Innocent Muhozi: « Les bailleurs de fonds doivent s’adapter à notre situation d’urgence »
Bruxelles - Malgré l’exil auquel il est contraint depuis plus de huit mois, le directeur de la radio télévision Renaissance, Innocent Muhozi, ne veut pas s’avouer vaincu. C’est une des raisons qui l’ont amené à Bruxelles pour participer à une table ronde qui a réuni les 23 et 24 mars les principaux médias privés burundais, le Conseil national de la communication (CNC) et une vingtaine d’opérateurs internationaux d’appui aux médias.
« Nous sommes venus ici avec pour objectif celui d’attirer l’attention de nos partenaires sur la situation extraordinaire dans laquelle se trouvent les médias indépendants burundais », a déclaré Muhozi dans un entretien accordé à Infos Grands Lacs. « Aujourd’hui ces médias ne peuvent plus exercer leurs activités de façon libre et indépendante, et un certain nombre d’entre eux sont en exil ».
Radio Télévision Renaissance fait partie de ces médias détruits lors de la tentative de putsch avortée en mai 2015. Suite à la destruction du siège de Renaissance et les menaces auxquelles il a été soumis, Innocent Muhozi a dû fuir le Burundi en aout de l’année dernière pour trouver refuge dans un pays voisin. « Je peux compter sur 15 journalistes et techniciens présents à Kigali et une vingtaine de leurs confrères qui sont resté au Burundi ». Ces derniers « continuent à être opérationnels mais dans des conditions d’insécurité extrêmes », assure le directeur de RTV Renaissance.
Des journalistes qui rasent les murs
« Nos cameraman sont régulièrement agressés par des policiers, nos journalistes rasent les murs e doivent faire face à l’animosité de la milice du pouvoir en place qui est une réalité, ils sont par ailleurs chassés de certaines rencontres publiques et l’accès à l’information reste limitée ». Voilà pour le quotidien, auquel s’ajoutent les problèmes techniques « qui nous empêchent de diffuser par voies hertziennes et qui nous poussent trouver des alternatives que nous offrent les nouvelles technologies de l’information comme le web, le satellite, les réseaux sociaux, etc. », ainsi que le versement des salaires, « qui est très problématique. Mais heureusement, la plupart des journalistes n’ont pas changé de bord et et restent engagés pour une information libre et indépendante ».
Pour quelques poignées d'euros...
Muhozi estime les besoins de son média à 5.000 euros par mois, une miette par rapport aux sommes colossales qui sont disponibles dans l’aide au développement. Mais comment accéder à cette manne financière à bref et moyen terme ? Voilà tout le problème. « Les interventions des partenaires sont traditionnellement délimitées au Burundi, alors que les principaux acteurs de l’information indépendante burundaise sont en exil. Certes, nous pouvons compter sur quelques appuis de la part d’ONG qui nous soutiennent depuis des années, mais c’est insuffisant. Nous avons donc demandé à nos partenaires de prendre en compte cette nouvelle situation et d’assouplir leurs mécanismes d’intervention et d’appui afin que les médias en exil soient soutenus comme s’ils étaient au pays et que la sécurité des journalistes présents au Burundi soit garantie. Ils doivent pouvoir circuler librement, accéder aux informations, avoir un salaire et du matériel. » Pour Muhozi, il faut protéger et soutenir « le moyen le plus important dont disposent nos médias : les ressources humaines ».
A Bruxelles, les responsables des médias privés burundais ont eu l’occasion de se confronter avec le tout nouveau président du Conseil national de la Communication (CNC), l’instance de régulation des médias au Burundi. Innocent Muhozi connait d’ailleurs bien Karenga Ramadhani qui, au cours de la table ronde, a déclaré à plusieurs reprises etre en mesure de changer la situation des médias au Burundi et demandé le bénéfice du doute. « Sa présence, et donc celle du pouvoir, a permis de favoriser un débat animé, parfois houleux certes, mais riche et intéressant », soutient Muhozi. « Cependant, quelle que soit sa volonté, réelle ou irréelle, il n’a pas les moyens ni les pouvoirs pour changer la situation actuelle des médias burundais. L’insécurité et les difficultés dans lesquelles travaillent nos journalistes au Burundi ne dépendent ni du CNC, ni de son président. Elle dépendent d’une guerre qui est en cours et d’un dialogue entre les parties en conflit.
Propos recueillis à Bruxelles par Joshua Massarenti pour Infos Grands Lacs, en collaboration avec VITA/Afronline (Italie).