Aide de la Banque mondiale : 103 millions de dollars détournés par les élites
Un rapport récent révèle qu’une partie d’aide au développement accordée au Burundi finit dans des paradis fiscaux. Le gouvernement du Burundi semble réservé. L’Olucome demande aux candidats à l’élection présidentielle de 2020 de mettre l’audit des projets financés par la Banque mondiale dans leur agenda.
« En moyenne, 5% des aides de la Banque mondiale octroyés aux pays pauvres partiraient vers des paradis fiscaux. Cette fuite atteindrait même 15% pour sept pays les plus dépendants des aides de cette institution dont le Burundi », lit-on dans l’étude rendue publique mardi 18 février voulant répondre à la question : les élites accaparent-elles l’aide financière?
Cette étude intitulée « La mainmise des élites sur l’aide étrangère. Preuve de comptes bancaires offshore » a été menée par trois chercheurs : Jørgen Juel Andersen, Niels Johannesen et Bob Rijkers. Elle révèle qu’une partie de l’argent versé par la Banque mondiale pourrait avoir été détournée dans les paradis fiscaux. Cette étude porte sur la période de 1990-2010.
L’étude se focalise sur 22 pays les plus pauvres. Dix-neuf de ces derniers se situent en Afrique, avec des dépôts annuels représentant dans certains Etats des sommes très importantes. Le Burundi est classé dans les cinq premiers pays avec 103 millions de dollars.
Néanmoins, ces experts tiennent à préciser que les sommes incriminées sont sûrement sous-estimées. Car, cette étude ne retient que les transferts vers des comptes logés dans les paradis fiscaux, sans intégrer les possibles dépenses en immobilier ou en biens de luxe.
Pour y parvenir, les auteurs ont croisé des données sur les décaissements de l’aide de la Banque mondiale et les dépôts étrangers de la Banque des règlements internationaux (BRI). Et de constater que les trimestres où l’institution de Brettons Woods débloquait des fonds, il y a systématiquement une importante augmentation des dépôts d’argent de ressortissants burundais dans des paradis fiscaux. Cette étude va loin, elle chiffre ce détournement. Pour un trimestre durant lequel le pays recevait une aide égale à 1% de la production nationale(PIB), ses dépôts dans les paradis fiscaux accroissaient de 3,4% par rapport à un pays qui ne bénéficie pas de l’aide de cette institution. « Et il n’y a pas de hausse des dépôts bancaires dans des pays qui ne sont pas des paradis fiscaux. »
Les élites sont pointées du doigt
L’étude estime aussi, mais sans le démontrer, que les élites du pays ont détourné cette aide financière. S’il est plus difficile d’identifier le mécanisme précis par lequel les apports d’aide provoquent des sorties de capitaux vers les paradis, explique ce rapport, la capture de l’aide par les politiques au pouvoir, les bureaucrates et leurs acolytes sont un élément saillant et plausible. Tout en écartant les autres hypothèses qui pourraient expliquer de tels transferts d’argent: des catastrophes naturelles ou des crises économiques, par exemple. Ces trois auteurs se disent que des interprétations alternatives existent. « Mais nous les trouvons difficiles à concilier avec toutes les données», concluent-ils.
La destination de ces transferts d’argent? Ces économistes précisent que les élites dissimulaient l’argent volé dans les centres financiers appelés l’offshore ou paradis fiscaux connus pour leur opacité et leur gestion privée de fortune. Ils citent notamment la Suisse, le Luxembourg, les îles Caïmans, les Bahamas et Hong Kong et Singapour.
Pour nuancer, ces chercheurs reconnaissent que leur constat n’est pas une preuve de cause à effet. Ils parlent au conditionnel du lien de causalité entre les fonds débloqués par la Banque mondiale et ceux déposés dans les paradis fiscaux. Face à ces révélations de détournements de l’aide financière de la Banque mondiale, Prosper Ntahorwamiye, porte-parole du gouvernement burundais, n’y va pas par quatre chemins : « Le gouvernement ne réagit pas par commande. Il réagit par programme. »
L’Olucome demande un audit urgent
Pour Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome, rien n’est surprenant. Les faits sont têtus. Certaines infrastructures routières construites en cette période en disent beaucoup. Ces infrastructures sont en piteux état alors que celles construites avant sont bonnes. C’est déplorable, poursuit-il, cette somme colossale détournée sera remboursée par les citoyens burundais alors qu’ils n’en ont pas profité. « Nous demandons aux candidats présidentiels aux élections 2020 de mettre dans leur agenda l’audit des projets financés par la Banque mondiale. »
Cela permettra de savoir les montants détournés et l’identité des personnes impliquées dans ces crimes. Ces dernières seront traduites devant la justice. Ainsi, la bonne gouvernance politique et économique sera une réalité au Burundi.
Selon un professeur d’université sous couvert d’anonymat, cette étude révèle que la Banque mondiale n’a pas pris des mesures nécessaires pour suivre et faire la traçabilité de l’aide qu’elle accorde aux pays les plus pauvres dont le Burundi.
En outre, les conclusions de cette étude placent l’institution de Brettons Woods dans une situation inconfortable. Car, une partie de l’aide au développement qu’elle octroie nourrit la corruption au bénéfice des élites burundaises corrompues et au profit des pays plus riches. Ce qui relance le débat quant à l’efficacité des aides versées par la Banque mondiale.
Pour enfoncer le clou, ce spécialiste en économie fait remarquer que ce rapport est la preuve qu’une organisation qui essaie de promouvoir le bien-être des ressortissants des pays en développement contribue peut-être, sans le savoir, à exacerber le fossé entre les riches et les plus pauvres.
La Banque mondiale, de son côté, salue avec ce rapport une démarche de «transparence» et estime qu’il s’agit «des premières étapes pour régler ce problème». Ce phénomène de transferts «doit être combattu et éradiqué, pour que tous les fonds parviennent à ceux qui doivent en bénéficier».
Pour rappel, au mois d’août de l’année dernière, deux professeurs burundais dans les universités occidentales, Professeur Léonce Ndikumana et Docteur Janvier Désiré Nkurunziza ont révélé que depuis 1985 jusqu’en 2015, plus 5,1 milliards de dollars américains se retrouvaient illégalement dans les pays étrangers. C’est une véritable saignée, un manque à gagner inestimable pour l’économie burundaise. Cette hémorragie est estimée à 10,5% de son produit intérieur brut actuel et 149% de son investissement. Une colossale hémorragie de capitaux.