Rapport Cnidh :Le Premier ministre salue un rapport décrié par le président de l’Assemblée nationale
La Cnidh a présenté son rapport annuel 2021 à l’Assemblée nationale et à la Primature respectivement en date du 17 et 21 février. Un rapport apprécié par le Premier ministre, mais décrié par le président de l’Assemblée nationale. Ce dernier recommande de retravailler le rapport, pourtant apprécié par certains politiques et la société civile.
« C’est un rapport déséquilibré. Vous accusez le gouvernement. Or, la question des droits de l’Homme n’implique pas une seule partie. L’autre partie n’est pas mise en cause. Alors nous voulons savoir pourquoi vous indexez le gouvernement seul », a réagi Daniel Gélase Ndabirabe avant même la présentation dudit rapport.
Selon le président de la chambre basse du Parlement, le rapport contient beaucoup de choses non précisées et peu documentées. Et de conclure : « Le rapport est purement théorique, descriptif ».
L’autre point de discorde est la proposition de la Cnidh relative à la mise en place d’un mécanisme national de prévention contre la torture. « Ce mécanisme, c’est pour qui ? Contre qui ? Pour résoudre quoi ? Pour défendre qui ? Pour neutraliser qui ? Pour informer qui ? Pour donner rapport à qui ? », s’est interrogé le président de l’Assemblée nationale.
Il a recommandé au président de la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme (Cnidh) de « retravailler » le rapport. « Il faut détailler, des définitions des termes pour une meilleure compréhension. Il faut une partie qui parle des exposés des motifs. Il faudra tenir compte de nos observations et après vous allez nous retourner le document ».
Réagissant sur les observations du président de l’Assemblée nationale, Sixte Vigny Nimuraba, président de la Cnidh a expliqué que la rédaction du rapport s’est basée sur la la loi qui régit la commission et la mission de cette dernière.
Selon M. Nimuraba, on parle de violations graves des droits de l’homme quand c’est un agent du gouvernement qui a violé les droits d’un particulier ou quand il n’a rien fait pour le protéger contre des violations. Dans d’autres cas, a-t-il fait savoir, il s’agit des violations du droit commun.
Il a fait savoir que le rapport n’est pas du tout déséquilibré. Il a précisé que l’objectif est d’inviter le gouvernement à respecter et à appliquer les conventions internationales relatives à la protection des droits de l’homme, la Constitution ainsi que d’autres textes.
Concernant le mécanisme national de prévention contre la torture, le président de la Cnidh a rappelé qu’il est prévu par la Convention internationale contre la torture que le Burundi a ratifiée en 2003. Selon cet instrument international, a-t-il expliqué, une année après, ce mécanisme devrait avoir été mis en place. « C’est pourquoi, nous sommes allés nous inspirer de l’expérience des pays ayant déjà ce mécanisme (Togo et Mauritanie) dans le but de proposer des orientations pertinentes à l’Etat avant la mise en place dudit mécanisme »
Quid du contenu du rapport ?
D’emblée, Sixte Vigny Nimuraba a tenu à rappeler le triple rôle de la Commission. Il s’agit de la protection et la promotion des droits de l’Homme et du rôle consultatif.
Le président de la Cnidh a noté avec satisfaction le bon climat sécuritaire qui a prévalu au cours de l’année 2021 et l’amélioration des relations entre le Burundi et les autres pays. Il s’est réjoui du bilan de la grâce présidentielle, de la campagne de traitement des dossiers de demande de révision et d’exécution des décisions judiciaires.
La commission, a ajouté M. Nimuraba, a effectué des enquêtes et a reçu des saisines. Et de les énumérer : « Un total de 435 saisines reçues. 257 étaient liées au droit civil et politique, 14 liées au droit économique et socio-culturel, 108 liées aux différents services sollicités comme l’assistance judiciaire, assistance humanitaire, 14 liées au droit de l’enfant, 7 liées au droit des déplacés internes, 35 liées aux affaires civiles et pénales.
La Cnidh a déploré 42 cas d’atteinte au droit à la vie, dont 35 sont liés aux allégations de disparition forcée. Par ailleurs, la commission a épinglé 7 cas d’allégation de torture.
En outre, il a évoqué des cas de détention arbitraire. 45 cas ont été enregistrés lors des visites des lieux de détention.
