oct
04
2022

Au Burundi, le tourisme peine à décoller malgré ses atouts

En moins d’un mois, deux évènements régionaux à caractère touristiques se sont déroulés à Bujumbura. La 5e édition de Jamafest et la 2e édition de la Conférence et exposition régionale du tourisme (EARTE2022). Une occasion en or pour le Burundi de vanter ses richesses touristiques. Néanmoins, le chemin reste long pour être plus rentable.

« Le tourisme étant un des secteurs d’activités dynamiques et moteur de la croissance économique à travers la création de l’emploi, la promotion des produits locaux, la promotion de la culture ainsi que la promotion du patrimoine naturel des pays, le tourisme contribue de manière directe ou indirecte au développement socio-économique des pays », a déclaré Mme Marie Chantal Nijimbere, ministre du commerce, des transports, de l’industrie et du tourisme, samedi 23 septembre, lors des cérémonies de lancement de la 2ème édition de la Conférence et exposition régionale du tourisme.

Selon elle, il est grand temps de conjuguer les efforts pour exploiter les potentialités existantes dans le respect strict des normes. « Et ce, afin de préserver le tourisme comme créateur d’emploi, source de revenus et aussi préservateur des ressources culturelles et naturelles ».
D’après Mme Nijimbere, le Burundi est fortement engagé à la promotion du tourisme durable à travers des politiques, des stratégies et des mécanismes favorisants. Elle a affirmé que la volonté politique est là pour booster ce secteur.

« Le Burundi dispose de tout ce qu’il faut pour la croissance du secteur du tourisme », a souligné, à son tour, Prosper Bazombanza, vice-président de la République.
Procédant au lancement officiel de cette exposition touristique, il a cité les paysages naturels, le tambour burundais, un riche patrimoine culturel, des parcs nationaux abritant des chimpanzés, des buffles, le climat, etc.
Cependant, a-t-il déploré, toutes les potentialités touristiques ne sont pas pleinement exploitées, valorisées.

Des patrimoines touristiques non valorisés
Parmi les sites touristiques dont dispose le Burundi, des parcs nationaux. Malgré leurs richesses fauniques et végétales, leur préservation n’est pas effective.

Non loin, à l’Ouest de Bujumbura, la capitale économique, le parc national de la Rusizi. Etendue sur 10.673 hectares, selon Pacifique Ininahazwe, le conservateur en chef du parc national de Rusizi, il fait partie de ce qu’on appelle les sites AMSAR. Ce qui fait allusion aux endroits humides.
Traversé par la rivière Rusizi dont il porte le nom, il héberge des hippopotames, des crocodiles, des oiseaux locaux et migrateurs, antilopes, différentes espèces de serpents, etc.

Il est divisé en deux secteurs : le secteur Delta avec 1363 ha et la partie palmeraie communément appelé Rukoko avec 6473 ha avec autour ce qu’on appelle les zones tampons. « C’est un parc qui est riche, naturel. Sa végétation est dominée par les roseaux », décrit M.Ininahazwe.

En ce qui est des menaces, il signale que le secteur delta est moins menacé par rapport au secteur palmeraie. Il cite ici des gens qui défrichent pour les terres cultivables, la pêche illicite, des gens qui y vont à la recherche du charbon, ceux qui y cherchent de l’herbe de pâturage, ceux qui y font du paquage des animaux, le braconnage y est aussi exécuté. Il souligne que c’est souvent qu’on découvre des squelettes d’animaux tués, d’autres tombés dans des pièges, etc.

M.Ininahazwe évoque aussi le manque du personnel. « Par exemple, au niveau du secteur palmeraie, on a que 8 écogardes. C’est vraiment très peu pour protéger toute une étendue de 6 mille ha. C’est un grand défi », déplore-t-il. Pire encore, il signale qu’ils ne sont pas bien équipés. « Les moyens de communication par exemple. Et pour bien assurer la surveillance, ils ont besoin aussi des moyens de déplacements, des équipements de surveillance, des armes pour se protéger parce que des fois on rencontre des gens qui sont aussi armés », énumère-t-il.

Seulement deux vieux miradors (point d’observation) sont installés pour pouvoir observer les animaux dans la rivière Rusizi. Et ils sont difficilement accessibles suite aux conséquences des crues de la Rusizi de mai 2021.

