Université du Burundi : Quand les rondes nocturnes tournent mal
Au campus Mutanga, un groupe d’étudiants fait la pluie et le beau temps. Un étudiant est rentré chez lui dans un état critique après avoir été tabassé par ce groupe qui n’a jamais été inquiété. Emile Mailo Nduwimana, l’étudiant agressé, ne peut pas étudier. Il va très mal. Appelée « Rumuri », (lumière en français), l’Université du Burundi brille aujourd’hui par ces bavures. Récit d’une histoire choquante.
Par Fabrice Manirakiza, Hervé Mugisha et Egide Harerimana
Selon un proche d’Emile Mailo Nduwimana, il est arrivé dans sa famille à Buhiga en province Karusi dans un état critique. « Blessé au visage au cou et autour de la gorge. Il a aussi subi des coups dans le dos ». D’après lui, Emile Nduwimana a du mal à manger ou à parler. Il essaie de prendre des médicaments.
Selon un étudiant rencontré au Campus Mutanga ce lundi 26 septembre, le cas d’Emile Mailo Nduwimana n’est pas isolé. Qu’est-ce qui s’est passé. « Emile rentrait au campus aux environs de 22 heures lorsqu’il est tombé dans un groupe d’autres étudiants qui faisaient une patrouille. Ils se sont acharnés sur lui, l’ont torturé. Alors qu’il saignait, ils l’ont amené dans sa chambre au Tropicana 2 numéro 44. Il était déjà dans une situation critique. Des proches de l’étudiant l’ont transporté vers le pavillon 9 à l’aube pour que les étudiants auteurs de ces tortures se chargent des soins ».
Au campus circulent plusieurs histoires d’étudiants torturés dans une « chambre de correction » située dans le pavillon 9 où habitent les représentants des étudiants. Selon lui, un « Inama nshingiro », une place où se rencontrent souvent des étudiants membres du parti au pouvoir CNDD-FDDD a été installée devant ce pavillon. « C’est une place bien aménagée avec des bancs devant l’entrée du pavillon 9. Les autres étudiants qui ne sont pas membres connus du parti au pouvoir ne peuvent pas s’y asseoir. Elle sert aussi de place pour les tortures envers les autres étudiants ».
D’après plusieurs témoignages, des bandes d’étudiants qui font des patrouilles la nuit dans les homes universitaires et torturent leurs confrères existent depuis plusieurs années.
« Je suis arrivé au campus Mutanga en 2019. A mon arrivée, un ami m’a prévenu. Il faut toujours rentrer au campus avant 21 heures pour ne pas tomber dans les mains des groupes d’étudiants qui font des patrouilles ».
Selon lui, rentrer au Campus Mutanga tard dans la nuit est risqué. Les mouvements dans les homes universitaires au-delà de 22 heures sont presque interdits. « En plus de la vie misérable, nous vivons la peur au ventre. Nous sommes tous candidats à ces tortures tant que nous vivons dans ce campus ».
Il regrette que ces groupes de patrouille aillent jusqu’à imposer un couvre-feu dans les homes universitaires. « Ils nous obligent à éteindre la lumière dans les chambres à 22 heures alors que c’est un bon moment pour réviser les cours ou préparer des examens. Si tu résistes, ils te contraignent à ouvrir pour te malmener ».
Réactions
Audace Manirambona, Recteur de l’Université du Burundi : « Les coupables seront sévèrement punis conformément à la loi. »
Donné pour mort après son passage à tabac, l’Université du Burundi sur son compte Twitter s’est empressée de démentir l’information, le 26 septembre. « La Direction de l’Université du Burundi tient à démentir qu’Emile Nduwimana, étudiant en Bac3 à l’ISCO, n’est pas décédé contrairement aux rumeurs qui circulent ». Profitant de l’occasion, elle a assuré que la direction des services sociaux a déjà commencé les investigations afin de faire la lumière sur ce cas.
Des propos corroborés par le recteur de cette institution, Audace Manirambona. Tout en fustigeant cet acte, il indique que les enquêtes pour établir les responsabilités sont déjà en cours. Il assure qu’ils seront d’une sévérité extrême. « S’ils avèrent réellement que ce sont des Imbonerakure fréquentant l’Université du Burundi qui ont tabassé l’étudiant Nduwimana, rassurez-vous, ils seront sévèrement punis conformément à la loi. » Et de prévenir : « Nous ne pouvons tolérer que l’Université soit un lieu pour les malfrats qui prônent la violence ». A la question de savoir si cet étudiant sera dédommagé, M. Manirambona semble botter en touche : « Attendons la fin des enquêtes pour évaluer les responsabilités ».
Agathon Rwasa : C’est une honte.»
