mai
02
2022

Buta : les rescapés et les familles des 40 martyrs de Buta se souviennent

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Autour des tombes des 40 séminaristes rescapés et parents se sont recueillis

Mercredi matin 30 avril 1997 le petit séminaire Buta est attaqué par les rebelles du CNDD-FDD. 40 séminaristes sont tués. 25 ans après, les parents se posent toujours des questions. Les rescapés se souviennent de cette matinée, comme si c’était hier.

« Mpore », que l’on traduirait par « courage, sois fort », c’est le mot qui sort de chaque bouche ce samedi à Buta. Les rescapés parlent, se souviennent de cette journée maudite. Les parents écoutent, évoquent les derniers moments avec leurs enfants. 30 avril 1997, le trimestre venait à peine de commencer. Les jeunes rentraient des vacances.

Buta, un endroit paisible, spirituel. Dur d’imaginer que des assassins sont venus troubler la quiétude pour s’attaquer à de jeunes innocents qui reposent désormais à côté de la chapelle.

Un immense portrait des 40 martyrs entourant le Christ veille sur les tombes blanches. Le lieu est devenu un véritable sanctuaire.

Tous les 29 avril, la population des alentours et même de plus loin vient pour se recueillir et veiller toute la nuit pour prier autour du sanctuaire. Ce samedi 30 avril, la pluie n’a pas découragé une centaine de personnes venues à Buta pour assister à la messe en mémoire des martyrs.

Impossible d’oublier la journée du 30 avril

25 ans déjà. A l’aube de ce 30 avril, les jeunes séminaristes sont été assassiné par les rebelles du CNDD. Les rescapés se souviennent de ce jour comme si c’était hier.

L ’arrivée des assaillants, les mots prononcés, les tentatives de fuite, les corps déchiquetés de leurs camarades, les souvenirs sont précis.

C’est une des particularités des établissements gérés par les religieux, l’école est comme une famille. Les élèves se connaissent tous, les noms, les origines, les comportements, tout.
Ce samedi, les rescapés se taquinent entre eux, essayent de blaguer, de rire. Mais vite, la tristesse reprend le dessus.

« Tu as oublié, c’est moi le dernier à descendre sur la corde avant qu’elle ne soit coupée par la balle. Après moi, il avait Nyabiroka qui m’est tombé sur les épaules, j’étais à quelques mètres du sol » , raconte un rescapé.
« Souviens-toi, le corps de Jean a été retrouvé dans les buissons, il aurait pu être sauvé le pauvre, il avait eu une balle à la jambe. »

Les rescapés discutent entre eux, indifférents aux oreilles indiscrètes. Ils ont besoin de se décharger. Chaque année, la « famille » des rescapés se retrouve à Buta pour commémorer l’assassinat de leurs camarades séminariste. Ils font des discussions autour des évènements. Une façon de panser les plaies, de partager leurs ressentis par des témoignages.

Cette année, c’est une occasion spéciale. Des parents et des membres de familles des 40 martyrs ont été conviés. La plupart d’entre eux se connaissent déjà et connaissent quelques rescapés.

« Nous sommes unis pour la vie, par le malheur, Dieu nous a mis ensemble, par ce que nous partageons, nous sommes une famille maintenant » lance un des parents des martyrs de BUTA.
« Je suis la mère, le père de tel martyr, je suis la sœur, le frère de tel autre. Je suis untel, j’étais en seconde quand “ça s’est passé”. Au fil des conversations, des liens se nouent.

Comme à Buta, ils semblent que des rescapés se retrouvent partout où ils peuvent se rencontrer aux quatre coins du monde. Au Rwanda, en Belgique, aux Etats-unis…

Des témoignages choquants

Il est difficile de parler des évènements de Buta sans parler de l’abbé Zacharie Bukuru. A l’époque, ll était recteur du petit séminaire de Buta .

ll a fait face à tous les malheurs du pays : les crises de 86, les tensions entre le gouvernement de Bagaza et l’Eglise catholique, les différentes crises ethniques du Burundi, l’assassinat du président Melchior Ndadaye et bien sûr le massacre dans son établissement en avril 97.
Dans son témoignage, il rappelle les moments pré et post-attaque avec précision.