La situation est presqu’identique au parc national de la Ruvubu. Situé au nord-est du pays, il s’étend sur 50.800 hectares et se prolonge jusqu’en Tanzanie. Il est traversé par la rivière Ruvubu dont il porte le nom. Ses collines, ses vallées, ses plaines, les zigzags de la rivière Ruvubu, sa végétation verdoyante à perte de vue offrent une vue panoramique splendide. Le parc national de la Ruvubu abrite des buffles, des antilopes, des hippopotames, des primates, des oiseaux, etc.

Néanmoins, déplore Roger Niyonkuru, son responsable, malgré ses richesses fauniques et végétales, les garde-forestiers restent très peu et mal équipés pour protéger par exemple les animaux susceptibles d’attirer beaucoup de touristes.

Il donne l’exemple du secteur Muremera s’étendant sur 23100 hectares : « Là, nous n’avons que dix éco-gardes. Vous comprenez très bien que c’est quasiment impossible de protéger efficacement et effectivement cette zone. »

Côté guides touristiques, il n’y a que trois : « Ce qui fait qu’en cas de beaucoup de visiteurs, il leur devient très difficile de faire leur travail. » Les pistes pour les touristes ne sont pas bien aménagées et pas de gîtes et maisons d’accueil des touristiques.

Idem au sud du pays. Le cas de la réserve forestière de Kigwena est illustratif. Se trouvant en zone Kigwena, commune et province Rumonge, elle s’étend sur 565 hectares. Elle est limitée à l’ouest par le lac Tanganyika. Une forêt péri-guinéenne classée parmi les zones importantes pour la conservation des oiseaux (ZICO) du Burundi, selon Célestin Mbazumutima, éco-garde responsable de cette aire protégée.

« Une de ses deux parties renferme des hauts arbres plantés à l’époque belge en 1958 tandis que l’autre partie qui accède au lac est peuplée d’arbres sauvages. On y trouve beaucoup de lianes. Et ces lianes montent beaucoup en hauteur et font que la partie basse de cette réserve soit très froide. Et l’humidité fait qu’il n’y ait pas de feux de brousse. C’est l’autoprotection », décrit-t-il.

Il s’agit d’après lui, d’une forêt ombrophile : « Les rayons solaires n’atteignent pas le sol. Il y a des arbres fruitiers consommés durant la saison sèche par les animaux et par les riverains. »

Une réserve forestière de Kigwena qui compte beaucoup des plantes médicinales. Et malgré ses richesses, elle n’est pas convenablement protégée.
D’après M. Mbazumutima, seulement deux éco-gardes, mal équipés, mal habillés veillent sur les 565 hectares. Riverains de différents villages de rapatriés ou des déplacés soit des inondations ou des éboulements des montagnes, elle subit régulièrement les assauts de ces populations qui recherchent les ressources naturelles, détruisent les habitats des animaux.

Les pistes pour les touristes ne sont pas aménagées, et pas d’abris en cas de pluie ou un lieu d’accueil pour les visiteurs.

Des propositions pour booster le secteur
Professionnaliser le tourisme, mettre en avant les originalités, impliquer les communautés, avoir un cadre légal…des pistes pour rendre le tourisme burundais plus rentable, selon certains acteurs.

Déo Ngendahayo
« Le tourisme est un secteur, s’il est bien conçu, qui peut répondre aux défis majeurs qui se posent à notre pays. Premier c’est le manque de devises, le 2ème c’est le chômage des jeunes formés. Le tourisme, à court terme, s’il est bien conçu je le répète, peut apporter une solution à ces deux problèmes, à ces deux défis. Mais encore faut-il savoir ce qu’il faut faire », analyse Déo Ngendahayo, ancien directeur de l’Office national du tourisme (ONT).

Insistant sur les faiblesses, il indique d’abord qu’au Burundi, souvent, les gens confondent le tourisme et le loisir. « Là, ça ne va pas. Le jour où les Burundais se rendront compte que le tourisme est une véritable industrie, qu’il faut l’organiser comme telle, là on aura touché à la solution importante pour notre pays ».

