Interview exclusive avec Léonce | Ngendakumana :« Au Burundi, les partis politiques sont là comme des demandeurs d’emplois »
Le parti Sahwanya Frodebu a consacré les mois de juin et de juillet à la démocratie. Dans une interview accordée à Iwacu, Léonce Ngendakumana, vice-président dudit parti, revient sur l’état des lieux du processus démocratique au Burundi, ses piliers et ses défis.
Quelles sont les raisons qui ont poussé le Frodebu à dédier les mois de juin et juillet à la démocratie ?
C’est pour des raisons en rapport avec les dates historiques pour le parti Frodebu. D’abord, le 1 juin, le Frodebu a gagné les élections présidentielles de façon démocratique. Ensuite, le 29 juin, le Frodebu a gagné les législatives de manière aussi démocratique. Enfin, le 23 juillet, c’est le jour de l’agrément du Frodebu pour travailler après presque 10 ans de clandestinité.
Quel est l’état des lieux du processus démocratique au Burundi ?
Il y a des acquis par rapport à ce que le Frodebu visait dès sa création. En créant le Frodebu, c’était pour refuser qu’il y ait au Burundi un parti unique, un parti-Etat de surcroît, pour entrer dans une démocratie multipartite.
C’est pourquoi en 1992, suite à la pression interne et externe, le pouvoir de l’époque, dirigé par feu président Pierre Buyoya, a été contraint de promulguer une Constitution qui consacre le multipartisme au Burundi.
Nous remarquons qu’il y a, sur le plan politique, des piliers de la démocratie. D’abord, il y a des partis politiques. Le Burundi est passé du parti unique Uprona à plusieurs formations politiques. Aujourd’hui, on compte plus de 36 partis politiques. A un certain moment, on a atteint 45 partis politiques. D’autres piliers sont notamment la naissance des organisations de la société civile et des médias. Malheureusement, certains travaillent en exil et d’autres sont inféodés au parti au pouvoir. Le 4e pilier, ce sont les élections.
Quid des acquis sur le plan économique et social ?
Au niveau économique et social, il n’y a pas encore d’acquis. Sur le plan du développement, le Burundi retourne en arrière. Il est classé dernier pays le plus pauvre du monde et parmi les plus corrompus.
Sur le plan social, la gestion du système éducatif reste problématique. On y voit malheureusement des tâtonnements au niveau des réformes.
Mais, au niveau politique, certains partis politiques n’existent que de nom….
Malgré leurs faiblesses, ils sont là. Ils ne fonctionnent pas comme il faut. Et les raisons sont multiples. Leurs dirigeants sont idéologiquement et politiquement très fragiles. Des cadres d’un parti politique peuvent passer d’un parti à l’autre.
Aujourd’hui, tous les partis politiques – à l’exception probablement du Cnl -, sont sous l’emprise du Cndd-Fdd dans ce que l’on appelle Forum de dialogue des partis politiques. Tous les partis politiques, y compris malheureusement le Frodebu, sont sous la responsabilité du Cndd-Fdd.
C’est une situation grave parce que l’on est en train de cautionner le retour au monopartisme, à un parti-Etat. Malgré cette fragilité, les partis politiques existent. Il y a quand même au moins 4 partis politiques qui pourront se relever. Je citerai le Frodebu, le Cnl, l’Uprona et le Msd, même si sur le papier, on dit qu’il a été rayé mais ses militants sont encore là.
Toutes les tentatives de former une opposition solide des partis de l’opposition ont échoué. Où se situe la problématique ?
La 1e difficulté, c’est de rester prisonnier de notre passé. Nous avons vécu pendant presque une trentaine d’années sur fond de conflits ethniques. Et cela nous lie. Il y en qui ne parviennent pas à s’en détacher et qui vivent dans des ghettos ethniques.
La 2e difficulté, ce sont les intérêts sectaires et égoïstes. Il y a des leaders des partis politiques qui veulent consolider cette opposition, mais qui restent attachés à leurs intérêts égoïstes. L’intérêt personnel prime l’intérêt général. D’où l’on a vu des ailes des partis politiques antagonistes voire irréconciliables.
La 3e difficulté, c’est l’orgueil de certains leaders des partis politiques. Se considérer comme un être supérieur aux autres est un obstacle. Un être qui comprend tout, qui fait tout, qui dit : ‘’ Si ce n’est pas moi ou mon parti politique, rien ne va.’’
Mais petit à petit, l’oiseau fait son nid. Les gens finiront par comprendre qu’en démocratie, il y a un gouvernement avec son programme. L’opposition est considérée comme un gouvernement alternatif, c’est-à-dire si le gouvernement ne satisfait pas la population par ses promesses, l’opposition est là pour corriger. Malheureusement, aujourd’hui, les partis politiques sont là comme des demandeurs d’emplois. En réalité, il n’y a pas de partis politiques de l’opposition au Burundi.
