sep
23
2019

BRB, des ‘’innovations’’ qui font grincer les dents

Certaines innovations dans la réglementation des changes inquiètent les cambistes. Les bureaux de change devraient augmenter leur capital, les importateurs eux voient baisser leur enveloppe des devises. La BRB évoque le souci d’adaptation aux réalités.

« Le capital minimum exigé pour ouvrir un bureau de change passe de 50 à 100 millions de BIF », a annoncé Jean Ciza, gouverneur de la Banque de la République du Burundi(BRB). Lors d’un point de presse tenu ce mercredi 17 septembre dans l’après-midi, il a annoncé une révision de la réglementation des changes en vigueur depuis 2010. Ainsi, tout bureau de change doit acquérir un logiciel de gestion auprès de la BRB. Ce dernier coûte 2 millions BIF. Les changeurs doivent également remettre au client un bordereau après l’achat ou la vente des devises. Autre nouveauté, les changeurs doivent créer une association professionnelle à laquelle ils doivent tous adhérer. Ces derniers ont un délai d’une année pour se conformer à cette réglementation.

D’après le patron de la BRB, cette nouvelle réglementation concerne également les importateurs des biens et services. Pour souscrire une assurance des marchandises, ces importateurs doivent demander une dérogation auprès de l’Agence de Régulation et de Contrôles des Assurances (ARCA).

L’enveloppe de paiement en espèces des importations est amenuisée. Elle passe de 40 à 5 mille dollars américains. Mais l’importateur est autorisé à déposer sur sa carte 10 mille USD. Le gouverneur de la BRB a expliqué que cette baisse vise à limiter la circulation des devises en espèces.

Selon cette nouvelle réglementation des changes, les hôtels perdent la qualité de changeur agrée. Ils ne peuvent accepter que des paiements en devises des non-résidents.

En ce qui concerne les comptes en devises, la liberté de retrait est réservée aux personnes physiques. Pour les personnes morales, les retraits en cash sont limités. Par ailleurs, les comptes en devises des entités recevant des financements extérieurs ou des transferts dans le cadre de la coopération financière doivent être logés à la BRB.

M. Ciza tient à préciser que cette réglementation des changes est révisée, d’une part pour adapter la réglementation des changes aux réalités du moment, d’autre part pour la correction des lacunes observées dans les mécanismes de suivi et de contrôle.



Les activités des changes sont paralysées

Mercredi 18 septembre, au lendemain de la publication de la réglementation des changes révisée, l’activité de maisons de change est au point mort.

Au centre-ville de Bujumbura, sur l’avenue de l’amitié, trois maisons de change visitées, le tableau d’affichage de prix des devises ne fait pas désormais partie du décor comme à l’accoutumée La peur au ventre, les cambistes affichent la volonté de respecter à la lettre les prix de la BRB.  Un euro s’échange contre 2050 BIF à l’achat et 2093 à la vente. Un dollar vaut 1870 BIF à l’achat et 1879 BIF à la vente.

Malheureusement, personne n’achète ou vend des devises. Le constat est que les activités de ceux qui s’approvisionnent dans les bureaux de change sont paralysées. Les maisons de change disent qu’elles ne détiennent pas des devises. « Nos caisses sont vides. Nous ne vendons que les devises achetés aux particuliers », témoigne l’un des cambistes sous couvert d’anonymat.

J.C. ne cache pas son indignation. Pour le moment, il déplore avoir encaissé un manque à gagner énorme. « Nous avons fait tout pour respecter le tarif de la BRB. Voilà les résultats. Ce matin, Je n’ai ni acheté ni vendu de devises. » D’après lui, la BRB fixe des prix alors qu’elle ne leur fournit pas des devises.

Selon ce changeur, cette baisse se justifie par la peur des cambistes suite à la mise en garde du gouverneur la BRB. « Nous ne voulons pas nous attirer les foudres de la BRB », confie-t-il.

Cependant, ce dernier soutient que ces mesures ne peuvent pas résoudre la carence des devises. «  Il faut que la BRB accepte que l’économie va mal.», se fâche ce jeune cambiste.

