Interview exclusive – Gonzague-P Balagizi : « Il est temps de changer les narratives sur le Burundi »
9 septembre, on célèbre la journée de l’Union Africaine (UA). C’est au Burundi que se trouve le Bureau de liaison pour la région des Grands-Lacs. Entretien avec Gonzague-Patrick Balagizi, le Chargé d’affaires a.i.
Pourquoi le 9 septembre a été instituée comme journée de l’UA ?
C’est à cette date, en 1999, à Sirte en Libye que les Chefs d’Etats de l’OUA ont signé la déclaration de Sirte qui appelle à la création de l’Union Africaine. Et ce, pour accélérer l’intégration continentale et promouvoir l’émergence de l’économie africaine et faire face aux problèmes émergeants du millénaire et aux nouveaux enjeux sociaux, politiques, économiques et sécuritaires globaux. Il fallait mettre en place une nouvelle organisation continentale à l’effet de consolider ses acquis. La décision de création d’une nouvelle organisation panafricaine était le fruit d’un consensus auquel étaient parvenus les dirigeants africains à l’effet de mobiliser le potentiel de l’Afrique, le besoin était ainsi créé de reporter l’attention loin des objectifs d’élimination du colonialisme et de l’apartheid, pour la ramener vers une coopération et une intégration accrue des États africains et en faire le moteur de la croissance et du développement économique de l’Afrique.
Mais, le 25 mai, c’est la journée mondiale de l’Afrique. Quelle est la nuance ?
Le 25 mai 1963, 32 chefs d’Etats des pays africains ayant accédé à l’indépendance se sont retrouvés à Addis-Abeba en Ethiopie pour créer l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Donc, cette journée du 25 mai renvoie à la date de naissance de l’OUA.
Quelle était sa mission principale ?
La Mission ou les objectifs principaux étaient d’ôter le continent des vestiges restant de la colonisation et de l’apartheid ; de promouvoir l’unité et la solidarité entre les États africains ; de coordonner et d’intensifier la coopération pour le développement ; de sauvegarder la souveraineté et l’intégrité territoriale des États membres et de promouvoir la coopération internationale.
Après la vague des indépendances, l’Afrique devait faire face aux nouveaux défis mondiaux. A l’aube de 2000, l’année de tous les enjeux, il fallait réfléchir sur une nouvelle donne pour faire face à ces enjeux multiples.
Bref, l’UA a été officiellement créée en juillet 2002 à Durban, en Afrique du Sud, suite à la décision du 9 septembre 1999 pour consolider les acquis de l’OUA. Autrement dit, on peut dire que c’est une évolution institutionnelle continentale de l’OUA à l’UA. L’UA s’inscrit dans la vision « d’une Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens et représentant une force dynamique sur la scène internationale »
A quel moment l’UA a commencé ses interventions au Burundi ?
L’OUA/l’UA est restée attentive face à la situation socio-politique et sécuritaire au Burundi depuis les années 1990. C’est en 1993, suite aux évènements tragiques survenus au Burundi le 21 octobre 1993 après l’assassinat du président Melchior Ndadaye, que l’OUA a décidé de déployer une Mission internationale de protection et d’observation pour le rétablissement de la confiance au Burundi-Mission de l’OUA au Burundi (MIOB), sur la base de la requête du Gouvernement burundais qui a été actualisée le 27 février 1994.
Depuis ce moment-là, l’UA est restée engagée au Burundi avec une présence dont le mandat a évolué selon les évènements. Le premier Accord de siège entre le Burundi et l’OUA a été signé le 8 avril 1994 dans le souci d’accompagner le Burundi et faciliter le rétablissement de la confiance parmi les différents acteurs.
Avec l’évolution on est passé de MIOB à MIAB -Mission Africaine au Burundi le 3 février 2003. Une Mission d’observation chargée de surveiller l’application du cessez-le-feu, prévue par les accords des 7 octobre et 2 décembre 2002. Le 01 juin 2004, les éléments de la MIAB ont été transférés à la Mission des Nations Unies au Burundi.