« L’université est comme une sorte de pépinière du pays. J’ai du mal à comprendre comment des jeunes qui se préparent à être des gestionnaires de la nation se comportent comme dans une jungle. C’est inimaginable, pour une institution comme l’université, qu’il y ait des gens qui se comportent comme des barbares alors que c’est le milieu où devrait prévaloir la dignité. »
Si la Constitution consacre le multipartisme comme système politique, indique le président du parti CNL, personne ne devrait souffrir ou être inquiété du fait de son appartenance politique. « Personne ne devrait se prévaloir de son appartenance politique pour nuire aux droits des uns et des autres. C’est une honte pour l’université et pour ces jeunes étudiants. C’est une honte pour les cadres de l’université parce qu’ils devraient sévir contre ce système. »
Selon Agathon Rwasa, on voit que c’est le militantisme qui prime sur le mérite. « Si on était dans des postes qu’on mérite, on devrait sévir contre ces comportements anormaux. Au Burundi, il n’y a pas de couvre-feu. Pourquoi est-ce que des étudiants l’imposeraient aux autres ? De quel droit ? Où sont les autorités universitaires pour sévir ce désordre ? Il y a un vide quelque part. L’institution universitaire n’est pas un îlot où on peut se permettre de faire du n’importe quoi. Evidemment, c’est le modus operandi du parti au pouvoir. On voit des comportements du genre un peu partout dans différentes communes. »
Pour lui, si le gouvernement est responsable, il doit comprendre que l’avis des citoyens est quelque chose de très chère. Il devra comprendre qu’il est redevable à la sécurité de ses citoyens et prendre toutes les mesures pour empêcher tous les comportements qui sont contre l’esprit démocratique.
« J’aimerais dire à ces jeunes étudiants qu’ils ne sont pas les premiers à être à l’Université du Burundi. Nous y sommes passés à des moments où on avait un régime militaire à 100 %. C’était l’époque des coups d’Etat. Les militaires décidaient tout, mais je crois qu’on n’a pas assisté à de tels dérapages. On était libre. On sortait et rentrait quand on voulait pour autant que l’on ne nuise à personne. »
A l’époque il y avait un seul parti politique l’Uprona, poursuit M. Rwasa, mais on ne voyait pas des comportements aussi déplacés de la jeunesse de l’Uprona. « Ils ne faisaient pas de rondes nocturnes, ils ne malmenaient personne parce qu’ils n’étaient pas des agents de l’ordre. »
S’il y a une police qui est détachée à l’Université du Burundi, indique le président du CNL, pourquoi est-ce qu’elle brille par un silence absolu et par une absence physique lorsque ces étudiants sont en train d’être malmenés alors qu’ils sont là pour veiller à la sécurité des campus universitaires ?
Il conseille aux jeunes étudiants de ne pas aller au-delà de leurs obligations. « Leurs obligations sont d’étudier. On est à l’ère de la science et de la technologie. Il faut qu’ils brillent par l’intelligence dans les cours. »
Tatien Sibomana : « Les membres du Cndd-Fdd ne doivent pas avoir plus de droits que les autres. »
Tatien Sibomana, acteur politique, dénonce « des pratiques barbares » dans une institution universitaire. D’après lui, l’institution universitaire est là pour former les futurs dirigeants du pays. « On leur inculque une rigueur scientifique, une formation de qualité. Il ne faut pas les entraîner dans des pratiques barbares ».
Pour lui, les autorités de l’Université du Burundi doivent mener des enquêtes pour établir des responsabilités. « Ces étudiants qui ont malmené un autre étudiant sont majeurs et doivent répondre de leurs actes. Ce qu’ils ont fait peut être qualifié “de coups et blessures volontaires graves”. Une infraction prévue et réprimée par le Code pénal burundais. »
Selon Tatien Sibomana, la sécurité de chacun doit être garantie. Il déplore que des autorités rectorales soient allées jusqu’à politiser les organes représentant les étudiants. « La représentation des étudiants sur base politique a été institutionnalisée. Ce qui est de nature à ne pas garder une institution académique, mais politique ».
Pour lui, tous les étudiants ne sont pas obligés d’appartenir à un seul parti politique. C’est la liberté d’association et de mouvement qui doit être garantie par la Constitution. « Tout étudiant n’est pas tenu à être membre du Cndd-Fdd. Les membres du Cndd-Fdd ne doivent pas avoir plus de droits que les autres ou prendre les autres comme des étudiants de seconde zone ».
Cet acteur politique constate que l’université dispose de tout ce qu’il faut pour que les étudiants se concentrent plus à leur mission d’étudier au lieu de s’adonner aux pratiques d’une autre ère. Il parle notamment de l’administration de l’Université, la régie des œuvres universitaires, le service social et un service de sécurité coordonnée par un officier de la police. « Tous ces intervenants concourent à rassurer ces universitaires pour se focaliser aux études. Pas pour se comporter comme des Imbonerakure des collines ».
La meilleure stratégie pour éviter que les choses ne recommencent, explique Tatien Sibomana, est de supprimer sûrement et simplement ces rondes nocturnes de ces étudiants. La sécurité est garantie par l’administration rectorale.