S’agissant du droit à un procès équitable, la Cnidh a traité des saisines liées aux allégations de procès équitables. « 7 cas de déni de justice, 62 cas d’allégations de lenteur dans l’instruction des affaires ou violations du droit à être jugé dans un délai raisonnable, 7 cas relatifs au refus d’octroi de copies de jugements et de disparitions de dossiers judiciaires et 17 cas relatifs à la lenteur dans l’exécution des jugements », a mentionné le président de la Cnidh.
Des irrégularités ne manquent pas
Sixte Vigny Nimuraba a épinglé quelques irrégularités au cours des visites effectuées dans des lieux de détention. De prime à bord, il a cité la non séparation des mineurs avec les adultes. Certains cachots n’ont pas de cellules réservées aux garçons ou aux filles. Il y a la garde à vue des enfants mineurs.
Par ailleurs, a-t-il poursuivi, la commission a enregistré 244 mineurs détenus, 184 garçons et 60 filles. Des cas de détention pour cause de dette civile ont été constatés et elles ont été opérées par des autorités administratives n’ayant pas la qualité d’OPJ.
Et d’autres cas où les OPJ détiennent des gens pour des affaires civiles. Des cas de détenus malmenés ou battus par les codétenus. Les conditions de détention dans les cachots sont déplorables (bâtiments vétustes, exigus, manque d’hygiène et d’aération).
Des interrogations
Réagissant sur ce rapport, les élus du peuple ont émis différentes préoccupations liées au déséquilibre dudit rapport, à la grâce présidentielle, la lenteur dans l’exécution des jugements, les arrestations arbitraires, les cas de torture et les conditions de détention.
M. Nimuraba a levé les équivoques. Il a expliqué que la mesure de grâce présidentielle concernait 5255 détenus. Parmi ceux-ci 2705 ont été libérés, d’autres ont bénéficié de la réduction de leurs peines.
Le président de la Cnidh a précisé que la commission joue un consultatif. Et d’exhorter les élus du peuple à inviter les services concernés pour donner des explications sur ces différentes allégations.
Un travail bien fait
Alain Guillaume Bunyoni, Premier ministre se réjouit du travail accompli par la Cnidh. « Si le rapport semble viser seulement le côté officiel c’est tout fait normal parce que la Cnidh est chargée de veiller à ce que les instances de l’Etat respectent les droits de l’Homme non seulement en évitant que les agents de l’Etat et les institutions publiques commettent des abus dans ce domaine ».
Pour le Premier ministre, le gouvernement doit se rassurer que la prévention et la protection contre les crimes relatifs aux droits de l’Homme sont bien assurées. Il a demandé à la Commission de renforcer son action et de veiller chaque fois, qu’au niveau de l’Etat, de l’administration publique, il y ait le respect des droits de l’Homme.
Par ailleurs, le Premier ministre estime que les observations formulées par le président de l’Assemblée nationale et d’autres députés sont tout à normales. « Dans leur rôle de contrôle des activités du gouvernement, les élus du peuple doivent poser des questions pour obtenir des éclaircissements nécessaires ».
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« Le rapport n’est pas si biaisé »
« D’abord au niveau procédural, ça a été une erreur de la part du président de l’Assemblée nationale de se prononcer sur le contenu du rapport avant que ce dernier ne soit présenté », déplore le député Agathon Rwasa. Il estime que qualifier le rapport de « déséquilibre », n’est pas fondé. Selon lui, la Cnidh n’est pas là pour défendre le pouvoir, mais pour promouvoir les droits des citoyens qui sont abusés par les agents de l’Etat.
« L’Etat a la force de réprimer celui qui enfreint ses lois. La Cnidh est là justement pour essayer de plaider la cause pour qu’il n’y ait pas de débordement ». Et de marteler : « Que l’Etat cherche à ce qu’il soit défendu dans ses droits par la Cnidh, en ce moment l’Etat serait en phase d’abdiquer, de renoncer à son existence parce que l’Etat est garant de la loi ».
Le président du Cnl fait observer que le citoyen peut être victime d’exactions, d’injustice. Alors, tient-il à préciser, les commissions nationales des droits de l’homme viennent à la rescousse de ces citoyens qui peuvent être mis en mal par la force du pouvoir.