Aujourd’hui, le Bureau est nommé : Bureau de Liaison pour la Région des Grands-Lacs et le Burundi.
Quelles sont d’autres actions au Burundi ?
Elles sont nombreuses et variées. L’UA a toujours été présente au Burundi pour accompagner les efforts de consolidation de la paix. On peut citer également le soutien et l’accompagnement du Dialogue inter burundais d’Arusha, le soutien avant, pendant et après les élections de 2020 qui se sont déroulées dans un climat apaisé.
C’est dans le prolongement de cette présence continue de l’UA que dès 2014, et après 2015 sur recommandation du CPS, que la Commission de l’UA a dépêché au Burundi pas moins de 10 misions de très haut niveau, y compris le Panel de cinq chefs d’Etat et Gouvernement auprès des plus hautes autorités politiques du pays ainsi qu’auprès des acteurs politiques, les organisations de la société civile et les partenaires bilatéraux et multilatéraux du Burundi, avant le déploiement de la Mission d’Observation des droits de l’homme au Burundi.
Au départ, sur décision du Conseil de paix et de sécurité l’UA prévoyait le déploiement d’une mission appelée MAPROBU de 5000 hommes au Burundi.
Mais, ils ne sont pas finalement venus ?
Après consultations avec le gouvernement, on s’est mis d’accord sur 100 observateurs des droits de l’homme et 100 experts militaires. Mais en 2016, c’est finalement 32 observateurs des droits de l’homme et 15 experts militaires qui ont été déployés. Aujourd’hui cette Mission a pris fin depuis 31 mai 2021 sur décision du 993ème CPS suite aux progrès significatifs accomplis au Burundi.
Et quel est le mandat du bureau de liaison pour la région des Grands-Lacs ?
Le mandat du Bureau de Liaison du Burundi est régional et s’articule autour des 5 priorités notamment :
• Soutenir toutes les activités visant à mettre en Œuvre l’Accord Cadre d’Addis Abeba en collaboration avec les autres garants, et soutenir le Secrétariat Exécutif de la CIRGL afin de mettre en œuvre les dispositions du Pacte, notamment celles relatives à la paix et la sécurité, ainsi qu’à l’intégration régionale, en tant que stratégie de prévention structurelle des conflits et règlement des crises y compris la reconstruction post-conflit ;
• Assurer la promotion des positions de l’UA sur les questions relevant de la compétence de la CIRGL et la mise en œuvre des décisions prises par les organes compétents de l’UA, notamment le Conseil de paix et de sécurité ;
• Travailler en étroite collaboration avec les Gouvernements des pays de la Région des Grands Lacs, le Bureau de l’Envoyé Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour les Grands Lacs ; le Secrétariat de la SADC, la Délégation de l’Union Européenne, l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) ainsi qu’avec les autres membres de la Communauté Internationale accrédités au Burundi et dans la Région des Grands Lacs.
• Suivre l’évolution de la situation politique, sécuritaire, économique et sociale au Burundi, maintenir un dialogue constant avec les autorités et les autres acteurs du pays en leur apportant le soutien nécessaire pour consolider la paix et accélérer la reconstruction et la réhabilitation socio-économique, et faire des rapports réguliers au Président de la Commission et au CPS.
• Faciliter, le cas échéant, le suivi et la mise en œuvre au Burundi, des accord d’Arusha et dans la région la mise en œuvre des instruments pertinents de l’UA relatifs à la prévention des conflits, la consolidation de la paix et la reconstruction post-conflit, le programme frontière de l’UA, la démocratie, les Droits de l’Homme et l’état de droit, le désarmement, la lutte contre le terrorisme et d’autres questions pertinentes.
