Interview exclusive avec Jean-Marie Nshimirimana :« La présomption d’innocence n’est pas parfois du tout respectée »
Précarité des conditions carcérales, non-respect des droits des détenus, lenteur dans l’application de la grâce présidentielle… Jean-Marie Nshimirimana, président de l’association Solidarité avec les Prisonniers et leurs Familles (SPF-Ntabariza), s’exprime à l’occasion de la journée internationale Nelson Mandela pour les droits des détenus célébrée chaque année le 18 juillet.
Vous, en tant que défenseur des droits des prisonniers, qu’est-ce que Mandela vous a laissé comme héritage ?
Souvenez-vous que cet illustre disparu a été incarcéré pendant plus de 25 ans. Il luttait contre la ségrégation raciale qui avait élu domicile dans la « Nation arc-en-ciel ». Nous gardons de lui le souvenir d’un homme qui a fait son cheval de bataille, durant toute sa vie, la lutte pour la paix et la défense des droits de l’Homme, en général, et ceux des détenus, en particulier.
Quelle évaluation faites-vous des conditions de détention au Burundi ?
Au Burundi, les conditions de vie des détenus restent précaires. Les établissements pénitentiaires sont surpeuplés. A l’heure où nous vous parlons, le nombre s’élève à 12180 détenus alors que la capacité d’accueil de nos prisons est moins de 5 mille prisonniers. D’où les conditions d’hygiène laissent à désirer. L’alimentation reste insuffisante. Bref, le respect des droits des détenus est loin d’être effectif.
Concrètement, quelles sont les droits des détenus ?
Il jouit de certains droits avant son arrestation et avant d’être présenté devant le magistrat. Avant le jugement, toute personne est présumée innocente. Mais, ici au Burundi, la présomption d’innocence n’est pas parfois du tout respectée. Quelqu’un peut être arrêté et peut passer plus de 14 jours en garde à vue.
Tout détenu a certaines obligations, mais il jouit aussi de certains droits. Il a droit au bien-être, aux activités de loisir, aux visites par sa famille, de se faire soigner, d’être assisté et être entendu par un avocat de son choix, pour ne citer que ceux-là.
C’est le directeur de la prison qui fait respecter ces droits. Mais ces droits sont parfois bafoués. Nous en profitons pour lancer un appel aux directeurs des établissements pénitentiaires de respecter et de faire respecter les droits des détenus.
Que faire pour désengorger les prisons ?
Il faut d’abord restaurer la justice de proximité qui était assurée autrefois par les notables collinaires. Ces derniers peuvent collaborer avec les OPJ pour le règlement des litiges ou des infractions mineures pour que les magistrats reçoivent uniquement les dossiers des justiciables ayant commis des infractions lourdes.
Il est inconcevable que quelqu’un soit incarcéré pour cause de dette civile. Il faut instaurer des sanctions à l’endroit des OPJ et des magistrats responsables des emprisonnements abusifs.
Par ailleurs, des prisonniers restent écroués alors qu’ils ont déjà purgé leurs peines. D’autres y restent parce qu’ils ont été incapables de payer de lourdes amendes qui leur ont été infligées. Tout cela gonfle les effectifs dans les prisons.
Certes, le magistrat peut quelquefois ignorer la capacité financière du détenu ou de sa famille, mais le Burundi est petit. Il y a lieu de savoir que la famille de tel ou tel est insolvable et par conséquent fixer une amende que le détenu pourra payer.
Etes- vous satisfait de la manière dont la mise en application de la grâce présidentielle est en train d’être faite ?
Pas du tout. Rappelez-vous que cette grâce présidentielle a été accordée à la fin du mois de décembre 2021. Mais maintenant nous sommes au mois de juillet 2022, il y a encore des détenus éligibles à la grâce présidentielle qui croupissent en prison. Nous déplorons cette situation. Ceux qui sont chargés de sa mise en application traînent les pieds.
C’est pourquoi nous avons proposé qu’il y ait des Etats généraux de la justice pour que d’autres intervenants puissent contribuer, telles que les confessions religieuses, les organisations de la société civile et la Cnidh afin que la justice pour tous soit une réalité.
Un cas d’un détenu de la prison de Ngozi décédé. Il est dit que les responsables de la prison lui auraient refusé la permission d’aller se faire soigner. Avez-vous diligenté une enquête sur ce cas ?
Nous avons entendu ce cas. A cet instant, nous n’avons pas de preuves sur ce refus. Mais nous avons dépêché une équipe dans la province pour faire une enquête. Lorsque nous aurons les résultats, nous les communiquerons.
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