« Donc, il n’y a pas de déséquilibre. On peut dire qu’il y a eu carence au niveau des informations, des données qu’ils ont fournies », conclut-il.
En outre, poursuit-il, ce qui gêne les tenants du pouvoir, c’est que ce rapport a osé pointer du doigt certains abus de certaines autorités. « C’est ce qui a dérangé au point qu’on dit que l’on a parlé d’un côté et pas de l’autre. Mais je trouve que le rapport n’est pas si biaisé comme le président de l’Assemblée nationale prétend le faire croire ».
Le député Rwasa estime que le rapport a été fait selon une certaine méthodologie et dans le respect des attributions de la Cnidh. « Retravailler le rapport est inopportun ». Pour lui, le rapport qu’elle a produit ne contrarie pas la loi qui gère cette institution. « Comment est-ce qu’on peut dire que le rapport est à annuler, à reconstituer », s’interroge-t-il.
Il s’insurge contre le format recommandé par le président de l’Assemblée nationale. « J’ai entendu dire que le rapport doit être présenté sous forme d’articles, et d’exposés des motifs. Non, le rapport n’est pas un projet de loi. Ce sont des matières différentes qui sont gérées de manière différente ».
Il plaide pour l’indépendance de la Commission. « La Cnidh est dite indépendante. On ne doit pas lui dicter ce qu’elle doit faire », tout en ajoutant : « Il faut accueillir son travail, non en donnant des critiques, mais en formulant des conseils ».
« Le rapport est appréciable »
« La Cnidh a recouvré son statut A pour ses prestations qui se sont améliorées. Le rapport de la Cnidh est appréciable parce qu’il touche plusieurs secteurs de la vie nationale. Tout ce que nous souhaitons c’est que la Cnidh reste indépendante, impartiale et professionnelle » réagit Kefa Nibizi, président du parti Codebu.
Pour ceux qui disent que son rapport est déséquilibré, il leur demande de se référer à la définition donnée par le président de la commission : « On parle des violations des droits de l’Homme quand il s’agit des actes qui ont été commis par des représentants de l’Etat ou que ces derniers n’ont pas assisté une personne victime de la violation des droits de l’Homme. »
Dans ce cas, M. Nibizi pense que le rapport n’est pas partial. « Car, les crimes commis par des particuliers sont de l’ordre du droit commun que les organes de l’Etat doivent réprimer dans le strict respect de la loi. »
Le président du parti Codebu déplore les cas de disparitions forcées qui ont été épinglés par ce rapport de la Cnidh. « Nous demandons à toutes les instances habilitées de diligenter des enquêtes sur ces cas et de prendre toutes les mesures nécessaires pour que cela ne se reproduise plus. Les disparitions constituent une honte et une insulte pour un pays démocratique. »
Pour lui, aucune circonstance ne peut justifier le recours à ces pratiques. « L’Etat doit toujours veiller au respect des droits fondamentaux de ses citoyens quelles que soient les circonstances. »
Kefa Nibizi estime aussi que s’il y a des actes qui ont été commis par des groupes organisés et identifiés, et qui portent atteinte à la dignité humaine, ces cas devraient figurer dans ce rapport pour le rendre plus exhaustif.
« La Cnidh n’est pas un organe étatique que l’Assemblée Nationale guide comme bon lui semble »
« Il y a un hiatus et une incongruité entre la réaction de l’Assemblée nationale et celle de la Primature. La Primature semble être dans la bonne voie juridiquement procédurale tandis que l’Assemblée nationale a tapé à côté de la plaque », réagit Me Gustave Niyonzima, défenseur des droits humains.
Selon lui, l’article 35 de la loi portant création de la Cnidh stipule que le président de la commission adresse à l’Assemblée nationale et au président de la République un rapport annuel sur les activités de la commission et des rapports sur la situation des droits de l’homme dans tout le pays.
Et cet article même, poursuit-il, stipule que personne n’a le droit d’invalider un rapport de la Cnidh. « D’ailleurs, la CNIDH n’est pas un organe étatique que l’Assemblée Nationale guide comme bon lui semble. C’est un organe indépendant ».
