sep
17
2022

Au Coin du feu avec Me Etienne Ntiyankundiye

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Me Etienne Ntiyankundiye.

Votre qualité principale ?

Dire la vérité.

Votre défaut principal ?

Il est difficile de le dire. Ce sont peut-être les autres qui peuvent le dire.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

Je préfère la sincérité.

Le défaut que vous ne tolérez pas chez les autres ?

Je ne tolère pas le mensonge.

La femme que vous admirez le plus ?

J’admire Margueritte Barankitse pour ses immenses œuvres réalisées au Burundi.

L’homme que vous admirez le plus ?

J’admire John Kennedy.

Qu’est-ce qui vous a poussé à embrasser la carrière d’avocat ?

Quand je suis arrivé au Burundi après mes études en Belgique, j’ai trouvé une justice qui était déséquilibrée. Il y avait des conflits entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif. Il y avait des problèmes entre le ministre de la Justice, le procureur de la République et le président de la Cour suprême de l’époque. Ils ne s’entendaient pas sur la façon de mener la justice.

Au départ, on voulait que moi aussi j’occupe un poste au sein du pouvoir judiciaire. Mais j’ai trouvé qu’on n’avait pas la même conception de la justice. A l’époque, je ne sais si cela a changé aujourd’hui, le ministre de la Justice voulait diriger le parquet et la Cour suprême. C’est une conception de la justice que personnellement je n’acceptais pas et qui ne peut pas être acceptée dans les institutions judiciaires.

Vous vous insurgiez donc contre l’ingérence du pouvoir dans la magistrature…

Il fallait faire un choix d’être magistrat ou être avocat. Personnellement, je ne pensais pas si je devais mener une carrière au sein de la justice. Je ne pouvais pas accepter qu’une justice soit dépendante du pouvoir politique. On voulait que je sois procureur à l’époque.

Il y avait encore à l’époque un procureur du roi, c’était déjà sous la monarchie. Si je suis procureur du roi, il faut que je puisse avoir une indépendance totale pour bien mener mes actions au sein de la magistrature. Il faut qu’il ait toute la latitude pour être juge indépendant.

J’ai choisi alors de ne pas dépendre, en tant procureur, du ministre de la Justice. Je réclamais une indépendance totale de la magistrature. La magistrature ne peut pas dépendre d’une institution autre que la magistrature elle-même. Tant qu’il y a une dépendance, ça ne rassure pas les citoyens.
J’ai remarqué que dans la magistrature cette indépendance ne sera pas garantie. C’est pourquoi j’ai choisi d’être avocat pour être plus au moins indépendant.

Des ambitions aussi dans votre jeunesse ?

Dans mon jeune âge, j’ai toujours aimé la justice. Sans la justice, les orphelins ne peuvent pas avoir leurs droits. Sans la justice, les veuves ne peuvent pas avoir leurs droits.

Quand je suis né mon père était mort. Mon père avait beaucoup d’enfants nés de la première femme. Mon père n’a jamais été polygame. Ma mère a épousé mon père comme seconde femme avec un mariage régulier.

Quand mon père est mort, ma mère était enceinte de moi. Elle s’est dit : ‘’Cet enfant le jour où il naîtra, il risque d’avoir des problèmes.’’ Alors, ma mère a appelé Vanden Gérard qui était curé de la paroisse Rushubi. Elle a demandé au curé de la paroisse qui était un ami de la famille de marquer que même si mon père est mort, il y a un enfant qui va naître on ne sait si c’est un garçon ou une fille. Mais il faudrait qu’il soit enregistré. On m’a alors enregistré en tant qu’enfant posthume de père.

C’était une précaution parce que c’était une famille où les rapports publics étaient connus, le statut de la famille était connu. Il fallait qu’il n’y ait pas de contestation possible après la mort et après la naissance de cet enfant posthume de mon père.

Une anticipation peut-être pour d’éventuels problèmes de succession ?

Quand je suis né, il y a eu des problèmes de succession. Il fallait que ma mère puisse avoir l’attribution des biens de mon père.
Il y a eu des procès pour le partage des vaches, des biens de mon père. Le procès est arrivé jusqu’au tribunal du mwami à Gitega. Ma mère avait un procès contre mes grands frères. Elle a eu gain de cause auprès du tribunal du mwami. Dès lors, il n’y a plus aucune contestation concernant la succession.

Ma mère a décidé de rester en parfaits termes avec mes grands frères et sœurs. Il n’y a plus de conflits possibles entre eux et moi.
D’où le choix de faire les études de droit….

Quand j’étais au collège, j’ai d’abord choisi le droit. Je voyais que c’était un domaine qui m’intéressait.

La carrière d’avocat m’intéressait aussi parce que c’était une occasion de défendre mes droits et les droits des autres. Pouvoir se défendre, défendre la société, défendre tout le monde en toute indépendance car moi personnellement je n’ai dépendu de qui que ce soit.

Quel est le procès qui vous a le plus marqué dans votre carrière d’avocat ?