“Comme dans tous les établissements dans le pays, les tensions ethniques étaient là. Les séminaristes venaient des familles meurtries par les guerres ethniques. L’unité entre les séminaristes a été un grand travail, grâce aux discussions, des séances de prières, des moments de partage entre nous”, témoigne l’abbé Zacharie.
La veille de l’attaque, bien qu’ils voyaient des feux sur la montagne Inanzerwe qui surplombe la vallée , l’administration et les gendarmes s’étaient voulus rassurants : les rebelles avaient été repoussés et le séminaire n’avait rien à craindre, selon toujours le témoignage de l’abbé Zacharie.

L’abbé Zacharie a été le premier témoin de la fraternité entre les séminaristes de Buta, il a vu les derniers moments de certains d’entre eux .

“Le séminariste Stany était au sol, il agonisait, presque mort, mais il m’a fait un sourire, le sourire d’une personne qui vient d’accomplir quelque chose. Il m’a alors dit : « Padre, on nous a demandé de nous séparer Hutu et Tutsi, mais on ne l’a pas fait. j’étais ému à ce moment”, continue l’abbé Zacharie.

Un des rescapés se souvient de l’arrivée des assaillants, il raconte cette funeste matinée du 30 avril 1997.
“Un des camarades qui dormait avec nous est sorti et quand il est revenu, il nous a dit qu’il venait de voir un grand nombre de personnes dans la cour.
Il n’a même pas eu le temps de nous expliquer que les tirs ont commencé. On voyait les vitres des fenêtres du dortoir partir en éclats. On a commencé à se refugier sous les lits. Par après, les assaillants sont entrés dans le dortoir. »

Une dame qui commandait a crié : « Assaut, en langage militaire, cela veut dire « tirez ». Ils ont alors commencé à nous tirer dessus jusqu’à ce que la dame ordonne encore un cessez-le-feu avant de nous demander de nous séparer Hutu et Tutsi, ce qu’on n’a pas fait.”

Elle a répété trois fois de suite. On n’a pas bougé. Après elle a dit : “Barabahenze basha”, (on vous a menti )

Au début des tirs, un de nos camarades nous dit : “Dupfe nk’abagabo”, (qu’on meurt la tête haute). C’est peut-être la raison pour laquelle on ne s’est pas séparé, et il n’y avait même pas de cris dans le dortoir. »

Ils ont pillé, argent, chaussures, vêtements, bref tout ce qui était précieux à leurs yeux. Ils ont lancé des grenades et après les explosions, ils ont envoyé un certain “Claude” vérifier ceux qui sont encore vivants pour les achever. »
Ce qui s’est passé après est atroce. Les rescapés parlent des corps de leurs camarades en lambeaux, du sang qui gisait de partout, etc.

25 ans après, les proches ont toujours des questions

A travers les témoignages des survivants, les proches posent des questions, ils veulent savoir les circonstances de la mort des leurs, mais surtout ils réclament justice.
« C’est la première fois depuis 1997 que je viens ici. Mon frère aîné, Joseph, a été assassiné alors qu’on venait de perdre le dernier parent qui nous restait. A l’enterrement, seule ma tante est venue, je voudrais savoir exactement comment il a été tué et dans quelles circonstances », raconte un frère d’un séminariste tué.

Certains évoquent des souvenirs, les derniers moments avec les leurs. Le témoignage d’Aurélie Nintunze est émouvant. Avant son départ à Buta son frère ,Ninganza Diomède, leur avait appris une chanson qui parlait de violence.

« Il nous a appris une chanson juste avant de partir. Il est parti le dimanche et ils ont été assassinés le mercredi. Il nous disait qu’ils apprenaient à composer des chansons à BUTA ».

Larmes aux yeux, Aurelie a chanté la chanson en Kirundi qu’elle a appris de son frère. La chanson parle de violence, de pardon, d’unité.

Les parents, tout comme les rescapés, demandent justice au gouvernement.
« On a vu que tout ce qui s’est passé a été planifié, nous demandons à ce que la lumière soit faite sur les évènements du 30 avril 1997 avant que les derniers témoins ne disparaissent. Que les auteurs, comme symbole de réconciliation, demandent pardon » a déclaré André Bizoza représentant de l’association Lumière du monde de Buta.
https://www.iwacu-burundi.org/buta-les-rescapes-et-les-familles-des-40-m...

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