oct
07
2019

Interview exclusive/ Agathon Rwasa : « L’objectif ultime du CNL, c’est le pouvoir »

L’intolérance politique, la culture de l’impunité, les discours d’apaisement du pouvoir, le retour des réfugiés, les coalitions pendant les élections, l’appel au boycott du CFOR, etc. Le président de ce parti, Agathon Rwasa, répond aux questions de l’heure. Sans langue de bois

Le CNL, bête noire du Cndd-Fdd ?

Nous sommes bloqués par l’administration issue du parti au pouvoir. C’est nous qui sommes victimes dans toutes les situations, que ce soit des actes de bastonnade, de vandalisme, des coups et blessures. C’est nous les victimes. Avec 15 ans de pouvoir, nous vivons dans la misère, des libertés sont violées, l’intolérance et la violence verbales.

Les gouverneurs de province qualifient le CNL de fauteur de trouble…

Les fauteurs de trouble, on les connaît. Les administratifs sont plutôt désemparés parce qu’ils ne savent pas exercer leur responsabilité, ils veulent être là pour servir un parti politique. Remarquez que sur les 18 gouverneurs de province, seules deux ne sont pas du Cndd-Fdd. Avec presque 120 administrateurs communaux. Vous comprendrez qu’ils se dérobent quand ils nous qualifient de fauteurs de trouble. Ils essaient de se justifier en faisant un transfert de leurs propres erreurs sur nous. Malheureusement ils entretiennent par conséquent l’impunité.

Vous accusez les administrateurs d’entretenir l’impunité ?

Vous vous souviendrez qu’au mois de juin dans la commune de Nyabiraba à Bujumbura, notre permanence a été incendiée. La veille, les membres du CNL craignant le pire s’étaient organisés pour assurer la garde de cette permanence. La police et l’administration les ont arrêtés et l’incendie a démarré après leur interpellation. Le procès en flagrance a plutôt condamné les victimes qui avaient été arrêtées avant l’infraction. Et on entendra les porte-parole de la police et du ministère de l’Intérieur prétendre que ce sont les militants du CNL qui détruisent pour charger cela sur le parti au pouvoir. La suite de ce scandale judiciaire, on la connaît : plus 30 permanences ont été vandalisées, détruites. Des personnes sont blessées, il y a un mort à Muyinga, d’autres victimes sont arrêtées, la liste est longue. Tout cela est à imputer à qui ? Au CNL ou à l’administration et la justice qui ne punissent pas ? Qui encouragent les violences ? Malheureusement, au lieu de protéger tout citoyen, ils sont partiaux, ils se rangent du côté du Cndd-Fdd et manquent à leurs devoirs de responsable.

Les administratifs et les partis politiques ont reconnu le mois dernier que des écarts ont été commis et ont décidé de stopper les violences politiques. Un mois après, vous constatez une accalmie ?

Nous devons reconnaître qu’il y a une grande faille du côté des administratifs car aussitôt après cette réunion, ils sont allés plutôt mettre en place une batterie de mesures pour nous empêcher d’exercer notre droit de citoyen. Un exemple : un administrateur qui dit de mettre notre permanence à un kilomètre de celle du Cndd-Fdd. Finalement le Burundi compterait combien de kilomètres en termes de superficie, lorsqu’on sait que la plupart des collines n’ont pas un rayon d’un kilomètre. Comment avoir un kilomètre entre deux permanences dans une localité qui ne compte à peine que 20 maisons ? C’est ridicule.

Est-ce un problème généralisé ?

Autant nous remercions les administratifs qui se conforment à la loi, autant nous remercions ceux qui nous persécutent. Ils nous font une publicité sans le savoir. Néanmoins, nous ne pouvons pas les encourager à continuer. J’ai vu tous les régimes depuis l’indépendance. Tous aspiraient à rester au pouvoir aussi longtemps que possible. Mais ils sont passés. Ça devrait nous servir de leçon. Les plus zélés sont les plus déçus lorsque les choses changent.

Et pourtant de plus en plus de hautes autorités du parti au pouvoir et du gouvernement multiplient des discours d’apaisement…

J’aimerais qu’ils accompagnent les discours par les actes, notamment en réprimant toute attitude délictuelle, sans tenir compte de l’appartenance politique. Allez voir, nos militants qui sont toujours blessés. Allez voir combien des montages fomentés contre nous ? Lundi 30 septembre, dans la zone de Mparamirundi en commune de Busiga des personnes ont été passées à tabac alors qu’ils transportaient du sable pour aménager la maison qui est censée servir de permanence. Certaines sont en prison d’autres à l’hôpital. Je crois qu’ils devraient voir si le message de tolérance passe, et punir les contrevenants.

Certains partis demandent que le parti CNL soit supprimé, d’autres demandent le contrôle des finances, pure jalousie ?

