aoû
29
2022

Développement économique : Compter sur les ressources naturelles, une illusion ?

D’après deux éminents professeurs et chercheurs, le Burundi ne devrait pas trop compter sur les ressources naturelles. « L’économie diversifiée, c’est ce que le Burundi devrait faire. » Déclaration faite lors d’une conférence-débat, organisée par la BRB, vendredi 19 août, sur le rôle des ressources naturelles dans le financement du développement.

Par Emery Kwizera et Fabrice Manirakiza

Vers 11 h, l’une des salles de l’hôtel Kiriri Garden est pleine de participants, des invités et des journalistes. La conférence commence par une prière comme c’est la coutume avant toute activité officielle au Burundi. Sont présents des députés, le ministre des mines, les membres du conseil de la Banque de la République du Burundi (BRB), les hauts cadres de ladite banque, les administrateurs directeurs généraux des banques, les représentants du secteur privé, etc.

Dans son discours d’accueil, Dieudonné Murengerantwari, le gouverneur de la Banque centrale rappelle à l’assemblée que la conférence sera animée par deux éminents professeurs et chercheurs : Pr Léonce Ndikumana et Dr Janvier Désiré Nkurunziza. « Le thème est : Le financement du Burundi, rôle des ressources naturelles. » Les conférenciers du jour sont tous les deux spécialistes dans le domaine de financement des économies. Le gouverneur de la Banque centrale avertira les invités d’être prêts à être « désillusionnés et éclairés sur les voies et moyens afin de mieux impulser et orienter le développement économique du Burundi. »

Dans sa présentation, Dr Janvier Désiré Nkurunziza a rappelé qu’il y a un peu de tout au Burundi comme ressources naturelles et elles sont presque partout : le nickel, la cassitérite, l’or, les lacs, les rivières, des terres fertiles, des hydrocarbures. « Est-ce que le Burundi en profite ? Ce n’est pas grand-chose. « La moitié des exportations est portée sur l’or à 51 %, 25 % sur le café et près de 12 % sur le thé. D’autres produits ne représentent pas une grande part. » Cela, déplore-t-il, veut dire que les exportations burundaises sont concentrées sur un seul produit, ce qui est grave. D’après lui, s’il y a un problème qui frappe ce produit, le pays est touché de plein fouet. Pour lui, la concentration des exportations sur un seul produit et la quasi-dépendance totale sur les ressources naturelles est un problème.

Bien plus, fait-il remarquer, la production de l’or évolue en dents de scie et a chuté ces 10 dernières années. De 1995 à 2020, la production de l’or est passée de 6000 Kg à environs 2000 Kg. « Cela veut dire que l’on n’a pas une politique claire d’encourager la production ou de l’encadrer. Et par conséquent, si les ressources du pays dépendent d’un produit qui évolue en dents de scie, elles suivent aussi le même mouvement. » Et de souligner que c’est difficile de planifier si on a des ressources que l’on ne peut pas prédire. « Au Burundi, il y a un sérieux problème de production artisanale, difficile à contrôler. Exploité de manière anarchique, ça devient incontrôlable. Ça pose un problème de gestion. » Il s’interroge par exemple pourquoi la quantité des exportations de l’or déclarée par le Burundi est différent des chiffres que donnent les autres pays sur l’or en provenance du Burundi. « Où va la différence ?», se demande-t-il. Et de conclure qu’il est très rare qu’un pays se développe juste sur base des ressources naturelles.

L’expert explique

M. Nkurunziza évoque plusieurs causes dont la détérioration des termes de l’échange. Au fil du temps, explique-il, les ressources naturelles sont achetées de moins en moins, leurs prix au niveau mondial et en moyenne chutent alors que les produits importés augmentent.

Le deuxième problème, c’est ce qu’il appelle la volatilité des ressources naturelles. Les pays comme le Burundi, le Nigeria, le Ghana, l’Angola ne contrôlent pas les prix de leurs ressources naturelles sur les marchés internationaux. « C’est-à-dire, ils n’influencent pas le prix. Par contre, le prix les influence. » Donc, si les prix sont instables et qu’il y a une forte dépendance sur les ressources naturelles, cela cause également une instabilité au niveau macroéconomique. Il confie que cela affecte les taux de change, l’inflation et même la balance commerciale. «Cela crée des problèmes de gestion au niveau macroéconomique du pays concerné. »

Janvier Désiré Nkurunziza affirme également que les pays dépendants des ressources naturelles ont tendance à être politiquement instables. « Au sein de ces pays, il a des groupes d’intérêts qui vont chercher à contrôler et à capturer ces produits, et souvent des conflits naissent. » Il cite par exemple La Sierra Leone, le Nigeria, ou la RDC… Selon lui, ce sont des faits qui sont prouvés. Il soutient aussi qu’il y a une faiblesse de développement dans ces pays qui dépendent beaucoup des ressources naturelles.