• Appuyer le travail du CPS et de la Commission de l’UA en informant et en produisant des rapports sur les crises, les conflits et autres développements et en surveillant la mise en œuvre des décisions du CPS aux niveaux national et régional. Le Bureau de Liaison fournit également des données au Système Continental d’Alerte Précoce (CEWS) à travers le rapport d’alerte précoce et les rapports de situation.
Nous travaillons avec les organisations des droits de l’homme, les médias comme Iwacu, etc. Donc, avec tous les acteurs pertinents pour le rétablissement et la consolidation de la paix et la sécurité dans la région des Grands-Lacs.
Quelques exemples de vos interventions, côté société civile ?
A travers la Mission d’observation des droits de l’homme, on a assisté les quatre journalistes d’Iwacu qui étaient emprisonnés à Bubanza. Non seulement, on a fait des plaidoyers comme on le fait dans beaucoup de cas, mais on est passé aussi à l’assistance judiciaire. On a fait aussi le plaidoyer pour d’autres défenseurs des droits de l’homme. Cas par exemple de Germain Rukuki. Lors du Dialogue d’Arusha, Notre Bureau a financé la participation des leaders religieux et certains acteurs de la Société Civile, nous appuyons différentes organisations des jeunes, des femmes, de la Société Civile, bref. Toutes les couches.
Quels sont les projets phares de l’UA ?
Chaque année l’UA célèbre un thème particulier. Cette année 2021 a été placée par l’UA sous le thème « Art, culture et patrimoine : leviers pour construire l’Afrique que nous voulons ». Ce thème est puisé de l’Aspiration 5 de l’Agenda 2063 qui envisage « Une Afrique avec une identité culturelle forte, un héritage commun, des valeurs et une éthique partagées ». La journée de l’Afrique le 25 mai 2021 a marqué également l’entrée en vigueur officielle de la Charte de la Renaissance culturelle africaine, qui promeut les valeurs culturelles africaines comme levier de développement.
Les projets phares de l’Agenda 2063 font référence à des programmes et initiatives clés qui ont été identifiés comme essentiels pour accélérer la croissance économique, l’intégration et le développement de l’Afrique, ainsi que pour promouvoir notre identité commune en célébrant nos diversités culturelles qui sont le fruit de notre histoire commune et notre culture dynamique. Ils englobent les infrastructures, l’éducation, la science, la technologie, les arts et la culture, ainsi que des initiatives visant à garantir la paix sur le continent.
Concrètement ?
C’est entre autres la mise en place d’un réseau intégré de trains à grande vitesse ; la formulation d’une stratégie africaine sur les produits de base ; la création de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf) ; le passeport africain et la libre circulation des personnes ; la mise en œuvre du projet du barrage Grand Inga (RDC) ; la création d’un marché unique africain du transport aérien (SAATM) ; l’établissement d’un forum économique africain ; la mise en place des institutions financières des services en ligne ; la cybersécurité ; etc.
Votre message aux Burundais ?
La consolidation des acquis et la construction du Burundi est une responsabilité de tous les Burundais. Il est important pour les uns et les autres de mettre leurs divergences de côté et œuvrer pour l’émergence du Burundi. Ce pays a des potentialités économiques, touristiques, culturelles etc. qui méritent d’être exploitées. Il est de la responsabilité des Burundais, toutes les tendances, à travers le leadership éclairé du président de la République Evariste Ndayishimiye de pouvoir faire avancer ce pays, avec le soutien des partenaires. Je le dis parce que les Burundais sont redevables devant leur histoire.
Il est temps de changer les narratives sur le Burundi : d’un pays avec une histoire tragique pour un pays émergeant tourné vers le futur. Cela sans pour autant ignorer l’histoire. C’est possible. Pour cela, les burundaises peuvent compter sur le soutien indéfectible de l’Union Africaine à travers le Bureau de Liaison basé au Burundi. Les autorités burundaises font déjà un travail remarquable visant à rassembler tous les Burundais. Il y a des signaux positifs d’ouverture et de rapprochement qu’il faut inscrire dans le temps. Voilà ce qui mérite d’être encouragé et consolidé.
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