Qu’en est-il des défis à la démocratie ?
Il y a la misère, la pauvreté, le chômage. D’où les partis politiques sont divisés et par conséquent fragilisés. Certains de leurs membres créent des ailes et vont caresser le parti au pouvoir dans le sens du poil. Certains partis politiques deviennent faibles et même disparaissent.
Le 2e défi est le fait de ne pas dépasser notre passé. Le colonialisme nous a plongés dans des divisions ethniques et cela nous poursuit. Des régimes monarchiques, nous sommes entrés dans des régimes républicains, mais malheureusement avec des coups d’Etat. Et cela aussi nous poursuit.
Le 3e défi est constitué par les partis politiques, les organisations de la société civile et les médias qui naissent mais qui chancellent. Ils sont, pour la plupart, inféodés au parti au pouvoir.
Des anciens ténors du Frodebu, comme Jean de Dieu Mutabazi, le président Domitien Ndayizeye, Jean Minani, ont quitté le parti. Allez-vous les accueillir s’ils décident de regagner le bercail ?
Ce ne sont pas les seuls. Nous en avons d’autres qui ont quitté le parti. Ils ont fait ce que l’on appelle la transhumance politique. Au niveau du plan stratégique du Frodebu, il y a tout un chapitre qui est consacré à la réconciliation du parti avec lui-même. Nous voulons que tout ce monde revienne pour reconstituer le parti du héros de la démocratie. La ligne directrice du Frodebu, c’est la vérité, l’objectivité et la tolérance. Il faut appréhender les événements que l’on voit dans la société avec objectivité.
Il faut une ouverture politique et mettre en avant le sens du compromis. Nous allons les accueillir à bras ouverts et il y en a que nous avons déjà accueillis. Il y a des cadres de discussions que nous avons initiés. Il faut reconstituer le parti de Ndadaye pour l’émergence d’une nouvelle génération politique. Notre principal objectif est d’œuvrer pour l’émergence d’une démocratie forte et la promotion d’une nouvelle génération politique au niveau du parti et au niveau national.
Le Frodebu a remporté haut la main les élections de 1993, mais aujourd’hui il est en perte de vitesse vu sa place aux élections de 2020. Espérez-vous qu’il pourra se relever ? Et comment ?
Pour remettre le Frodebu sur les rails, nous allons continuer le combat pour la démocratie. Le parti politique a été victime de deux défis : la fragilité politique et idéologique de ses cadres et militants.
Ces derniers ont migré vers d’autres partis politiques. Il y a eu des divisions. Aujourd’hui, nous avons 6 ailes. Heureusement toutes ses ailes se réclament comme des héritiers de Ndadaye. S’ils le disent avec conscience, il sera facile de nous remettre ensemble pour reconstituer et renforcer le parti.
Un autre défi est que nous avons mis nos cadres et militants à la disposition des mouvements armés. Au fur et à mesure, ils se sont séparés de nous.
Comment sont les relations entre le Frodebu et le Cndd-Fdd ?
Ce sont des relations difficiles. Quand le Cndd-Fdd est arrivé au pouvoir, il s’est apparemment engagé à faire disparaître le Frodebu. Il y a beaucoup de signaux. Ils nous ont écartés. Et ils ont fait miroiter à certains de nos cadres et militants quelques postes. C’est ce que j’ai évoqué précédemment concernant la fragilité politique et idéologique de ces cadres et militants.
Le président Ndayishimiye a récemment dit que la démocratie ne signifie pas partage du pouvoir. Votre commentaire.
Il a parfaitement raison. Ceux qui pensent comme cela sont justement ces gens que j’ai cités qui sont politiquement et idéologiquement fragiles, qui sont des demandeurs d’emplois. Le pouvoir appartient au peuple.
Comprendre la démocratie comme un partage du pouvoir est un grand défaut, un défi parce qu’il y a des partis qui se sont créés dans le but d’avoir des postes.
La démocratie ne signifie absolument pas partage du pouvoir. C’est plutôt la gestion d’un Etat sur base des valeurs, des principes, des options, des orientations et des objectifs démocratiques. C’est la transparence dans la gestion de l’Etat via la bonne gouvernance.
Il y a des personnes qui confondent la démocratie et les élections, pensant qu’après, les élections ils vont avoir des postes. Des partis politiques qui, à la veille des élections, disent soutenir le parti présidentiel. En réalité, cela signifie qu’ils n’ont pas de programme à présenter à la population.
Le parti Cnl se voit refuser la célébration de son 3e anniversaire à certains endroits par certains administratifs. Est-ce que cela ne vous inquiète pas du moment que dans deux ans on entre dans les législatives ?
Absolument. Cela traduit l’intolérance politique alors qu’en démocratie il faut de la tolérance politique. Il faut écouter les idées des uns et des autres. En substance, la démocratie est en danger.
Propos recueillis par Félix Haburiyakira
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