’aurait toutefois été adoubé par le chef. « Chacun peut maintenant se déclarer, assurent-ils. Mais c’est ensuite le parti qui choisira celui qui le représentera ». Et rien ne semble empêcher que ce soit une nouvelle fois… Pierre Nkurunziza !
Isolé sur la scène internationale
La formulation employée par le chef de l’État pour expliquer sa décision est suffisamment vague pour laisser la porte ouverte à toutes les interprétations, y compris au sein de son propre camp. « Pierre Nkurunziza fait face à des tensions terribles aussi bien au sein de son parti, de l’opposition que de la communauté internationale, analyse le journaliste Bob Rugurika, qui dirigeait à Bujumbura la Radio publique africaine (RPA), avant de prendre le chemin de l’exil. Il n’a pas dit que son mandat en cours serait le dernier pour lui, mais seulement que celui-ci s’achèverait en 2020. Sa déclaration est faite avant tout pour semer la confusion, afin de calmer les esprits au sein du CNDD-FDD et d’envoyer un message à la communauté internationale à un moment où le changement de Constitution l’expose à un durcissement des sanctions. »
Selon un responsable de la société civile burundaise en exil, « Pierre Nkurunziza est plus isolé que jamais, c’est pourquoi il a tenu ce discours ambigu qui peut laisser croire qu’il s’apprête à passer la main ». En procédant à une telle annonce, selon plusieurs sources jointes par Jeune Afrique, il répondrait donc à ceux qui l’accusaient de tripatouiller la Constitution pour son propre compte. Au passage, il s’efforcerait de sortir de l’isolemetnt international qui est le sien depuis 2015, tout en prenant l’opposition burundaise extérieure à contre-pied.
De fait, le discours du 7 juin a été bien perçu par Bruxelles. Le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, a ainsi salué, dans un communiqué, « l’annonce par le président du Burundi, Pierre Nkurunziza, de la fin de son mandat en 2020 ». « La Belgique espère que les autorités burundaises pourront désormais s’atteler à l’ouverture de l’espace public et démocratique, qui est indispensable en vue des élections de 2020. La Belgique plaide par conséquent pour la reprise du dialogue inclusif, sous l’égide de la région et dans l’esprit des accords d’Arusha », ajoute le ministre, qui a décidé de dépêcher au Burundi son envoyé spécial pour la région des Grands Lacs.
En quelques minutes de discours, Pierre Nkurunziza sera donc parvenu à entretenir le flou autour de son avenir présidentiel, s’engageant, en conclusion de son allocution, « à continuer à servir [son] pays et à veiller sur lui jusqu’à la fin de [s]es jours, ici, sur terre ».
jeuneafrique.com