Des lois budgétaires viciées
Dépassement des seuils budgétaires, lois votées à la hâte, un Parlement incapables d’exercer son rôle de contrôle de l’exécution budgétaire, … les lois budgétaires en vigueur au Burundi ont du plomb dans l’aile. Point sur les défaillances qui entourent la mise en place du budget de l’Etat.
Pour un député de l’opposition, les votes sur les lois budgétaires s’effectuent souvent dans un timing inapproprié. « Le ministre des Finances vient souvent présenter son projet de loi assez tardivement de sorte que les députés n’ont pas assez de temps pour en examiner le contenu »
Le député souligne aussi que la logique de pensée unique qui imprègne, selon lui, le parti au pouvoir amène bon nombre de députés à ne jamais refuser les lois budgétaires proposées par le Gouvernement. « Dans ces cas-là, des consignes strictes sont délivrées aux députés présents pour empêcher toute divergence d’idées »
Quant au dépassement des lignes budgétaires souvent pointé du doigt par la Cour des comptes, le député Nestor Ntahontuye, président de la Commission Finances au sein de l’Assemblée nationale, estime que c’est une situation tout à fait normale. « Ce sont des choses qui arrivent souvent. L’important, c’est qu’il y ait une marge d’erreur acceptable ».
Face au dépassement des seuils fixés par la loi budgétaire, que peut la Cour des comptes, elle qui a notamment pour mission de contrôler l’exécution budgétaire ? Interrogé par Iwacu, son président, Elysé Ndaye, est formel. « La Cour des comptes a le rôle de contrôler l’exécution des lois budgétaires et d’émettre ses constats et propositions ».
D’après lui, la Cour des comptes n’a pas de prérogatives juridictionnelles qui lui permettraient de sanctionner les dérives budgétaires.
Que disent les lois ?
L’article 182 de la Constitution du Burundi précise que l’Assemblée Nationale vote le budget général de l’Etat. Cet article ajoute que l’année budgétaire débute au premier juillet et se clôture au 30 juin de l’année suivante.
L’article 183 détaille les missions et prérogatives de la Cour des comptes. Ainsi, le texte spécifie que la Cour des comptes est chargée d’examiner, de juger et de certifier les comptes de tous les services publics. L’article 183 prévoit également que la Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l’exécution de la loi de finances.
Enfin, selon le même article, la Cour des comptes présente au Parlement un rapport sur la régularité du compte général de l’Etat et confirme si les fonds ont été utilisés conformément aux procédures établies et au budget approuvé par le Parlement.
L’article 60 de la loi sur les finances publiques avance que les gestionnaires et les ordonnateurs délégués sont responsables de leur gestion budgétaire devant l’autorité hiérarchique dont ils dépendent.
En cas d’infraction aux règles budgétaires et comptables et en cas de faute de gestion pour les ministères, révèle ce texte de loi, ils sont passibles des sanctions disciplinaires prévues par le statut général de la Fonction publique.
Et de compléter que quand de tels cas surviennent, le ministre chargé des Finances dispose du pouvoir d’instruction et de sanction prévu par le statut général de la fonction publique. Ainsi, le ministre conduit la procédure disciplinaire et arrête une sanction sur avis de la Cour des Comptes rendu après avoir procédé à l’audition de l’intéressé.
A ce propos, Iwacu a contacté le ministère en charge des Finances, sans succès.
La société civile demande des comptes
Des acteurs de la Société civile interrogés dénoncent des dépassements budgétaires qui font le lit de la corruption à grande échelle.
Gabriel Rufyiri : « le Parlement ne mène aucun suivi »
D’après le président de l’Olucome, il y a un problème de retard dans l’analyse de la loi budgétaire. « Normalement, la loi de règlement budgétaire prévoit que le vote budgétaire doit s’effectuer trois mois avant la session budgétaire du mois d’avril. Mais ça ne se passe jamais ainsi ».
Pour le chantre de la lutte anti-corruption, le Parlement ne mène aucun suivi et aucun contrôle sur l’exécution budgétaire, ce qui favorise, selon lui, les dépassements en termes de dépenses budgétaires.
M. Rufyiri salue toutefois l’annonce par le chef de l’Etat de la mise en place d’un budget-programme et dit souhaiter vivement que la volonté présidentielle soit appliquée.
Faustin Ndikumana : « Une transparence budgétaire inexistante »
Le président de Parcem rapporte qu’au niveau de la sous-région, le Burundi occupe les dernières places dans les classements de Transparency International sur la transparence budgétaire. Et de pointer du doigt le manque d’information budgétaire pour le public, le processus budgétaire du début jusqu’à la fin de l’exécution budgétaire qui comporte des défaillances.
« Il n’y a pas non plus de budget-programme. On vote le budget en ne se référant pas sur un programme précis », indique Faustin Ndikumana. D’après cet économiste de formation, les dépassements budgétaires vont avoir lieu tout naturellement pour privilégier les intérêts économiques de certains gestionnaires politiques au détriment de projets de développement.
M. Ndikumana pointe aussi un Parlement ‘’faible’’ face à l’Exécutif. « Le Parlement n’a aucune capacité de contrôle de l’exécution budgétaire de la part de l’exécutif. Elle fait montre d’impuissance face à l’Exécutif ».
Quant à la Cour des comptes, selon le président de Parcem, elle a été vidée de ce qui faisait la quintessence de sa mission à savoir ses prérogatives juridictionnelles. « Ses constats et observations sont d’ailleurs souvent restés lettre morte », déplore-t-il.
Faustin Ndikumana insiste également sur un exécutif qui a une liberté singulière dans la gestion budgétaire et appelle à l’éveil de la conscience citoyenne sur ce sujet. « Il faut que les citoyens soient conscients que ce sont eux qui, à travers leurs impôts, donnent les moyens de fonctionner aux pouvoirs publics. Cela montre qu’il y a une carence en termes de contrôle citoyen ».
Enfin, le dirigeant de Parcem estime que là où règne une transparence budgétaire déficiente, s’y installent l’enrichissement et la corruption massive.
A l’issue du Communiqué du Conseil des ministres du 20 avril dernier, le ministère en charge des Finances a rapporté que le montant des réalisations des exonérations est de 157.908.716.138 BIF par rapport au budget prévu à cet effet d’un montant de 18.000.000.000 BIF.
A l’issue de l’analyse du projet de loi présenté par le ministère des Finances, il a été recommandé aux différents ministères de faire une planification réaliste de leur plan d’action pour limiter le dépassement des prévisions budgétaires.
https://www.iwacu-burundi.org/des-lois-budgetaires-viciees/