L’expert économiste conseille aux Burundais de ne pas trop bâtir le développement sur les ressources naturelles. « Elles vont servir, elles vont contribuer, mais il ne faut pas trop bâtir l’avenir du pays juste sur les ressources naturelles. »

Plus on dépend des ressources naturelles, moins on se développe, moins on a une économie forte. Dans les pays dont les 80% des exportations sont des ressources naturelles (la plupart des pays d’Afrique et d’Amérique latine), précise-t-il, aucun n’est développé.

Reconnaissant que l’exploitation des ressources naturelles dont dispose le Burundi, pourrait contribuer au développement, il juge naïf de croire qu’à elles seules, elles pourraient suffire.

Que faire ?


Deux courbes montrent une différence entre ce que le Burundi dit qu’il exporte au reste du monde et ce que ce dernier dit qu’il importe du Burundi.

« Il faut avoir une stratégie cohérente de gestion du secteur des ressources naturelles », préconise M. Nkurunziza. Il ne faut pas pour lui, se vanter de la richesse et dire que tu vas, les exploiter. Mais plutôt, avant de les exploiter de manière sérieuse, il propose de les garder dans le sol. Selon lui, l’expérience montre que presque tous les pays qui ont justement une forte dépendance des ressources naturelles les ont mal gérées. Il conseille aussi de diversifier les exportations et aller au-delà des ressources naturelles.

Et pour y arriver, il observe qu’il faut diversifier l’économie en développant l’industrie et le secteur des services. Pour que ces derniers objectifs soient atteints, des infrastructures de base doivent être disponibles faisant allusion à l’électricité, routes, chemins de fer, ports. Et les institutions doivent être bien outillées pour savoir les opportunités d’exportation. Au point de vue touristique, il considère que le Burundi devrait s’inscrire dans le schéma touristique de la communauté est-africaine en adoptant la stratégie du visa unique et négocier avec les compagnies aériennes pour baisser les prix des billets d’avion pour les visiteurs du Burundi.

Il rappelle aux Burundais qu’ils ne pourront pas développer le pays sans recourir aux investissements directs étrangers (IDE). Il estime qu’il faut beaucoup plus travailler sur cet aspect. « Les investisseurs viennent avec des idées, un savoir-faire que le Burundi n’a pas et connaissent beaucoup mieux les marchés d’exportation. » Or, analyse-t-il, les IDE au Burundi sont presque nuls depuis 1972 alors que d’autres pays de la sous-région sont dynamique et enregistrent des millions USD. « Cette situation devrait interpeller. Il faut attirer les investisseurs».

Les IDE insignifiants privent le pays d’une importante source de revenu selon lui. L’autre idée qu’émet l’expert c’est de connecter les petites et moyennes entreprises burundaises aux investisseurs étrangers. Ainsi, ils pourront bénéficier des avantages auprès de ces investisseurs.

« La coopération internationale aussi est une source de financement pour les pays en développement. » Il soutient que le Burundi en a vraiment besoin bien qu’elle soit une source parfois volatile. « Le partenaire prend des décisions parfois pour des motifs politiques. Il faut alors en être conscient et savoir comment travailler avec lui. » Il trouve aussi que le Burundi doit changer son discours sur l’aide publique au développement qui est une source importante des devises. Néanmoins, il déclare avec insistance que l’amélioration de la gouvernance des secteurs publics et privés doit être au cœur des réformes.

« Celui qui pense que Dieu a béni le pays avec un sous-sol riche se trompe»

 


Pr Léonce Ndikumana : « Avoir des ressources et avoir des devises, c’est deux choses différentes. »

« Le capital burundais dans les compagnies minières, c’est combien ? Le gouvernement burundais, il a combien comme capital là-dedans ?», s’interroge à son tour le Pr Léonce Ndikumana, économiste. Et déplore-t-il, les dollars ne rentrent pas au pays. Pour lui, il faut exploiter, il faut exporter, oui, mais se demander : est-ce que les devises rentrent ? « Vous pouvez avoir vos ressources, qui sont exploitées, qui sont exportées, sans avoir des devises. Dans certains pays, il n’y a pas d’obligation pour les exportateurs de rentrer des devises au pays », témoigne cet économiste et chercheur. Dans ce cas, si la compagnie a la possibilité d’exploiter les ressources, les vendre à l’étranger et ne pas faire rentrer des devises, Léonce Ndikumana considère que le pays ne gagne rien. « Puisque le lendemain, elle va revenir à la banque centrale pour demander des devises destinées à l’achat des équipements alors qu’elle n’a rien amené au pays. »

