aoû
13
2022

Au Coin du feu avec Vénuste Niyongabo

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Vénuste Niyongabo.

Votre qualité principale ?

Ambitieux. Sans cesse, je suis en train de me fixer de nouveaux objectifs.

Votre défaut principal ?

L’obstination. Lorsque j’ai une idée en tête, j’y vais à fond.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

La disponibilité et l’honnêteté. Tu peux ne pas être qualifié, mais être indispensable qu’une personne qualifiée.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?

La malhonnêteté.

La femme que vous admirez le plus ?

Cette femme soucieuse du bien-être de sa famille. Qui n’a pas peur de dire tout haut voire de punir quand c’est nécessaire.

L’homme que vous admirez le plus ?

Cet homme épris de l’honnêteté, du respect d’autrui. En tant que personne, j’admire aussi les efforts que le président Ndayishimiye est en train de déployer pour remettre le pays sur les rails.

Votre plus beau souvenir ?

Lorsqu’on m’a annoncé que j’avais réussi le concours national. En quelque sorte, c’était un passage de témoin entre l’enfance et le monde des adultes. Dans le voisinage, les gens commençaient à me regarder différemment. Dans leurs yeux, je pouvais déceler une certaine estime. L’autre beau souvenir, c’est ma médaille d’argent remportée à Séoul en 1992 aux 4e championnats juniors du monde d’athlétisme. Beaucoup des gens pourraient dire l’or des JO d’Atlanta en 1996. Mais cette médaille de Séoul a été un acte fondateur. Ce jour-là, Vénuste le simple athlète est devenu Vénuste, l’athlète professionnel.

Avez-vous une devise ?

La citation de Baden Powell : « Essayez de quitter cette terre en la laissant un peu meilleure que vous ne l’avez trouvée et quand l’heure de la mort approchera, vous pourrez mourir heureux en pensant que n’avez pas perdu votre temps et que vous avez fait de votre mieux. »

Au fait, comment êtes-vous devenu athlète international?

Honnêtement, un concours de circonstances. Après avoir réussi le concours national en 1987, j’ai commencé à ressentir des douleurs indescriptibles au niveau des membres inférieurs. Mes pieds étaient enflés au point qu’il m’était impossible de rester debout ne fût-ce que trois minutes.

Dans l’entourage, ils ont commencé à murmurer que j’aurais été ensorcelé. Des rumeurs de courte durée, car, une parenté m’a emmené à l’hôpital. C’est là que l’on m’a diagnostiqué des rhumatismes.

Qu’est-ce qui s’est passé après ?

Après une hospitalisation de trois semaines, je suis retourné à la maison. Tellement traumatisé à l’idée de ne plus marcher. Un jour lors d’un contrôle, un médecin m’a conseillé de faire du sport quotidiennement. Une prescription médicale qui deviendra mon gagne-pain. C’était le début d’une grande histoire d’amour avec l’athlétisme. Quand bien même il faisait un froid de canard, je m’efforçais à courir.

Mais vous n’étiez pas un grand sportif…
Si. Je jouais au volleyball, handball. Mais, j’étais de loin le meilleur. Il a fallu les compétitions interscolaires pour que j’éclose au niveau national. Orienté au lycée Mabanda, j’ai commencé à me faire un nom. Certes, il n’y avait pas cette préparation minutieuse. Mais, tous les encadreurs sportifs étaient unanimes. Je dégageais cette posture d’un bon athlète en devenir. Une bonne foulée, un corps bien dégagé. Sans distance fixe, durant l’année scolaire 1988-1989, je me suis spécialisé sur le 800 m et le 1500m.

Un choix payant?

Vite payant, d’ailleurs. Parce que c’est au cours de cette année que j’ai tapé dans l’œil d’Adolphe Rukenkanya. A l’époque entraîneur du club Brarudi, il était irrité par le fait que de jeunes élèves remportent les 1res places lors des compétitions nationales avant les athlètes qu’il encadrait.

Sur le coup, M. Rukenkanya, vous a alors recruté ?

Non. Mes parents ont exigé que je termine le cycle inférieur. L’année suivante, j’ai été orienté à l’Ecole Pédagogique de Ngagara. Je vous dirais qu’il s’en est fallu de peu que j’arrête les études pour la simple raison que je ne voulais pas de cette école. Toutefois, un mal pour un bien. A défaut d’étudier, je me suis focalisé sur ma carrière. C’est à ce moment que j’ai commencé à faire des compétitions internationales (Jeux africains en Égypte, Côte d’Ivoire, etc.).Je n’étais pas parmi les meilleurs. Mais, j’apprenais vite de mes erreurs. Chaque fois de retour, lors des compétitions nationales, je surpassais les meilleurs. Une chose que digéraient mal les responsables militaires de l’époque. Un civil qui bat les militaires, c’était impensable.

