jui
22
2021

22 juillet, « jour de Jean » : Une famille résignée, mais digne

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Le père (chapeau) et le petit frère de Jean Bigirimana discutent avec Abbas Mbazumutima

Jean Bigirimana est porté disparu depuis le 22 juillet 2016. Une équipe du journal Iwacu est allée rendre visite à sa famille, à Cankuzo. Un moment d’émotion intense.

5 ans que Jean Bigirimana est « porté disparu ». Une phrase très lourde au Burundi. Notre collègue a été enlevé le 22 juillet 2016 à Bugarama en province Muramvya. Pour Iwacu, c’est comme si c’était hier. Les souvenirs sont vivaces. Un appel à la rédaction d’une personne inconnue. Depuis un petit kiosque à Bugarama, il nous annonce que « Jean vient d’être embarqué ». Un dernier coup de fil de Jean un peu plus tard, une voix à peine audible. Peut-être qu’il avait déjà compris que c’était son dernier message. Puis, il y a eu nos recherches, toute une rédaction mobilisée. Nous avons arpenté monts et vallées dans la région où notre collègue a été aperçu pour la dernière fois. Il y a eu cette information donnée par un habitant du coin qui nous a dit de « chercher du côté de la Mubarazi, dans une sorte de crevasse. » Et là, nous avons découvert deux corps boursouflés, flottant dans la Mubarazi. Une vision horrible. L’un des corps a été décapité. En état de décomposition avancé, impossible de les identifier. Jean était-il un des deux ? Personne ne peut le dire. HRW et Iwacu demanderont aux autorités de réaliser un test ADN sur les deux corps. En vain.

Cinq ans sont passés. Il est 11 heures ce dimanche 18 juillet. L’équipe d’Iwacu arrive au chef-lieu de la province Cankuzo. Le petit-frère de « John », comme il l’appelle affectueusement, nous attend.

Il nous reconnaît, car ce n’est pas la première fois que des journalistes d’Iwacu se rendent chez Jean Bigirimana. On prend la route Cankuzo-Mishisha. Arrivée chez « John ». Son père est là, il nous attend ainsi que les autres frères de Jean.

Sa mère est retenue à Bujumbura. Les voisins de la famille nous regardent curieusement. Nous entrons dans la maison.

Une chose nous frappe : quelqu’un ferme immédiatement la porte à clé après notre entrée. On n’ose pas demander pourquoi. Besoin d’intimité ? Peur ? Peut-être que la petite famille éprouvée ne veut pas ameuter tout le village.

Le chef de la délégation et directeur des rédactions, Abbas Mbazumutima, prend la parole. Le moment est solennel :« Nous sommes venus voir comment se porte la famille de notre frère Jean Bigirimana et la consoler. Nous ne ménageons aucun effort pour savoir ce qui lui est arrivé. C’était un journaliste intrépide et intègre ».

Le père de Jean est visiblement ému. « Vous êtes les seuls à s’intéresser à nous. On n’a jamais vu d’autres personnes venir nous voir après ce qui s’est passé ».

A qui demander des comptes

Le père est triste, mais il reste souriant. Aucune colère, aucun mot déplacé. Sa douleur, on ne la voit pas. On la devine, profonde. Il n’accuse personne. Juste quelques mots qui traduisent une sorte de résignation. « On ne sait plus à quel saint se vouer. On aimerait savoir ce qui s’est passé. Merci au Journal Iwacu de se souvenir de lui. »Le père de Jean Bigirimana incarne cette dignité des vrais Bashingantahe qui gardent la maîtrise de leurs sentiments dans toutes les circonstances.

Le petit-frère de Jean Bigirimana lui est dévasté. « John était le pilier de la famille. C’est lui qui subvenait aux besoins de notre famille qui payait le minerval des petits frères et petites sœurs ». C’est une famille modeste.

Selon lui, il était toujours aux côtés de ses frères et sœurs. « La perte est énorme. Le chagrin est immense. Mais, à qui demander des comptes ? » La question du père de notre collègue reste sans réponse.

Le petit-frère de Jean nous dit qu’il a appris qu’il y a une grande photo de son frère affichée dans la cour du Groupe de presse Iwacu. « J’aimerais un jour venir la voir et me recueillir. Vous avez fait une bonne chose ».

Il nous exhorte de demander à tout bienfaiteur potentiel d’aider l’épouse et les enfants de notre collègue qui vivent démunis en exil. « Ils ont besoin d’un soutien matériel et moral. »

Puis, au nom d’Iwacu et de tous les journalistes, Abbas Mbazumutima va remettre à la famille quelques vivres et une modeste enveloppe. Dans le petit salon, avec la famille, nous parlons peu. Une sorte de communion, en silence. Chacun pense à Jean Bigimana et cette question toujours atroce. « Où-est-il ?»

https://www.iwacu-burundi.org/22-juillet-jour-de-jean-une-famille-resign...

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