C’est leur faiblesse, on n’y peut rien. Ils ne peuvent pas aller vers la population. Ils n’utilisent que le levier politique pour se chercher des intérêts personnels. S’ils n’ont rien à dire qu’ils se taisent. S’ils en ont, qu’ils le démontrent. Nous vivons des cotisations de nos militants. Si vous êtes un parti politique qui n’a pour membres que son président et son secrétaire, comment voulez-vous vous comparer avec un parti qui a une assise dans la population. Il faut que les gens soient réalistes. Les 35 partis politiques agréés sont tous basés à Bujumbura et devraient donc avoir une adresse physique dans cette ville. Combien en ont ? A l’intérieur du pays, à peine vous trouverez le drapeau de l’Uprona, du Frodebu, du Cndd-Fdd et il s’est ajouté le CNL… le Burundi n’a pas besoin d’une myriade de partis politiques pour avancer, il a besoin de personnalités qui peuvent affronter les défis de l’heure et proposer des solutions.

Envisagez-vous une coalition pour les prochaines élections ?

Une coalition oui, mais il faut aussi voir les conditions dans lesquelles on travaille. Une coalition de plusieurs partis politiques n’a droit qu’à un seul mandataire dans un bureau de vote. Il va être noyé dans cette myriade d’associations de la société civile qui roulent pour le Cndd-Fdd. Une coalition serait désastreuse pour ceux qui la composent parce que les tricheries se font plus dans les bureaux de vote. Et il faut plusieurs personnes pour une surveillance plus efficace.

Qu’est-ce qui serait plus avantageux dans ce cas ?

J’encouragerais plutôt les partis politiques et les indépendants à s’enregistrer au moins pour les communales afin de maximiser le nombre de mandataires dans les bureaux de vote pour veiller au respect du verdict populaire. La coalition serait parfaite pour les présidentielles. La logique serait que ceux qui soutiennent le changement se rallient pour un unique et même candidat au lieu de disperser les votes.

Des politiques en exil, réunis dans la CFOR, appellent déjà au boycott des élections qui selon eux ne seront pas libres, démocratiques et apaisées…

Peut-être que là où ils sont, c’est ce qu’ils trouvent de mieux. Mais il faut avouer que c’est quand même irréaliste. Lorsqu’on sait qu’en politique, tout se conquiert par les urnes. Autrement dit, s’ils entérinent le statu quo, disant continuer comme cela jusqu’à nouvel ordre, j’ai envie de leur demander jusqu’à quand ? Nous au moins nous disons patientons jusqu’en mai 2020. Ils argumentent en évoquant notamment les violences faites au CNL. J’en conviens. Mais si on boycotte, on donne plutôt carte blanche au pouvoir. On lui trace une autoroute. Il faut par contre continuer à souffrir et lutter pour le changement.

Quelle est votre réaction par rapport au retour des réfugiés ?

Des gens vont jusqu’à me condamner parce que je plaide la cause du retour des réfugiés. C’est tout simplement parce que j’ai goûté à l’exil. C’est amer, c’est dégradant, sans droits. En revanche, J’ai toujours encouragé à ce que le pouvoir mette en place des mesures afin de rassurer les réfugiés pour qu’ils rentrent. Les Burundais en exil devraient faire des propositions de mécanismes à mettre en place pour un rapatriement digne.

Le conseil des droits de l’Homme plaide pour la coopération avec Gitega pour qu’il accepte la présence de la commission d’enquête sur son sol. Qu’en dites-vous ?

Si le pouvoir veut faire taire les mauvaises langues, il faut les mettre à l’épreuve. Les laisser venir constater par eux-mêmes qu’ils font du « radotage » puisque c’est comme cela que Gitega qualifie leur rapport. A ce moment-là, les membres de la commission d’enquête n’auraient plus de doute. La meilleure façon de démentir c’est de laisser les membres de ces commissions faire leur constat.

Un message aux militants du CNL ?

C’est toujours le même message. La retenue, le respect de l’autre, le respect de la loi, c’est aussi la patience. La victoire s’arrache avec la patience. On n’a pas à être écœuré par ce qui nous arrive. C’est triste, mais on doit être capable de supporter cela Ne pas céder à l’énervement. Rester calme et parfaitement lucide. Après tout, lorsqu’on marche vers une destination qui est connue, lorsqu’on a la certitude qu’on arrivera, on accepte toutes les intempéries et on avance. Ce ne sont pas les militants du CNL qui veulent gagner, c’est tous les Burundais qui aspirent au changement. On doit aller doucement vers l’objectif.

Votre objectif, c’est donc la présidence ?

L’objectif ultime du CNL, c’est le pouvoir. Nous ne pouvons exécuter les projets de société que nous proposons aux Burundais si nous n’avons pas le pouvoir dans toutes ses sphères et à tous les échelons. Et si le peuple réclame Agathon Rwasa à la présidence, pourquoi est-ce que je m’y déroberais. Les Latins disaient Vox populi vox Dei, la voix du peuple, la voix de Dieu.

www.iwacu-burundi.org

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