D’après lui, le Burundi dispose de beaucoup de sites touristiques. « Mais, ils sont à l’état brut. On vous dit la source du Nil. Quand vous allez là, vous quittez votre pays, je ne sais pas en Nouvelle Zélande, quand vous arrivez là-bas, vous êtes déçus. Parce que c’est un petit robinet qui coule. »
Il déplore que nos sites touristiques ne soient pas mis en valeur. « Ils ne sont pas présentés pour être commercialement vendables. Il y a le parc de la Ruvubu, il y a les chutes de la Karera. Quand vous allez voir ces chutes par exemple, c’est très difficile de les voir, parce que l’accès est difficile. Tout cela, ce sont des choses qu’il faut faire. »

Le tourisme comme profession

« Il faut d’abord professionnaliser le secteur. Nous devons absolument créer une société dans le cadre du partenariat public-privé (PPP) qui s’occupe de ce secteur. Le gouvernement aurait son rôle ; c’est-à-dire mettre à la disposition de cette société des sites touristiques qui seront réhabilités, qui seront aménagés de telle sorte que ça soit plus attractif, le gouvernement aussi a un rôle de formation », propose M.Ngendahayo.

Selon lui, il faut des professionnels dans le domaine. Pour le moment, poursuit-il, on n’a pas de gens formés réellement, il y a très peu qui savent comment accueillir les gens, quel est le tour opérateur au niveau des restaurants, les chefs ne sont pas tout à fait à la hauteur, la salle n’est pas bien organisée, le service n’est pas standard international. Bref, se résume-t-il, le gouvernement a sa responsabilité dedans. « Donc, il ferait en sorte que cette société soit mise en place. On ferait une société mixte qui aurait le niveau de la Brarudi par exemple et le gouvernement participerait dans le capital avec ses sites, avec tout son patrimoine touristique et il mobiliserait les investisseurs locaux».

Il trouve d’ailleurs que beaucoup d’investisseurs locaux s’intéressent déjà à ce secteur. Malheureusement, déplore-t-il, ils le font à titre individuel. « Il faut trouver aussi un partenaire stratégique à l’étranger. Un professionnel qui viendrait nous aider à aménager ces sites, à les localiser, à créer d’autres sites, à les aménager convenablement, d’une manière attractive ».

D’après lui, ce n’est pas n’importe qui qui peut le faire mais des gens qui connaissent ce métier. « Il ferait la gestion de cette société. Donc, partenariat dans le cadre du PPP, voilà une piste qui pourrait lancer le tourisme burundais dans très peu de temps. »

Il propose aussi la promotion du tourisme domestique : « Les Burundais ne sont pas nés touristes, il faut les intéresser. Quand vous voyagez, il faut que ça se fasse dans des très bonnes conditions, être bien accueillis. »
Pour booster le tourisme, il suggère de commencer par le tourisme de la sous-région : « Parce qu’ils sont plus faciles à amener, ils sont moins exigeants par rapport aux touristes américains, chinois, ou européens, etc. »

Il mentionne d’ailleurs que le tourisme est transversal : « Si les touristes arrivent, ce sont les moyens de communication, ce sont les banques, ce sont les assurances, c’est l’artisanat, tout le monde en bénéficie.»

Compter sur les unicités
Pour Léonidas Nzigiyimpa, expert en écotourisme, le secteur touristique est au point mort au Burundi. « Il n’est pas suffisamment exploité. Il n’est pas suffisamment valorisé. Les infrastructures sont encore à développer mais également les comportements et les mentalités des Burundais. »

Pour lui, les potentialités sont nombreuses. « Seulement, elles restent à être valorisées. » Ce qui passerait selon lui par l’amélioration de l’accueil des visiteurs surtout sur les postes frontaliers. « Quelles sont les facilités pour avoir le visa ? Il faut développer les services notamment comment accueillir les visiteurs, la restauration et l’accommodation des logements et des visiteurs. Il faut vraiment relever le niveau. Car, quand on regarde ce qui se passe à l’état actuel des choses, on voit qu’il y a énormément beaucoup de choses à faire. »

Pour lui, le Burundi doit fournir beaucoup d’efforts. « Car, nous sommes entourés par des pays avec des très grandes potentialités touristiques et qui sont très avancés en la matière. Ils vivent d’ailleurs pour la plupart du tourisme. »

Ce qui signifie que dans notre région, il y a une très forte compétition. Et là, M.Nzigiyimpa trouve que le Burundi devait exploiter les spécificités propres. Il parle ici par exemple des plages du lac Tanganyika, des chutes de Karera, des failles de Nyakazu, etc. « Je pense que s’il faut faire le tourisme basé sur l’observation des grands mammifères, là, les visiteurs voudront aller dans les pays voisins. Parce qu’ils sont plus nantis. »

