mai
23
2016

Dans le « cœur » d’Iwacu

Depuis huit ans, tous les matins, à huit heures, réunis autour d’une longue table ovale, les mots rituels de Léandre Sikuyavuga, le rédacteur en chef, tombent : « Portables en mode silencieux, on ferme son laptop. C’est parti pour la conférence de rédaction. » Le tour de table démarre généralement avec le service politique. Chaque journaliste, rubrique par rubrique (politique, économie, sécurité, société, etc.) doit présenter son sujet, et son intérêt pour les lecteurs. « Chacun doit  défendre son sujet et cela donne lieu à des débats très animés », explique Léandre Sikuyavuga. Même le directeur des publications, comme tous les journalistes, devait lui aussi défendre son sujet. « Il est arrivé que la rédaction refuse un sujet  d’Antoine Kaburahe », raconte un brin amusé le rédacteur en chef.

Ce que confirme depuis Bruxelles, le directeur des publications, Antoine Kaburahe, aujourd’hui contraint de vivre loin de « sa » rédaction : « La conférence de rédaction est un moment et un espace démocratique par excellence, il faut convaincre ses collègues, défendre son idée, c’est la pertinence du sujet qui compte. » Il raconte à ce propos une anecdote : « Il y a quelques années, le service des renseignements a débauché et engagé un journaliste d’Iwacu. A Bujumbura les amis du journal, appelaient affolés, convaincus que ce journaliste ‘allait révéler les secrets d’Iwacu’. Je leur disais en rigolant qu’en réalité, il n’y a pas de secrets. Tout se joue  lors de la conférence rédaction, c’est le cœur, le moteur d’Iwacu. » Cette transparence explique la liberté et la diversité de ton que l’on retrouve dans le journal.

Des journalistes debout

Antoine Kaburahe se souvient encore d’un moment fort. C’était en mai 2015, après la destruction des radios indépendantes. Le journal a arrêté toute sa production pendant près de deux semaines. « Nous sommes restés terrés, traumatisés par la destructions des autres médias. De nombreux confrères étaient en clandestinité, d’autres avaient déjà pris le chemin de l’exil.  La peur était partout. » Le directeur  des publications a alors convoqué une conférence de rédaction décisive.  Une question de vie ou de mort pour Iwacu. « La question était qu’est-ce que l’on fait. On arrête ou on continue, je ne pouvais rien imposer. J’ai demandé que l’on vote, en son âme et conscience. La rédaction a voté à l’unanimité pour continuer ». Il se souvient de ce moment avec émotion. « J’étais fier de cette détermination. J’ai compris qu’au Burundi, quelque chose d’historique venait de se jouer : des journalistes décidaient de rester débout, même la peur au ventre. »

« Iwacu  est une référence, une expérience unique au Burundi et même dans la sous région », souligne  avec admiration un diplomate occidental accrédité à Bujumbura.

Aujourd’hui, huit  ans après sa création, 40 personnes sont employées à temps plein à Iwacu, sur un total s’élevant à une cinquantaine de collaborateurs. Journalistes, cameramen,  graphistes, photographes… Iwacu est devenu un groupe de presse qui produit au quotidien une newsletter électronique, un hebdo en Kirundi et en français, un magazine mensuel, une Web TV et un site internet, très diversifié, aujourd’hui le plus visité à propos du Burundi. Le groupe, pionnier dans bien des domaines, a également lancé une maison d’édition, la seule au Burundi.

Considéré avec raison comme un des derniers bastions de la presse libre, Iwacu tente de survivre et de continuer à informer dans un environnement politique, économique très difficile.

La campagne de crowdfunding

Vous pouvez soutenir ce projet  via la plateforme de financement participatif Ulule. Les contributions débutent à 5 euros. Elles ont pour objectif de réduire la charge de la dette liée à l’investissement dans une imprimerie : Iwacu, qui jusque-là était contraint d’imprimer certaines de ses publications en Ouganda, ambitionnait non seulement d’acquérir son autonomie, mais aussi de lancer une édition quotidienne en mai 2015. La crise burundaise a réduit ce projet à néant. Elle n’a pas été non plus sans impacter l’économie du burundaise avec, pour conséquence, une chute des recettes publicitaires de 80% ! Cette campagne de crowdfunding, c’est plus qu’un ballon d’oxygène, c’est une question de survie.

93 contributeurs ont déjà exprimé leur soutien au seul groupe de presse indépendant à diffuser de l’information générale sur le Burundi. En ces temps difficiles, c’est une nécessité : sans une presse indépendante de qualité, ne resteraient que les rumeurs et informations non vérifiées circulant sur les réseaux sociaux.

Pour participer à la campagne de financement participatif du groupe Iwacu : http://fr.ulule.com/iwacu/

De Laurence Dierickx

 

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