mai
20
2015

La Belgique doit agir pour le Burundi.

Carte blanche signée par des chercheurs et/ou enseignants dans les universités belges et, pour la plupart, à l’Université du Burundi.

Le Soir, le 18 mai 2015

La Belgique doit agir pour le Burundi

Enseignants et chercheurs impliqués au Burundi dans les projets financés par la coopération belge, nous observons avec tristesse et appréhension les événements qui se déroulent à Bujumbura depuis plus de trois semaines : des manifestations violemment réprimées puis un coup d’Etat manqué mené par des militaires s’opposant à la 3e candidature du président sortant, contraire à la Constitution et à l’Accord d’Arusha. La timidité de nos autorités politiques depuis le début de la crise burundaise est inacceptable, alors même que le ministre De Croo rappelait récemment que « la coopération au développement n’est pas un chèque en blanc. C’est du donnant-donnant. Le Gouvernement belge assortit de conditions les efforts de développement auxquels il consent ».

Or, le Burundi n’est pas n’importe quel partenaire pour la Belgique. Après la République démocratique du Congo, il est le premier bénéficiaire de la coopération belge au développement, avec une contribution, ces trois dernières années, de 200 millions d’euros, en plus des montants transitant par les ONG et les organisations internationales. La Belgique est de ce fait le premier bailleur bilatéral du Burundi.
Dans un contexte de réprobation internationale généralisée, les ministres Reynders et De Croo se déclaraient, le 29 avril : « préoccupés par la situation » et condamnaient « toute forme de violence et d’intimidation ». Le 11 mai, le ministre De Croo suspendait le payement de 2 millions d’euros en appui au processus électoral, et de 3 millions d’euros à la formation de la police. C’est un geste, bien que tardif, qu’il faut saluer. Mais il est insuffisant. Et après deux jours d’affrontements armés et la destruction des principales radios privées, notre ministère, le 15 mai, se contentait d’appeler « tous les acteurs » « à la retenue ».

Alors que la police burundaise a tiré à balles réelles sur des manifestants désarmés, et que le gouvernement dit assimiler tous les manifestants à des putschistes, notre gouvernement peut-il se satisfaire d’exprimer de timides inquiétudes et se comporter comme si la Belgique n’avait aucun levier pour mettre en pratique ses positions de principe pourtant audacieuses ? Alors que, dès les élections de sortie de crise en 2005, notre pays a soutenu avec clairvoyance des secteurs jugés essentiels à la reconstruction d’un Etat de droit, tels que la police, la justice et les médias – trois secteurs au coeur de l’actualité récente au Burundi – , peut-il se contenter d’appeler au calme du bout des lèvres ?

Car c’est à hauteur de 10 millions d’euros que la Belgique appuie, depuis 2006, la réforme de la police, ce même corps qui use actuellement d’une violence démesurée. Cet appui était assorti d’une clause de suspension de l’aide en cas de violation des droits de l’homme, et c’est à ce titre qu’il vient d’être arrêté. Mais la Belgique doit s’engager davantage, et demander des comptes au gouvernement burundais sur la situation actuelle. C’est aussi à hauteur du même montant que notre pays a soutenu l’appareil judiciaire, qui pourrait, dans les prochains jours, faire à nouveau la preuve de sa douteuse indépendance. A la suite du coup d’Etat manqué,
nous craignons une escalade de la violence et de la répression, dans un amalgame entre putschistes, manifestants et activistes de la société civile.

Autre secteur d’intervention touché en ce moment, la coopération universitaire dans laquelle la Belgique est le seul pays occidental à s’investir encore. Elle a notamment soutenu deux masters complémentaires à l’Université du Burundi : l’un en droits de l’homme et résolution pacifique des conflits, un autre en journalisme. Avec la fermeture des résidences et restaurants universitaires, l’UB a cessé de facto de fonctionner et plus de 1200 étudiants campent devant l’ambassade des USA, qui leur a accordé protection, tandis que la Belgique n’a pas émis le moindre communiqué.

Enfin, les médias : la Belgique a soutenu à hauteur de 3 millions d’euros la radio-télévision nationale, devenue un outil de propagande au service du pouvoir et qui a été au centre des violences des 14 et 15 mai. Elle a appuyé également certaines des radios indépendantes qui ont été volontairement détruites ou endommagées dans les récents combats. Aujourd’hui, la radio nationale est la seule à émettre encore, alors que certains journalistes sont menacés et ont dû entrer dans la clandestinité. Que fait la Belgique pour soutenir et secourir ceux qu’elle a jadis formés à la pratique d’un journalisme indépendant et qui en font à présent les frais ?

Les portes de notre ambassade ne peuvent-elles s’ouvrir pour mettre à l’abri ceux qui, militants des droits de l’homme ou professionnels des médias, se sont engagés depuis des années pour un Burundi pacifié et démocratique ?

Face à la situation dramatique que connaît aujourd’hui ce pays, nous demandons instamment aux autorités belges d’assumer le rôle de partenaire de confiance que leur reconnaissent tant le Burundi que les autres acteurs internationaux présents à Bujumbura. Sanctionner en suspendant deux programmes de coopération et appeler les parties au calme ne suffit pas : la Belgique doit à présent, et de toute urgence, assumer ses déclarations ambitieuses en faveur de la démocratie, des droits fondamentaux et de la bonne gouvernance, pour ne pas abandonner à son sort la population burundaise.

Marie-Soleil Frère, Manu Klimis, Jean-François Dumont, Pascale Vielle, Benoît Grevisse, Florence Le Cam, Pierre de Saint Georges, Emmanuel Murhula, Lara Van Dievoet, Jean-Claude Guyot, Jacques Fierens, Jacques Navez, Bob Kabamba, Séverine Vaissaud, Yves Cartuyvels, Eric David, Barbara Delcourt, Pierre-Etienne Labeau, Jean Hanton, Sidney Leclercq, Olivier Paye, Filip Reyntjens, Benoît Rihoux, Valérie Rosoux, Thomas Vervisch, Geoffroy Matagne, Koen Vlassenroot, Gilles Biaumet, Ludivine Damay, Daniel De Beer, Isabelle De Clerck, Anne Fromont, Etienne Loute, Jessica Martini, Christine Schaut, Laurent Stojka et Jean-Claude Willame. 

Chercheurs et/ou enseignants dans les universités belges et, pour la plupart, à l’Université du Burundi.

 

 

Langues: 

Partager