Je me rappelle bien qu’aux Jeux africains du Caire, j’ai été classé 2e sur le 1500m. Une performance qui m’a ouvert les horizons. De retour au pays, avec 3 militaires (Sirabahenda sur 5000 m et 10.000 m, Ntirampeba sur 3000m et Bigirimana sur 800m), avons bénéficié d’un stage d’entraînement en Italie. Malheureusement, mes trois compatriotes ne sont pas parvenus à y rester. Ils sont revenus au pays. La cause : problème d’acclimatation.

Qu’est-ce qui a fait que vous y « survivez » ?

La rigueur, le sens de responsabilité, cette envie de pousser au-delà de tes limites que Rukenkanya m’avait inculqué. Chez lui, il n’y avait pas de routine. Aucun entraînement ne ressemblait à un autre. Tout était bien régulé, bien spécifique pour chaque athlète. Néanmoins, il exigeait que préalablement, chaque athlète se soit bien échauffé à temps, en phase avec son corps avant les séances d’entraînement proprement dites. Or, les militaires attendaient les instructions de leurs entraîneurs.

Du haut de vos 48 ans, aucun regret particulier ?

Le fait d’avoir changé d’entraîneur après les JO d’Atlanta. Un choix qui m’a porté préjudice. Je pense d’ailleurs qui a mis un coup d’arrêt prématuré à ma carrière. Après cette olympiade, de nombreuses blessures se sont suivies.

Quelle était la cause de cette rupture de contrat ?

Ses méthodes d’entraînement. Pour rester au top de ma forme, j’estimais que je devrais m’entraîner avec les autres. Une stratégie qu’Angelo Bellanova n’épousait pas. Alors, j’ai choisi de m’en passer. Et je suis persuadé que si j’avais eu le soutien de ma fédération, j’aurai bien surmonté cet épisode.

Vous dites que cette transition a précipité la fin de votre carrière. Pourquoi ?

M. Bellanova était conservative. Le contraire du nouveau. Au fond de ce dernier, je pense qu’il s’est dit que comme je suis champion olympique, il fallait qu’il travaille sur ma vitesse. A partir de 1998, j’ai contracté une fracture de stress dont j’ai mis du temps à me remettre.

Quelle image vous vient directement en tête lorsque l’on parle d’Adolphe Rukenkanya ?

Un père, un entraîneur passionné hors pair, un fin tacticien qui savait extraire le meilleur de toi. Plus étonnant, son approche de l’athlétisme. Avec le peu de moyens à sa disposition, peu sont les athlètes qui ont contracté des blessures.

Je me rappelle un jour où avec toute l’équipe nous étions sortis prendre de l’air. Il y avait eu une foire à Kamenge. A notre retour, nous avons trouvé Adolphe tout rouge de colère. Autour d’une vingtaine, il m’a pris le bras pour me mettre de côté. Tout doux, il m’a murmuré : « Tu n’es pas comme les autres. Tu dois bien te comporter ». J’ai été surpris par cette bienveillance parce que je n’étais même pas certain que je serais retenu dans l’équipe de Brarudi. A mon grand étonnement, le lendemain matin, il m’a donné ses propres chaussures avec lesquels il s’entraînait. Je n’en revenais pas. Un clin d’œil prémonitoire qui m’a ouvert les yeux. Cette confiance m’a renforcé.

Il ne vous arrive pas de vous demander pourquoi l’on ne vous a pas encore remercié pour vos loyaux services au pays, à l’instar de Francine Niyonsaba?

Peut-être que mon heure n’est pas encore venue. Est-ce le fait que je ne réside pas au Burundi ? Je ne sais pas….

Quel souvenir gardez-vous lorsque vous avez vu que vous venez d’être sacré champion olympique ?

A cet instant trois choses ont directement effleuré mon esprit. En dépassant la ligne d’arrivée, tu es comme revivifié. Tu ne ressens aucune fatigue. Secundo, une telle performance force le respect. Après le tour d’honneur, les accolades des adversaires qui te félicitent. Tout un stade acquis. L’autre grand moment, ce sont les cérémonies de remise de médaille. L’hymne national de ton pays qui retentit. Et d’un coup, ce nouveau statut. Tu deviens une star internationale. Pour l’anecdote, les Italiens m’avaient courtisé. Mais, l’amour du pays a primé.

