Chacun défend sa cathédrale
Les évêques catholiques du Burundi ont été accusés par Gitega de cracher leur venin de haine, semer la division, généraliser, à la veille de la lettre pastorale lue le 22 septembre dans tout le pays. Le clergé de son côté estime que sa parole a été mal interprétée.
Ils ne sont pas allés de mains mortes. Ils ont attendu la veille de lecture du message pastoral des évêques catholiques du Burundi pour tirer à boulets rouges. Des membres du gouvernement et du parti au pouvoir avec comme chefs de file, Willy Nyamitwe et Evariste Ndayishimiye, respectivement conseiller principal à la présidence et secrétaire général du parti Cndd-Fdd.
Pourtant, le message des évêques avait fuité en début de semaine. Une grave erreur commise par un membre du staff, reconnaît le clergé. Cette fuite a permis au pouvoir de s’emparer du message avant de sortir de ses gongs.
« Certains évêques devraient être défroqués car c’est devenu une habitude : à la veille des élections, ils doivent cracher leur venin de haine à travers des messages incendiaires, ..» a fustigé Willy Nyamitwe.
Le patron du parti au pouvoir de renchérir dans un discours à Mugongomanga. « Ils vont recommencer à vous diviser. Demain ils vont vous dire que les Imbonerakure malmènent les autres membres des partis politiques». Evariste Ndayishimiye déduit que si les militants du parti Cndd-Fdd sont des criminels, l’Église catholique doit également assumer qu’elle est en train de tuer les gens. 85% des militants du parti étant des chrétiens catholiques.
Au lendemain de ces accusations, le clergé tente des explications. Mgr Bonaventure Nahimana, évêque de Rutana et vice-président de la conférence des évêques catholiques du Burundi parle d’un message pastoral à l’endroit des membres de l’Eglise. « Il ne s’agit pas de déclaration destinée au grand public. C’est un message appelant le catholique à la tolérance et à la responsabilité à quelques mois des élections. »
La parole des prélats a donc été lue dimanche 22 septembre dans toutes les paroisses du pays. A la veille des élections, les évêques veulent éviter l’indifférence. Il s’agit d’un moment important pour la vie du pays et de ses citoyens. Ils se félicitent du pas franchi dans l’édification de la démocratie. Leurs préoccupations sont notamment liées aux violences politiques observées ces derniers temps. Des actes criminels sont perpétrés contre l’opposition, en toute impunité. Le message évoque également la confusion entre le Cndd-Fdd et l’administration. Ainsi, dénoncent les évêques, les jeunes affiliés à ce parti semblent se substituer aux services de sécurité. « Une telle pratique sème le désordre qui risque de perturber le climat favorable au processus électoral ». Ils appellent les catholiques qui sont dans des organes dirigeants à leur responsabilité.
Le 25 septembre, le porte-parole du gouvernement essaie de clore le débat. Dans une conférence publique tenue à Rumonge avec ses confrères, Prosper Ntahogwamiye indique que les relations du gouvernement et l’Eglise catholique sont « au beau fixe. » Leur récente sortie et les débats autour sont, dit-il, « un signe de démocratie. »
Analyse/ La messe est dite
L’Eglise catholique s’est toujours exprimée depuis les années de l’indépendance. En 1972, elle se prononce contre les massacres en cours. Pas assez fort, selon certains.
Dans les années 80, elle engage une confrontation avec le pouvoir de l’époque. Le président Jean Baptiste Bagaza tente alors de réduire l’influence de l’Eglise catholique et de lui interdire d’enseigner et de dire la messe en semaine. Des mesures impopulaires qui vont d’ailleurs précipiter sa chute en 1987.
Le clergé va également en 1993, dénoncer le coup d’Etat contre le président démocratiquement élu, Melchior Ndadaye et les tueries qui s’en sont suivies.
Le pouvoir Cndd-Fdd s’est retrouvé sous le spectre de l’Eglise au mois de mars 2015. L’homélie de Mgr Simon Ntamwana en commune Gishubi reste dans les mémoires. L’archevêque de Gitega s’est vertement opposé à la candidature de Pierre Nkurunziza appelant les catholiques à s’y opposer, allant jusqu’à dire que ceux qui le soutiendront dans sa démarche seront ni moins ni plus que des esclaves. « Nous ne pouvons pas voter pour lui. Il ferait de nous des esclaves ».
Une pilule qui visiblement ne passe pas. A chaque sortie de l’Eglise, les protestations fusent avec des niveaux de tonalité et de virulence variable, en fonction des conjonctures.
A la veille des élections, accuser la jeunesse du parti au pouvoir de se substituer à la police, de commettre des actes criminels en toute impunité est une très mauvaise publicité pour le Cndd-Fdd.
Un message pastoral aussi fort, sans ambages, qui nomme les auteurs des exactions et les victimes, un tel message lu dans toutes les paroisses du pays est une véritable « bombe » en termes d’image à quelques mois de la campagne électorale. Quand on sait qu’environ 80 % de Burundais sont de confession religieuse catholique…
Le pouvoir est conscient de la forte influence de l’Eglise. Reste à savoir si ces réactions enflammées, voire insultantes étaient la meilleure façon de défendre sa cathédrale...Mais lors de la conférence de presse de Rumonge, le porte-parole du président a mis de l’eau dans le vin. Le message des évêques n’est pas un problème ont dit les communicateurs du gouvernement. La messe est dite.