Il faut bien fixer un régime fiscal pour les ressources naturelles et que cela est valable même pour d’autres pays. En Zambie, c’est la même chose. Vous trouvez des contrats qui durent des décennies. « Moi, je me demande la personne qui a signé ce genre de contrats ? »

D’après le Pr Ndikumana, il faut d’abord donner des produits de qualité et pouvoir s’assurer que le gouvernement est en train de bénéficier en termes de taxation et de redevance.

Pour Pr Léonce Ndikumana, celui qui pense que Dieu a béni le pays avec un sous-sol riche se trompe. « Le Burundi doit travailler et transformer les ressources naturelles pour les vendre à un bon prix afin de financer d’autres secteurs », commente ce professeur émérite de l’université de Massachussetts. Cela exige un cadre macroéconomique solide au niveau de la politique fiscale et monétaire, mais aussi la politique de change.

Concernant le problème actuel lié au marché de change, Ndikumana déplore que le marché parallèle couvre 74 % des exportations au Burundi. Pour corriger ce déséquilibre, il propose la discipline fiscale et le recours à l’aide publique au développement pour amortir les ajustements du taux de change. « Mais cela prend du temps, si vous voulez corriger en une journée, allez rêver. Cela a pris 10 ans pour le Ghana. »

D’après lui, il faut vraiment savoir bien fixer un régime fiscal pour gérer les ressources naturelles et s’assurer que le gouvernement est en train de bénéficier en termes de taxation et de redevance. Et puis après exploitation et exportation, vérifier si les devises rentrent. « Avoir des ressources naturelles et avoir des devises, ce sont deux choses différentes ».

Léonce Ndikumana indique que le fait de prier ne résoudra pas la crise. « Il faut travailler, il faut retrousser les manches. S’il vous plaît, Dieu nous aime tous, il ne va pas aider le Burundi plus que d’autres pays. Dieu aide ceux qui s’aident eux-mêmes. » Il estime par ailleurs que le Burundi a besoin des experts qui maîtrisent l’exploitation des ressources naturelles qui peuvent négocier avec des compagnies étrangères. « Combien d’avocats Burundais, peuvent négocier des contrats miniers ? Personne. » Il propose de revoir le système éducatif pour qu’il donne des compétences dont le pays a besoin dans ce secteur.

Cette conférence du 19 août 2022 est une troisième de ce genre après celle de 2019 et de 2021 qui portaient respectivement sur les thématiques de la fuite des capitaux et sur le développement économique au Burundi. La BRB s’attend à ce que les informations partagées dans ladite conférence débat soient une base décisionnelle des institutions sur les mécanismes appropriés de financement du développement.


>>Réactions

Gabriel Rufyiri : « Il faut que les politiques considèrent la parole des experts. Sinon, le Burundi n’avancera pas. »

« Je partage à 200% ce point de vue des experts », indique le président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (Olucome). D’après lui, les ressources naturelles ne pourront jamais être bénéfiques pour le pays aussi longtemps que la mauvaise gestion, la mauvaise gouvernance économique reste une réalité. Gabriel Rufyiri fait savoir que l’Olucome avait depuis longtemps recommandé que le Burundi puisse adhérer à l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) qui aide les Etats à mieux gérer les ressources naturelles. « Le Burundi avait commencé le processus, mais malheureusement le processus a été arrêté parce que certains gangs ont refusé qu’il puisse continuer».

Gabriel Rufyiri recommande aussi l’adhésion effective du Burundi aux outils de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) : « Cette organisation à 6 outils qui concernent la traçabilité des minerais et la gestion minière. Ces outils sont très importants en matière de gestion des ressources naturelles.

Malheureusement, il y a eu une ‘adhésion théorique mais au niveau pratique, ce n’est pas toujours le cas. » D’après lui, le trafic illicite continue malgré ces outils. Pour M. Rufyiri, même si nous sommes en train de miser sur ces ressources naturelles, ça serait très difficile d’arriver loin si les principes de bonne gouvernance ne sont pas respectés.

Une autre recommandation de l’Olucome, c’est l’application effective de la Stratégie nationale de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. Gabriel Rufyiri fait savoir que cette dernière montre comment la bonne gouvernance doit être insufflée dans les veines de l’Etat et de ses hauts cadres. « Mais, depuis que la 2ème génération de cette stratégie a été adoptée les institutions publiques, elle a été cachée et on ne sait pas où elle se trouve. Il n’y a aucune autorité qui fait allusion à ce document. Il faut que les politiques considèrent la parole des experts. Si non, le Burundi n’avancera pas».