Pressenti pour courir sur le 1500 m, contre toute attente, vous décidez de vous aligner sur le 5000m.

Les gens ne savent pas que je m’étais entraîné sur les deux distances. Aussi selon le règlement de la fédération internationale, durant les JO ou les Mondiaux, si dans une même délégation deux athlètes concourent sur une même distance, c’est celui qui a les minima A qui a le droit de courir sur ladite distance. Ce qui était mon cas avec Dieudonné Kwizera. Aussi, au regard de la concurrence sur le 1500 m, les chances de remporter l’or étaient minimes.

Un choix finalement payant ?

Effectivement. Mais si je n’avais pas été sacré champion olympique, m’aurait sans doute valu la prison. Par après, il s’est dit pas mal de choses. Comme quoi j’avais été soudoyé par le staff de Morceli (mon concurrent algérien) pour lui laisser le champ libre sur le 1500m.

Plus d’un parle d’une rivalité « saine » avec Noureddine Morceli. Votre commentaire?

En tous cas, le respect a toujours été mutuel. Même actuellement, nous sommes restés de bons amis. Sinon, je pense qu’en quelque sorte je l’ai aidé dans son business d’athlète.

C’est-à-dire ?

Souvent pour prendre part à une compétition, il y a des primes de participation. Comme la plupart des fois, les organisateurs, histoire de maintenir le suspense chez les supporters, ils évitaient que l’on se retrouve souvent sur piste. Ainsi, chaque fois que j’étais invité dans un meeting dans lequel il ne participait pas, je lui disais le montant que j’ai exigé. De cette façon, il savait à partir de combien il devait négocier lorsqu’il était appelé pour le meeting suivant.

Selon vous, entre Hicham El Guerrouj et Nourredine Morceli, qui était le meilleur?

Morceli. Il ne forçait rien. Bien sûr, Hicham était unique dans son style. Difficile de l’essouffler.

Le meilleur athlète burundais, selon vous?

Francine Niyonsaba. Sa migration vers les distances de fond, sa résilience après les accusations de hyper androgénie. En tous cas, si elle n’avait pas été forte psychologiquement, elle aurait déjà mis fin à sa carrière.

Vous avez été nommé point focal du CNO avec les athlètes boursiers de la solidarité olympique. Quelles sont vos priorités?

Briser cette absence de dialogue entre les responsables en charge de l’encadrement des athlètes et ces derniers. C’est aberrant qu’il y ait des athlètes qui remplissent des minima, mais qui ratent les compétitions. Dans chaque fédération, il y a un directeur technique. Mais à regarder de près ce qui se passe dans la fédération d’athlétisme, je me demande si réellement chacun connaît le rôle dont il est investi : qui fait quoi ? La dernière sortie médiatique de Francine en est révélatrice. Elle traduit un malaise qui doit trouver une réponse. A tout prix, la balance doit pencher à la faveur de nos athlètes.

Votre passe-temps préféré ?

Le Jogging. Si j’ai du temps, je participe dans des meetings internationaux.

Votre lieu préféré au Burundi ?

Chaque endroit est unique de par son caractère singulier au Burundi. Mais si je devais choisir, je jetterais mon dévolu sur la localité qui borde le lac Tanganyika près de Nyanza-lac.

Votre plat préféré ?

Je suis très frugivore lorsque je suis au Burundi. Sinon, lorsque je suis en Italie, j’adore les pâtes.

Si jamais vous êtes nommé ministre du Sport, quelles seraient vos priorités ?

-Faire feu de tout bois afin que soit mise en application la loi sur le sport.

-Faire de l’athlète/joueur, la pierre angulaire de développement dans chaque fédération.

-Pour les fédérations peu enclines au respect des statuts, la loi doit prévaloir.

Le métier que vous auriez aimé exercer ?

Militaire.

Pensez-vous à la mort ?

Absolument. Pour votre information, dimanche 31 juillet, j’ai eu un terrible accident de voiture. Pour tout dire, de près, je l’ai vu. Mais, pour moi, l’essentiel était ailleurs : mon héritage laissé à la postérité. Ce devoir civique d’avoir servi autrui dans le besoin dont je m’attèle à m’acquitter chaque fois que l’occasion se présente.
https://www.iwacu-burundi.org/au-coin-du-feu-avec-venuste-niyongabo/

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