Burundi : Ebola : « Mieux vaut prévenir que guérir »
Depuis bientôt six mois, le ministère de la Santé Publique et de la Lutte contre le Sida (MSPLS) et ses partenaires ont lancé le plan de contingence de lutte contre la maladie à virus Ebola (MVE). Pour se rendre compte de la manière dont sont mises en pratique les mesures prises pour protéger les Burundais contre ce fléau, un reporter de Burundi Eco a visité les points de passage se trouvant sur les frontières de la RDC et du Rwanda
Le point de passage de la route transversale n° 6 (TR6) est situé à plus ou moins 4 km du chef-lieu de la commune Buganda où un marché vient d’être réhabilité. La proximité de ce marché avec la rivière Rusizi explique sans doute le trafic intense visible à ce point de passage. Beaucoup de marchandises embarquent à destination des localités de Kigugwe et Sange en République Démocratique du Congo (RDC). Les piroguiers aux longues et solides tiges de bois servant de pagaies ne chôment pas. Des sacs de produits alimentaires et des bidons d’huile attendent de traverser la Rusizi. Des caisses de boissons de la Brarudi sont entreposées à quelques mètres de la rivière Rusizi qui sert de frontière naturelle entre le Burundi et la RDC. Toutes ces marchandises attendent d’être acheminées vers la RDC. De l’autre côté de la Rusizi, on aperçoit une voiture à moitié chargée, la portière arrière ouverte, qui attend que ces marchandises traversent la rivière pour les embarquer. Quand les marchandises embarquent pour la RDC, les personnes suivent le mouvement inverse et débarquent sur la rive burundaise. Ce sont des Congolais qui viennent essentiellement pour faire leurs achats ou des Burundais qui rentrent après un séjour dans la patrie de Mobutu et Lumumba
Au point de passage TR6, « personne ne passe s’il ne suit pas le protocole »
Le point de passage de la TR6 grouille d’animation. Les enfants, les adultes, les femmes et les hommes sont nombreux à vouloir traverser dans un sens ou dans un autre. Pourtant, il n’est que 10 h du matin quand le reporter de Burundi Eco y débarque. C’est sans doute l’activité intense de ce point de passage qui a poussé le MSPLS à y installer une unité médicale dans le cadre du plan de contingence de lutte contre la MVE. L’unité médicale y est déployée depuis le 26 juin 2018. L’objectif est de veiller à ce qu’aucune personne infectée par le virus d’Ebola ne vienne contaminer la population au Burundi. Deux tentes sont installées à proximité de la Rusizi. Jean Mukeshimana est infirmier au Centre de Santé (CDS) de Ruhagarika du district sanitaire de Cibitoke. Il a été déployé au point de passage TR6 dans le cadre du plan de contingence de lutte contre la MVE. Il est le responsable de l’unité médicale déployée à ce point de passage. Il est vêtu de l’habituelle blouse blanche du personnel soignant. Il porte en permanence des gants. Il est abrité sous une des tentes, devant une table où sont rangés entre autres un registre et un thermo-flasheur qu’il utilise pour prendre la température des voyageurs. Un masque de protection respiratoire barre son visage. « Personne ne passe s’il ne suit pas le protocole », indique-t-il d’une voix intransigeante.
Un protocole bien huilé
Au point de passage TR6, le protocole mis en place par le MSPLS est scrupuleusement observé. Aucun passe-droit n’est toléré. Avant d’entrer en contact avec qui que ce soit, tout voyageur arrivant de la RDC se lave d’abord les mains avec un savon désinfectant et de l’eau propre disponible à à peu près 10 m de la Rusizi. Ensuite il se présente devant l’agent de santé qui prend sa température au niveau de la tête. Il utilise un instrument électronique en plastique qui s’appelle le thermo-flasheur. L’agent de santé n’a même pas besoin de regarder sur le thermo-flasheur. Après l’avoir dirigé sur l’individu, à quelques centimètres de la tête, un message vocal du dispositif électronique annonce en français la température automatiquement. « Si la température ne dépasse pas 38 degrés Celsius, la personne passe », a indiqué M. Mukeshimana. Le reporter a été obligé d’interrompre plusieurs fois l’interview pour permettre à l’agent de santé d’aller dépister les voyageurs au fur et à mesure qu’ils accostaient sur la rive burundaise de la Rusizi.
Si la température dépasse toujours 38° C, c’est la quarantaine
« Si la température dépasse 38°degré Celsius, nous retenons la personne et nous la réexaminons attentivement. En fait, la température peut être élevée pour plusieurs raisons. Soit que la personne vient de marcher sous un soleil accablant, soit qu’elle a d’autres maladies comme la grippe, la malaria, etc. Nous laissons au repos la personne pendant quelques minutes à l’abri du soleil, puis nous relevons encore une fois sa température. Si celle-ci est toujours élevée, nous examinons de plus près le cas. Nous interrogeons la personne en détail sur son état de santé, sur d’autres symptômes qu’elle présente et sur sa provenance. Nous lui demandons si elle souffre d’autres maladies ou si elle suit un traitement pour l’une ou l’autre pathologie. Nous procédons à un diagnostic rapide pour évaluer s’il pourrait avoir été en contact avec le virus d’Ebola. Si nos soupçons se confirment et que la personne présente un risque, nous déclenchons immédiatement l’alarme après avoir pris le soin de la mettre en quarantaine dans une des tentes préparées à cet effet. D’autres services prennent le relais et se chargent entre autres de l’évacuation et du traitement du cas. Heureusement, aucun cas sérieux n’a jamais retenu notre attention jusqu’à maintenant, se félicite M. Mukeshimana.