B.S. : « La raison semble avoir cédé la place à l’émotion. »
« L’université est synonyme de l’universalisme et de l’ouverture sur le monde. Pour un pays en voie de développement, la jeunesse estudiantine donne l’image ou le reflet de l’avenir du pays en termes de qualité du leadership », indique un ancien président de l’Association des Etudiants de Rumuri (Asser). Ce qui est à la fois sidérant et regrettable pour les étudiants de l’Université du Burundi, poursuit-il, c’est le constat amer de l’efficacité avec laquelle un lavage de cerveaux a eu ses funestes effets. « La raison semble avoir cédée la place à l’émotion. Ces étudiants à qui on a par ailleurs imposé des conditions de vie insupportables sont toujours enfermés dans des ghettos ou clivages identitaires. Alors que la diversité constitue une richesse, nos jeunes universitaires restent prisonniers d’un passé qui ne passe pas et dont les nageurs en eau trouble exploitent sans aucun scrupule. »
Plutôt que développer un esprit critique indispensable à tout intellectuel, indique B.S, ils se laissent manipuler en se livrant à des actes que même les simples paysans analphabètes n’acceptent plus. « L’excès de zèle et le militantisme primaire poussés par l’espoir de postes de responsabilités non mérités à la fin du cursus sont l’une des causes profondes de ces comportements répréhensibles. »
A notre époque, confie B.S, les militants dans les partis politiques n’étaient pas élus comme représentants des étudiants. « Par ailleurs, s’il est vrai que chaque étudiant a toujours eu le droit d’appartenir à un parti politique de son choix, les casquettes politiques sont normalement laissées en dehors des enceintes de l’université qui doivent être exclusivement réservées aux travaux académiques. » D’après lui, il est grand temps que les responsables de l’université mettent fin à ces pratiques qui risquent d’hypothéquer un avenir radieux et harmonieux dont tous les burundais appellent de tous leurs vœux.
Trois questions au Pr Paul Ngarambe :« Il faut décourager la politisation du milieu académique »
Pour cet universitaire, les sévices infligés à l’étudiant Emile Nduwimana constituent un retour en arrière extrêmement dangereux pour toute la société.
Pour une institution comme l’Université du Burundi que signifie l’acte posé par les étudiants ?
Il faut d’abord souligner que l’acte en question est vraiment ignoble indépendamment des auteurs quels qu’ils soient, et s’il s’agit de jeunes qui s’arrogeraient le droit de « punir » un de leurs condisciples en s’appuyant sur leur appartenance à un parti politique, fût-il celui pour le moment au pouvoir, ça serait très grave. Pour ce, les autorités doivent agir et réagir de manière à décourager de tels comportements. Cerise sur le gâteau, les autorités habilitées ont fait savoir que des enquêtes sont en cours, et que des sanctions sévères seront prises à l’endroit des responsables. Pour revenir à votre question, les sévices infligés à l’étudiant Emile Nduwimana connotent simplement un retour en arrière extrêmement dangereux pour toute la société.
Des sources concordantes rapportent des étudiants Imbonerakure qui montent des gardes et font des rondes nocturnes. Ceci au vu et au su des autorités de l’UB. Votre réaction.
Encore une fois, l’identité de l’Université du Burundi (UB), c’est d’être le « Grenier du savoir ». Il convient de rappeler que dans les objectifs de la pédagogie universitaire, en plus et dans le prolongement du « savoir », il y a aussi le « savoir-être » et le « savoir-devenir ».
Personne ne pourrait dire que ce qui a été fait à l’égard de l’étudiant Emile Nduwimana en guise de « punition » est de nature à lui augmenter le bagage du savoir qu’il est venu chercher à l’Université du Burundi. Personne non plus ne pourrait dire que ce qui a été fait à l’égard de cet étudiant en guise de « punition » est de nature à lui assurer le savoir-être quand il aura terminé ses études universitaires. Personne ne pourrait soutenir que ce qui a été fait en guise de « punition » est de nature à lui garantir le savoir-devenir pour sa vie future. De tels comportements sont simplement à proscrire. Encore une fois, je pense que les jeunes qui ont infligé de tels sévices à l’étudiant Emile Nduwimana, l’ont fait sans pour autant que les autorités étaient soient au courant.
Face à cette « politisation » du milieu académique, qu’est-ce qui devrait être fait ?
La politisation du milieu académique est inappropriée, elle est à décourager. A cet effet, les autorités de l’Université du Burundi doivent s’employer à barrer la route à la politisation du milieu académique et elles ont à leur disposition les outils de la pédagogie universitaire à mettre en œuvre dès l’entrée d’un étudiant à l’Université. A savoir, « un vade-mecum » devrait être préparé pour indiquer, expliquer et présenter à l’étudiant comment il doit se comporter. Dans le cas contraire, des sanctions doivent être prévues pour ceux qui afficheraient des comportements peu exemplaires.
J’insiste sur l’initiation à la vie académique avec des outils appropriés. J’insiste également sur la surveillance qui doit continuellement être exercée par les autorités, dans leurs attributions, doivent veiller à la qualité, une bonne harmonie dans le milieu académique dans le but de dispenser le « savoir » et viser le « savoir-être » et le « savoir-devenir ».
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