Les clients rencontrés sur place refusent de céder leurs devises au prix fixé par la BRB. Ces derniers rebroussent chemin sans vendre. Le taux de change est trop bas. Pierre vient échanger 100 dollars. Remonté, il fait savoir qu’hier, le dollar s’achetait à 3060 BIF et se vendait 3080 BIF. L’euro valait 3.320 BIF et 3.350 BIF à la vente. « Le taux de change a fortement chuté. Je ne peux pas accepter de perdre.» Ce commerçant affirme que cette baisse est passagère. Demain, le prix sera à plus de 3000 BIF.

Un gestionnaire d’un bureau de change sous couvert d’anonymat fait savoir que la situation est intenable : « Nous devons fermer. Nous ne pouvons pas travailler dans ces conditions. »

Avec cette situation morose, suggère-t-il, la BRB devrait plutôt réduire le capital minimum pour encourager les maisons de change déstabilisées par le manque de devises. Peu de maisons de change auront un capital minimum de 100 millions BIF dans une année pour se conformer à cette nouvelle réglementation. L’activité de change n’est plus rentable.

L’entrée des devises a fortement baissé. Avant la crise de 2015, cette maison de change enregistrait un bénéfice de 2 millions par mois. Désormais, le gain s’estime entre 400 et 500 mille BIF. « Il serait impossible de réunir une somme de 50 millions additionnelle en une année. »

Analyse/ Que cachent certaines innovations de la BRB ?

La BRB a révisé la réglementation de change pour s’adapter aux réalités du moment. Un autre objectif. Corriger les lacunes observées au niveau des contrôles, du suivi et des sanctions dans le domaine de change. Aussi, le Burundi s’engage de libéraliser le compte capital.

Est-ce que ces réalités sont vraiment préoccupantes ? La hausse du capital minimum pour ouvrir une maison de change, installation du logiciel de contrôle dans les bureaux de change… résoudront-elles le manque criant de devises. Ou bien, seront-elles capables de sauver le BIF qui se déprécie au jour le jour.

Sur ces points, ces innovations ne rassurent pas. La BRB ne promet pas d’intervenir sur le marché financier pour limiter la décote du BIF. En outre, elle ne s’engage pas à fournir des devises aux bureaux de change agréés.

Contraindre les bureaux de change à doubler le capital, c’est un véritable coup de massue. Ils sont obligés de chercher un nouveau capital. Cette mesure montre que la BRB veut à tout prix réduire le nombre de maisons. Finalement, la banque des banques ferme la porte aux petits cambistes qui veulent quitter l’informel.

En conséquence, les cambistes ambulants qui n’ont pas jadis constitué 50 millions BIF exigés par l’ancienne réglementation vont rester dans l’informel. Dans une année, les bureaux de change agréés qui n’auront pas un capital 100 millions BIF seront contraints de fermer et retourner dans l’informel.

C’est déplorable de constater que la nouvelle réglementation pénalise les importateurs. Désormais, des paiements en cash des importations sont revus à la baisse. Ils passent de 40 mille à 5 mille dollars américains.

Mais ils bénéficient d’une allocation de 10 mille dollars américains sous forme de paiement électronique sur carte bancaire. Au total, l’importateur ne reçoit qu’une enveloppe de 15 mille dollars américains. Autrement dit, la BRB a diminué l’enveloppe de devises destinée à l’importation. Elle passe de 40 à 15 mille dollars américains.

D’après le patron de la BRB, cette mesure vise à limiter la circulation des espèces en devises. Cette justification n’est pas convaincante. Car, si tel était l’objectif, l’importateur aurait reçu 5 millions dollars américains en espèces et 35 mille dollars américains sous forme de paiement électronique.

Pourquoi alors la BRB diminue les devises destinées aux importations ? Peut-être les réserves de devises s’assèchent. Car, la cote d’alerte de réserve de change est déjà atteinte. Le rapport récent de la BRB montre que les réserves en devises ne couvraient plus que 0,8 mois d’importation de biens et services. La diminution des importations provoquera la hausse des prix de produits importés.

www.iwacu-burundi.org

 

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