De surcroît, estime Me Niyonzima qu’étant donné que la Cnidh a décortiqué quelques cas des violations des droits de l’homme dans son rapport, elle devait illico prestissimo saisir le ministère public conformément à l’article 4 alinéa 5 de la loi portant création de la Cnidh afin qu’il y ait des enquêtes approfondies, quitte à traduire en justice les auteurs des crimes inhérents aux violations des droits de l’homme documentés.
Pour lui, la demande de l’Assemblée nationale manque de pertinence juridique et de véracité politique car un rapport une fois émis avec des mentions des victimes de disparitions forcées ne peut être revu que si ces personnes disparues, réapparaissent et même comme susmentionné, l’article 4 alinéa 5 de la loi qui régit la Cnidh ne le permet pas.
Cet activiste trouve que la Primature devait exiger la saisine du ministère public pour qu’il y ait enquêtes approfondies et traduction en justice des auteurs des crimes commis. « Sinon, pour les autres cas, ce sera toujours la Cnidh de faire son travail et non l’Etat. »
« Refuser ce rapport, c’est remettre en cause l’indépendance de la commission »
Se basant sur la loi qui régit ladite commission, l’ancien député de l’Uprona revient sur l’indépendance qui n’est pas hypothétique parce que consacrée par la loi qui doit caractériser cette commission.
En effet, tel que stipule l’article 29 de ladite loi : « Dans l’exercice de leurs fonctions, les membres de la Cnidh, ainsi que le personnel d’appui, sont indépendants vis-à-vis de l’exécutif, du législatif, du judicaire, des formations politiques et de quelconques groupes d’intérêt ».
Eu égard à tout cela, M. Sibomana ne voit pas sur quel fondement légal, le président de l’Assemblée nationale pouvait refuser de recevoir ce rapport. « Certes, dans les limites de son pouvoir, il pouvait faire une appréciation. Mais, ce n’était pas de son rôle d’émettre un quelconque jugement parce que le président de la commission ne fait que lui adresser le rapport ».
En jugeant de « déséquilibré » ce rapport, l’ancien porte-parole du courant de réhabilitation de l’Uprona, trouve que c’est comme s’il remet en cause l’indépendance de cette commission, pourtant consacrée par la loi.
Et de poursuivre : « La preuve, c’est que lorsqu‘il a rendu ce rapport à la Primature, le 1er ministre, bien que le rapport indexe le gouvernement d’être l’auteur de certaines violations de droits de l’Homme, il ne s’en est pas pris à lui. Sans doute qu’il a d’abord consulté la loi et comprendre que la Cnidh est dans son rôle ».
Au vu de cet incident, laisse-t-il entendre, l’on peut déjà penser que si jamais le mandat de l’actuel président vient à être renouvelé, il lui sera difficile d’être reconduit. « D’autant que les commissaires sont élus par l’Assemblée nationale, il est clair que son président ne sera pas favorable au renouvellement de son mandat », conclut-il.
« L’Assemblée nationale a le plein droit de rejeter le rapport de la Cnidh »
Le président de l’organisation de la société civile, Parcem, indique que la Cnidh est une institution indépendante vis à vis du gouvernement. D’après lui, toute institution indépendante à l’endroit de l’Etat doit rendre des comptes à l’Assemblée nationale. « Donc cette affaire devrait rester entre la Cnidh et l’Assemblée nationale. »
Pour Faustin Ndikumana, L’Assemblée a le plein droit de critiquer ou rejeter le rapport de la Cnidh. Cette dernière devrait, dans l’indépendance totale, tenir compte des observations de l’Assemblée nationale.
Il explique que même le Premier ministre doit rendre des comptes à l’Assemblée nationale. « Donc l’Assemblée est au-dessus de la Primature et la Cnidh doit se conformer sur les observations de l’Assemblée nationale. »
Cet acteur de la société civile estime normal que ces deux institutions, l’Assemblée nationale et la Primature, ne s’accordent pas sur un rapport. Car ce sont deux institutions différentes. « Le pouvoir exécutif et législatif sont différents et indépendants. C’est pourquoi l’on parle de séparation des pouvoirs. »Toutefois, l’Assemblée nationale ne devait pas taxer la Cnidh de s’être penché sur les actions de l’Etat seulement, dans le rapport. Car quand l’on parle de violation des droits de l’Homme, ça implique un représentant du gouvernement. C’est normal que le rapport parle de l’Etat.
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