Le procès le plus emblématique et que je n’oublierai pas, c’est l’affaire Ntungumburanye Jérôme qui date des années 1971. Le pouvoir du président Michel Micombero a trouvé qu’il y avait des gens qui voulaient faire un coup d’état contre le pouvoir.

On a ouvert un procès. Ce dernier a été très mal mené et a abouti à un jugement injuste, incomplet qui risquait de créer un déséquilibre dans la société, qui risquait quelque chose d’irréversible au sein des membres de la société.

Comme j’étais antérieurement ministre de la Justice, je n’ai jamais été impliqué dans quoi que ce soit. Mais quand le procès a commencé, je n’étais plus ministre. J’avais repris mes fonctions d’avocat. Alors on m’a demandé d’assister ces personnes qui étaient poursuivies. J’ai consulté le dossier et celui-ci ne contenait absolument pas d’éléments qui pouvaient établir la culpabilité de ces gens-là.

J’ai accepté de les défendre pendant plus de trois séances. J’ai été à la cour militaire et pratiquement le dernier jour j’ai été embarqué, sans mandat d’arrêt, et j’ai été emprisonné pour le même dossier.

J’ai continué à défendre mes clients car je n’avais aucune charge contre moi. J’ai continué à défendre leur innocence.

Par après, le verdict est tombé. Il y a eu des condamnations à la peine de mort, à perpétuité, des peines de toute sorte. Et personnellement, même s’il n’y avait rien à ma charge, j’ai été condamné à vingt ans. Une condamnation tellement excessive et injuste mais aussi contre toute loi de procédure.
On a continué à protester. Heureusement, il y a eu des mesures de grâce. Et longtemps après, j’ai été libéré en 1973.

Une leçon à tirer dans ce procès….

C’est un procès qui m’a beaucoup marqué et pour lequel j’ai gardé une leçon que ce n’est pas l’opinion ou le pouvoir qui doit guider le juge dans la prise de ses décisions. Il faut que le pouvoir ne puisse pas se mêler dans la justice telle qu’elle est rendue dans un pays.

Il y a eu la position du procureur général de la République à cette époque, Léonard Nduwayo, laquelle position aurait dû être suivie par la cour militaire. Il a trouvé qu’il n’y avait aucun élément à charge des présumés putschistes. Mais contrairement à toute attente, la cour militaire a décidé qu’il y avait des éléments de culpabilité et surtout de lourdes culpabilités.

C’est un procès type sur lequel on peut dire beaucoup de choses autour de la magistrature, autour du pouvoir qui dirige le pays parce que cela peut se répéter ou pas. Nous souhaitons que de telles choses ne puissent pas se répéter mais tant qu’il n’y a pas des barrières, c’est possible. Tout peut arriver. Hier comme aujourd’hui, les choses peuvent arriver à tout moment.

D’aucuns disent que pour asseoir l’indépendance de la magistrature, il faut que les magistrats soient élus par leurs pairs. Etes-vous du même avis ?
Que les magistrats soient élus par leurs pairs, cela serait une bonne chose. Mais il faut savoir comment leurs pairs seraient élus aussi, et à quel niveau ? Il faudra un contrôle si nous voulons que les magistrats soient indépendants. Ils pourraient ne pas être indépendants même en étant élus par leurs pairs.

Il faut toujours une formule et cette dernière c’est la société qui doit l’approuver. Il faut que les magistrats soient protégés par des barrières pour garantir leur indépendance.

Des risques dans le métier d’avocat ?

Il y en a beaucoup. L’avocat est d’abord responsable. Il y a la responsabilité de ses engagements, la responsabilité des dossiers qu’il défend. Il y a les risques de condamnations et d’autres sur le plan administratif. Il y a les risques d’être radiés car sur le plan judiciaire, il est le responsable de ses actes.

Il y a aussi des risques de mésentente avec le pouvoir parce qu’il prend une position qui ne plaît pas toujours à tout le monde, qui ne plaît pas surtout au pouvoir, notamment qui lèse le ministère public à un certain moment.

On le condamne très facilement. On peut le qualifier de menteur, de voleur. On doit savoir que son rôle est indispensable. C’est un protecteur de la société. Sans l’avocat, il n’y aura pas de société équilibrée parce que la défense c’est la base de la société.

A un certain moment, une guéguerre entre le barreau de Gitega et celui de Bujumbura. Votre commentaire ?

Dans une société qui s’organise, je trouve que c’est une petite affaire. De toute façon, il fallait que les barreaux s’entendent. Il y en aura d’autres. Ce n’est pas une question de principe qui pourrait diviser les membres du barreau, encore moins le pouvoir et les membres du barreau.
Cela ne gêne pas d’avoir plusieurs barreaux, seulement que ces barreaux respectent les principes, appliquent les lois du Burundi. Les individus importent peu. Il n’y a pas d’obstacle majeur à la bonne marche des barreaux.

Votre plus beau souvenir ?

C’est d’avoir été sélectionné, après avoir réussi au concours national en 1953, pour être inscrit au collège du Saint Esprit. C’est un choix qui portait sur le Rwanda-Burundi, depuis le nord du Rwanda jusqu’au sud du Burundi. Il fallait avoir une cinquantaine d’élèves pour étudier au collège du Saint Esprit. Nous avons commencé l’année scolaire les années 1954- 1955.