Entre 150 et 250 dépistages par jour
Un dispositif de 8 agents de santé se relaie au point de passage TR6 de la commune Buganda. Quand le reporter de Burundi Eco y est passé, M. Mukeshimana avait déjà accueilli 50 personnes. Mais en moyenne, entre 150 et 250 personnes empruntent le point de passage TR6 qui est ouvert de 7h30’ du matin à 17h00’ du soir. Pour être sûr que personne ne traverse la rivière avant ou après l’arrivée ou le départ des agents de santé, toutes les pirogues sont attachées à des chaines fermées par des cadenas. Ce sont les garde-frontières qui conservent les clés.
Quelques difficultés
L’agent de santé est très confiant dans les mesures prises pour protéger les Burundais contre Ebola, mais pour rendre plus efficaces ces mesures, il voudrait que les points de passages TR 5,4 et celui de Ruhagarika soient hermétiquement fermés. Il soupçonne que les Congolais les empruntent clandestinement pour échapper au contrôle. Pour preuves, il indique voir très souvent les troncs de bananier utilisés pour traverser la rivière charriés par la Rusizi. « Il faut que tous les voyageurs en provenance de la RDC passent par des points de passage connus des autorités », plaide M. Mukeshimana.
Le poste frontière de Ruhwa, sur le pied de guerre
Au poste frontière de Ruhwa, le protocole est le même qu’à la TR6 Buganda. Romain Nzohabonayo veille au grain. Il s’abrite dans une guérite qu’il partage avec les forces de l’ordre parce qu’une fine pluie est en train de tomber. Quand un voyageur atterrit, il n’hésite pas à mouiller sa blouse blanche pour aller relever sa température après avoir bien vérifié s’il s’est lavé les mains au savon liquide. M. Nzohabonayo nous invite à rejoindre une tente en retrait destinée à la mise en quarantaine des cas suspects. Il admet que tout va plus ou moins bien. Néanmoins, il demande que quelques efforts soient faits au niveau de la logistique. Et, pour preuve, il travaille sans gants de protection ni bonnet parce que le stock serait épuisé depuis quelques jours. En plus, les frais de déplacement ne sont pas suffisants et sont irrégulièrement distribués, selon lui. Il trouve que l’unité médicale du poste frontière de Ruhwa devrait être renforcée. Six agents de santé se relaient à ce poste alors qu’ils accueillent entre 800 et 1000 personnes par jour. En même temps, les postes de Mparambo et TR6 Buganda qui ne connaissent pas un afflux aussi important de voyageurs disposent de 8 agents de santé chacun. M. Nzohabonayo a aussi soulevé le fait que les symptômes d’Ebola ressemblent à ceux de la malaria. Il voudrait qu’il y ait de paracheks, c’est-à-dire des tests rapides de malaria pour éviter de mettre en alerte le dispositif anti Ebola inutilement alors qu’on a affaire à un banal cas de malaria
Les voyageurs confiants
Les voyageurs approuvent les mesures prises par le gouvernement pour prévenir Ebola. Dans les conditions normales, le dépistage prend moins d’une minute. Ce qui n’alourdit pas les démarches pour ceux qui sont en transit aux frontières. « On ne se fait dépister que quand on entre dans un pays et pas quand on en sort, mais je pense qu’on devrait examiner même ceux qui sortent pour avoir la certitude qu’aucun cas d’Ebola n’échappe à la vigilance des agents de santé. En outre, le gouvernement ne devrait pas hésiter à prendre d’autres mesures s’il le juge nécessaire », a indiqué M. Pascal Mabuye rencontréau poste de frontière Ruhwa où il rentrait du Rwanda.
Le chef du district sanitaire de Cibitoke tranquillise
« Presque toutes les composantes du plan de contingence sont appliquées sur les quatre points de passage que compte le district sanitaire de Cibitoke qui est classé dans la catégorie des sites prioritaires n° 1 du plan de contingence de lutte contre la MVE. Nous faisons la surveillance dans les quatre points de passage que sont Mparambo, TR6 Buganda, TR6 Ndava et celui du poste frontière de Ruhwa. La sensibilisation continue aussi au niveau communautaire. La semaine dernière c’était le tour des directeurs des écoles et de plus de 300 agents de santé communautaires. La sensibilisation se fait aussi régulièrement au niveau des CDS. Pour être sûr que les consignes sont suivies, la supervision est faite à plusieurs niveaux, soit par le ministère de la Santé, soit par l’OMS », a indiqué Dr Célestin Ndayahoze, médecin-chef du district sanitaire de Cibitoke. On vérifie rigoureusement si les recommandations ou les normes sont effectivement suivies (essentiellement la surveillance et le screening, c’est-à-dire la relevée de la température).
Les imperfections seront progressivement corrigées
« Le problème des points de passage clandestins est connu. La commission provinciale chargée de lutter contre la MVE l’a d’ailleurs évoqué lors de sa première réunion. La frontière reste poreuse. On a d’ailleurs été obligé de mettre sur pied un autre point de surveillance pour les réfugiés qui ne passent pas par les points de passage connus. La solution sera de déployer les forces de l’ordre sur ces points de passage clandestins pour rendre la frontière étanche », a déclaré Dr Ndayahoze. Quant au dépistage des entrants et des sortants pour une meilleure garantie évoqué par un voyageur, il a indiqué que ce serait une surcharge inutile vu qu’il n’y a jamais eu de cas d’Ebola au Burundi. Pour les symptômes d’Ebola qui ressemblent à ceux de la malaria, le protocole mis en place semble faire l’affaire jusque-là, a-t-il souligné. En ce qui concerne l’équipement, il a fait savoir qu’il n’y a aucun problème à ce niveau si ce n’est que de les récupérer. Il a en outre ajouté que les petites imperfections éventuelles seront progressivement corrigées.
Parfait Nzeyimana.
burundi-eco.com