Burundi-UE : Sept clés pour comprendre le processus en cours
La complexité de la structure institutionnelle ne permet pas toujours de traduire en termes simples les décisions de l’Union européenne. On l’a vu ce lundi quand plusieurs médias et personnalités ont salué « la révocation des sanctions prises contre le Burundi par l’UE. » En réalité, c’est le début d’un processus qui peut être long.
Hier en milieu de journée, la radio-télévision nationale du Burundi a annoncé sur son compte twitter « La décision de l’UE de révoquer la mesure qui suspendait l’aide financière aux pouvoirs publics burundais qui fait suite aux évolutions du Burundi en matière de Droits de l’homme et Etat de droit. » Je ne ferais pas l’injure de « manipulation de l’information » ou de « sensationnalisme », à mes collègues du média public (où tout jeune j’ai d’ailleurs fait mes premières armes). Je veux juste montrer que dans ce domaine, la haute diplomatie, plus qu’ailleurs, pour les journalistes, la prudence et la nuance doivent être de mise et éviter la simplification. Ce n’est pas pour rien que les médias qui ont les moyens détachent auprès de ces « gros machins » tels l’ONU, l’UE, l’OTAN, etc., des journalistes permanents, spécialisés, souvent des juristes de formation, pour suivre et décortiquer les décisions et autres communiqués de presse de ces institutions pour les rendre un tant soit peu « lisibles » pour le citoyen lambda . Un exercice pas toujours facile pour les journalistes. Après 24 heures, de nombreux échanges et des discussions à Bruxelles, il est possible de dégager quelques clefs pour comprendre le processus enclenché.
1. Comprendre l’article 96 en bref
La mécanique de l’article 96 est la suivante : si une des parties à l’accord considère que l’autre ne respecte pas les dispositions de l’accord, il y a d’abord un dialogue. Si toutes les voies de dialogue ont été épuisées et si une partie continue de ne pas respecter ses obligations, l’autre partie peut lancer une procédure de consultation en vue de trouver une solution. Si aucun accord n’est intervenu à la fin des consultations (en pratique cette phase est souvent rapide dès lors que la violation de l’accord est flagrante et qu’aucune réponse satisfaisante n’est apportée), la partie qui a lancé la procédure de consultation peut prendre des « mesures appropriées » (c’est ce que dans le vocabulaire courant on appelle « sanctions »). Selon l’art. 96, ces mesures doivent être proportionnelles à la violation en question. Concrètement, le choix se porte sur des mesures qui auront un effet négatif aussi limité que possible sur la population. Par exemple, la décision de 2016 concernant le Burundi indique que les actions d’urgence continueront à être financées ; il s’agit notamment de deux programmes, l’un sur la santé l’autre sur la nutrition. Ce sont les modalités de financement qui se trouvent modifiées : l’aide est apportée à travers des agences internationales ou des ONG.
2. Quelles ont été ces mesures dans le cas du Burundi ?
Dans le cas de notre pays, les mesures ont consisté à interrompre l’aide directe à l’Etat burundais. A l’époque, l’enveloppe encore disponible pour le Burundi s’élevait à 322 millions d’euros. Les mesures prennent la forme d’une « décision du Conseil », qui, en droit de l’UE, est un acte obligatoire, qui s’impose à toutes les institutions et aux Etats membres. Cette décision, qui clôt les consultations, est accompagnée d’une lettre adressée à l’Etat concerné et d’une annexe qui détaille les mesures. Ce texte peut être lu ici : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:L:2016:073:FULL&from=EN
3. Dans quelles conditions ces mesures peuvent-elles être levées ?
C’est bien précis : l’article 96 indique que « ces mesures sont levées dès que les raisons qui les ont motivées disparaissent ». La décision prévoit qu’elle fera l’objet d’un réexamen tous les six mois.
4. Quelles sont les différentes étapes du processus de levée des sanctions ?
Selon différentes sources contactées à Bruxelles, schématiquement cela commence par une évaluation de la situation dans le pays concerné. La Délégation de l’UE au Burundi informe le siège à Bruxelles). L’UE et ses Etats membres ont l’obligation de réexaminer la situation tous les six mois. « La tenue ou le redémarrage de réunions de dialogue politique est un élément favorable pour le pays sous sanction », explique un diplomate. Ensuite la discussion a lieu à Bruxelles au sein du Groupe Afrique qui rassemble, à un niveau technique, les représentants des Etats membres. Lorsqu’un consensus s’est formé au sein de ce Groupe, un projet de décision est préparé (par la Commission, en accord avec le Haut Représentant pour les affaires étrangères), la question est inscrite à l’ordre du jour du Conseil qui adoptera alors formellement la « décision ». En termes simples. Il faut comprendre que c’est cette nouvelle décision, qui donc n’est pas encore formellement prise, qui mettra fin à la précédente (celle de 2016).
5. Le processus peut durer combien de temps ?
Sur ce point, aucune de mes sources n’a voulu s’avancer pour donner un timing précis. Cependant, un consensus sur « une levée des sanctions » se serait formé à Bruxelles sur ce point. Il resterait à mettre en forme la décision. Là ce sont les services juridiques qui entrent en action. Puis la décision est inscrite à l’ordre du jour d’un prochain Conseil (c’est au niveau des ministres, et ce conseil se réunit en général une fois par mois). Cette procédure peut prendre encore plusieurs mois.
6. Qui prend la décision finale ?
C’est le Conseil (des ministres) ; mais s’il y a consensus au sein du Groupe Afrique, le Conseil, en général, ne fait qu’entériner.
7. Est-ce que le processus de révocation des sanctions est aujourd’hui irréversible ?
Si l’on arrive à une décision qui met fin à la « mesure » prise sur la base de l’article 96, on revient à l’application normale de l’accord. Sur ce point, les différentes sources sont unanimes. « L’UE va maintenir sa vigilance. S’il advenait que l’UE considère qu’il y a une nouvelle violation de l’accord, une nouvelle procédure devrait être enclenchée. » Mais, « il n’est pas impossible que la reprise de l’aide directe à l’Etat burundais soit envisagée de manière progressive ; la décision de 2016 prévoit en effet que les mesures peuvent être “adaptées à l’évolution de la situation” (s’il y a une amélioration vers le respect de l’accord de Cotonou, une partie de l’aide peut reprendre).
Ce n’est donc pas par un “claquement de doigts” que les relations entre le Burundi et l’UE vont revenir à la normale. Les décisions de l’UE sont toujours « lourdes et longues à prendre, à lever aussi », expliquent les spécialistes. Mais les relations entre l’UE et le Burundi sont aujourd’hui sur « une bonne trajectoire », c’est indéniable. On ne peut exclure qu’il y ait une dimension « incitative dans la politique actuelle de l’UE » qui essaie de convaincre le Burundi à s’engager plus en matière de respect des droits humains et de l’Etat de droit en montrant par une certaine reprise de l’aide tout ce que le Burundi aurait à gagner en prenant les mesures attendues. Une carte que pourrait jouer le gouvernement burundais à la grande satisfaction de la population qui a besoin de respirer sur le plan économique et des libertés.
https://www.iwacu-burundi.org/burundi-ue-sept-cles-pour-comprendre-le-pr...