Former et intéresser les communautés

Jean-Baptiste Havugimana
« Pour développer le secteur touristique, il faut impliquer les communautés, les proches des sites touristiques », souligne Jean-Baptiste Havugimana, directeur des secteurs productifs au secrétariat de la CAE. Selon lui, il faut que les communautés puissent bénéficier des entrées en provenance du tourisme. « Les pays devaient le faire à telle sorte que ces populations constatent qu’elles ont gagné quelque chose parce que les sites sont visités. Là, elles vont constater que c’est important pour eux, que ce sont des sites à protéger parce que ça fait entrer de l’argent. » Il trouve que c’est de cette façon qu’on pourra arriver à un tourisme durable et stable.

Il propose aussi de développer le tourisme agricole. Ici, il fait allusion à la forêt Ikibira où sur lisières, on y trouve des grandes plantations du thé. « Là, c’est très agréable à voir. D’un côté, des grandes étendues de plantations de thé. Une verdure à perte de vue. Et de l’autre côté, on peut voir des grands arbres, des animaux, etc. Ce qui signifie qu’un touriste peut venir ici pour une double mission : voir le thé et la forêt. »

Il mentionne d’ailleurs qu’il ne faut pas seulement se contenter des sites touristiques déjà existants. « Il faut créer, imaginer d’autres éléments touristiques pour attirer les visiteurs. Il faut qu’on valorise les pratiques ancestrales pour que les étrangers viennent voir ce qui faisait la vie de nos ancêtres, nos traditions très riches. »

La publicité
Pacifique Ininahazwe
De son côté, Pacifique Ininahazwe, responsable en chef du parc national de la Rusizi, indique que pour améliorer ce secteur, il faut d’autres aménagements : « C’est ce qu’on demanderait au gouvernement de faire. Il faut aménager ce parc d’une façon que les gens puissent le connaître, aimer et venir le visiter. »

Il ajoute le volet publicité, promotion : « On a besoin de faire connaître nos aires protégées, nos sites touristiques pour que les gens puissent les savoir même étant loin. Parce qu’on trouve que même les Burundais les ignorent vraiment. On a besoin de s’asseoir, de penser quoi faire, quoi améliorer pour attirer beaucoup de touristes. »

Il trouve que c’est important d’installer des panneaux publicitaires dans certains endroits comme à l’aéroport, dans les ronds-points, les grands lieux de rencontre… qui montrent les richesses touristiques du Burundi. Et là, il précise qu’on doit préciser la localisation, les richesses animales ou végétales de tel ou tel autre parc national, etc.

M.Ininahazwe indique qu’il est aussi important d’avoir dans ces parcs, sites touristiques…des lieux de rafraîchissement pour les touristes. Un projet qui lui tient d’ailleurs à cœur pour le parc national de la Rusizi. « Avec de tels endroits, je pense qu’on pourra avoir des touristes qui préféreraient passer toute une journée dans notre parc en train de contempler la nature. Mais, s’ils ne trouvent pas de quoi manger, un lieu aménagé pour se détendre et bien observer, ils vont y passer peu de temps».
Il demande aussi aux journalistes burundais, aux médias d’aider dans la promotion du tourisme. « Ce qui passerait par faire connaître d’abord ces sites touristiques, leurs richesses, etc. »

Et le cadre légal
Pour sa part, Dative Uwimana, gestionnaire de la société Tour Opérateur du Burundi, les sites touristiques du Burundi sont magnifiques mais pas bien aménagés, valorisés. Pour ce faire, elle trouve qu’il est important d’avoir une politique nationale ou une loi du tourisme au Burundi. « Parce que même nous qui travaillons dans ce secteur, il n’y a pas de régulation. On a vraiment besoin de cette loi. Nous l’attendons impatiemment. »

Elle ne doute pas qu’une fois cette loi mise en place, il y aura aussi des stratégies concrètes de développement du tourisme. Dative Uwimana demande en outre au gouvernement de travailler avec les privés. « Parce que c’est nous qui sommes chaque fois au terrain. Nous connaissons les forces et les faiblesses. Je crois que s’ils nous impliquent dans toutes ces décisions, dans l’élaboration de ces stratégies, on aura beaucoup à contribuer »
https://www.iwacu-burundi.org/au-burundi-le-tourisme-peine-a-decoller-ma...

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