Un problème grave de rapatriement des devises

Selon Gabriel Rufyiri, les sociétés qui œuvrent dans ce domaine sont tellement plus outillées en termes d’experts, de stratégies que la plupart des pays africains. « Raison pour laquelle l’Olucome avait suggéré que le Burundi adhère à l’ITIE pour accéder à ces experts. Peut-être que les autorités vont, cette fois-ci, changer d’avis».

Le président de l’Olucome fait savoir que le secteur minier a des problèmes au niveau interne comme au niveau externe : « Il y a un problème grave de rapatriement des devises. Ce secteur manque de transparence. Il suffit de consulter le budget général de l’Etat. » D’après lui, cette année, le gouvernement a diminué le montant des recettes en provenance des ressources naturelles. « C’était 3 milliards de BIF. C’est très peu. » Et de citer des rapports qui sont publiés par des experts internationaux surtout des Nations unies : « Ils ont montré que la quantité de l’or qui est vendue au nom du Burundi est entre 500 g et 2 tonnes. Si on considère seulement l’or, il est clair que le montant qui devait être rapatrié dépasserait de loin ce montant qui est dans le budget. »

M. Rufyiri trouve que pour que les ressources naturelles puissent être l’un des secteurs porteurs de croissance, il faut des préalables : instaurer cette stratégie nationale de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption et la mettre en application, des cadres capables de faire une planification stratégique avec des experts compétents. « Ces recommandations seront possibles quand les experts seront mis en avant».

Faustin Ndikumana : « L’économie ne doit pas dépendre de l’exportation des ressources naturelles. »

« Selon moi, il n’est pas encore temps pour que le secteur minier puisse être vraiment le moteur de développement économique du Burundi », relève le directeur national de Parole et Actions pour le Réveil des Consciences et l’Evolution des Mentalités (Parcem). Toutefois, il reconnaît que le secteur minier est l’un des secteurs qui peuvent être identifiés comme porteurs de croissance. Et d’aussitôt : « Ce n’est pas dit évident que le secteur peut booster l’économie burundaise immédiatement. »

Faustin Ndikumana juge qu’il y a des préalables qui doivent être mis en application pour que le Burundi puisse profiter en valorisant ces secteurs porteurs de croissance à savoir le secteur agricole, le secteur minier, le secteur touristique, etc. « Le Burundi a d’abord besoin comme préalable d’une capacité institutionnelle forte et capable. Une stabilité politique. Un nouvel ordre de gouvernance. Des ressources humaines capables, des capacités de mobilisation des financements extérieures».

Selon M. Ndikumana, ce nouvel ordre de gouvernance permettrait la bonne gestion de la chose publique. « En dehors de tout ça, se lancer dans l’exploitation minière est peine perdue. C’est donner un coup d’épée dans l’eau». Il indique que la situation qui bloque le secteur minier est l’opacité et le manque de transparence : « Il faut rendre transparent justement le processus de sélection des entreprises qui exploitent les minerais. Favoriser la concurrence et exiger toutes les études préalables qui doivent être présentées comme l’étude d’impact économique, l’impact environnemental. » D’après lui, il faut que ces contrats soient soumis à l’analyse des experts indépendants.

Deuxièmement, souligne-t-il, il faut mettre sur pied une structure de régulation qui comprend des experts pour assister le gouvernement. Envoyer des nationaux se former dans les pays où ce secteur est développé. M. Ndikumana trouve qu’on devrait encore équiper et valoriser le Laboratoire de Contrôle et d’Analyse Chimique (LACA) et le musée géologique, mobiliser les ressources nécessaires et préalables pour renforcer les conditions d’une exploitation responsable notamment les infrastructures. « Il faut un fond spécial pour la gestion des ressources minières en informant d’abord les citoyens, ensuite permettre une gestion transparente et évaluation d’impact. Les fonds du secteur minier doivent être gérés spécifiquement car elles sont volatiles».

Pour cet économiste, il ne faut pas que l’économie dépende de l’exportation des ressources naturelles ou des ressources minières. De plus, conseille-t-il, il faut une gestion spéciale transparente pour que les devises des ressources minières puissent rentrer au pays. « Normalement, on devrait soumettre à l’examen tous les contrats passés antérieurement pour en informer le public et évaluer le contenu».

https://www.iwacu-burundi.org/developpement-economique-compter-sur-les-r...

Langues: 
Thématiques: 

Partager