C’est un souvenir qui m’a marqué parce qu’il en est résulté ma personnalité. C’est une satisfaction d’avoir fréquenté une grande école.

Votre triste souvenir ?

Je n’en ai pas du tout.

Votre plus grand malheur ?

C’est la perte des parents, surtout des amis. Je crois à l’amitié. La perte des amis serait un grand malheur pour moi. J’ai même donné le nom « Mugenzi » (ami) à un de mes enfants.

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

C’est l’indépendance du Burundi. Nous étions en Belgique quand l’indépendance a été proclamée. Dans notre association des étudiants burundais, nous luttions pour l’indépendance du Burundi. Nous participions à tous les colloques organisés par les politiciens burundais.

La plus terrible ?

C’est la mort du président Melchior Ndadaye. On pressentait que s’il arrivait quelque chose à ce président, il allait y avoir des problèmes dans ce pays. Nous le savions. Nous le sentions déjà surtout quand on a été en politique, on ne pouvait pas ne pas le sentir.

Il est vrai aussi que la mort du prince Louis Rwagasore nous a bouleversés totalement parce qu’on perdait les espoirs. Mais les risques n’étaient pas les mêmes qu’au moment de la mort du président Ndadaye.

Votre passe-temps préféré ?

J’aime le sport, surtout la natation. J’aime la lecture, surtout les journaux. Je vous dirais que je suis l’ami des journalistes. J’ai connu à Namur Damien Kaburahe quand il venait faire des stages en journalisme. Nous avons eu de bonnes relations.

Votre lieu préféré au Burundi ?

C’est chez nous dans Mumirwa.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

Le Burundi. C’est là où je peux m’épanouir. Si je voyage, je reviendrai toujours au Burundi.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

Je préfère aller en Asie. Malheureusement, les possibilités sont limitées. J’aimerais découvrir la Corée du Sud, le Taiwan pour comparer ce qui s’y passe.

Avez-vous une devise ?

Je n’en ai pas.

Votre définition de la démocratie ?

On a donné à la démocratie un sens qui n’est facile pas à comprendre. Chacun veut avoir la démocratie à sa propre perception. Pour moi, la démocratie devrait être la liberté. Comment définir ça, je n’en sais rien. Je vois un monde où tout le monde est libre.

Votre définition de la justice ?

C’est un pouvoir qui autorise chaque personne d’être libre dans sa personne, dans ses biens et ne pas être bousculé par un dérèglement quelconque.

Si vous redeveniez ministre de la Justice, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Je réviserais le code pénal. Il est vraiment trop dur. Je ne changerais pas tellement le principe. Mais je baserais sur comment trouver son application, comment juger, décider, punir, bref comment trouver un rééquilibre entre les biens de la société et les biens des individus.
Je ferais en sorte que le pouvoir ne soit pas trop fort vis-à-vis des individus, pour que la liberté individuelle soit garantie. Il faut que chacun se sente à l’aise. Quand vous passez, ne fût-ce que deux jours en prison, vous pouvez sentir ce que c’est la liberté.

Des regrets dans votre carrière ?

Je n’en ai pas. Au contraire, si je devais la recommencer, il y a beaucoup de choses que je changerais pour améliorer cette profession. C’est une profession indispensable, libre à tout point de vue, bénéfique pour la société.

Trouver quelqu’un qui vous défend, qui rétablit la vérité, c’est quelque chose d’important. Je renforcerais les pouvoirs de l’avocat pour qu’il soit un garant de la défense.

Vos conseils à l’endroit des avocats et des juges ?

Comprendre à tout moment la noblesse de leur profession. C’est quelque chose de discrétionnaire, de personnel. Il n’y a pas autre juge que la personne elle-même. L’avocat lui-même se juge, le juge mêmement. Ce sont les meilleurs juges de leur profession.

Votre appréciation de la justice burundaise ?

Elle est équivoque. On en dit beaucoup de mal tellement qu’on n’ose pas à peine croire que notre société existe encore. Il est vrai qu’il y a beaucoup de choses qui ne sont pas propres. Mais on oublie que parmi ces choses qui ne sont pas propres, ce ne sont pas les magistrats qui les causent, mais le pouvoir qui dirige. Il faut des moyens pour les magistrats.

Le pouvoir est obligé de soutenir la justice. Si on amène un million pour corrompre un magistrat dans un dossier, on oublie qu’il y a une centaine d’autres qui ont même refusé. On charge la majorité de tous les malheurs mais on oublie quand-même qu’il y a des hommes justes.

Il y a des tendances manifestes d’amélioration, de sauver la société. Le Burundais lui-même est juste. Je ne peux pas être totalement pessimiste pour la justice burundaise, surtout que c’est la jeunesse qui réclame la justice. Il faudra absolument l’écouter.

Croyez-vous à la bonté humaine ?

J’y crois parfaitement.

Pensez-vous à la mort ?

J’y pense tellement mais je n’en ai peur. Il faut que je puisse partir sans regret.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui diriez-vous ?

Me voilà, vous me connaissez.
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