La cour d’appel de Paris confirme le renvoi de Claude Muhayimana accusé du genocide devant les assises
La cour d'appel de Paris a confirmé le 4 avril le renvoi de Claude Muhayimana devant les assises pour complicité de « crimes de guerre » et « crimes contre l'humanité », accusé d’avoir organisé le transport de miliciens hutu sur les lieux de plusieurs massacres en 1994. Il compte former un pourvoi en cassation.
La France pourrait bien accueillir un troisième procès lié au génocide des Tutsi au Rwanda. Après celui de Pascal Simbikangwa, ancien officier de la garde présidentielle condamné en appel en mai 2018 à vingt-cinq ans de prison pour sa participation au génocide, et celui des deux maires de Kabarondo, Octavien Ngenzi et Tito Barahira, condamnés en appel à perpétuité en juillet dernier pour « génocide » et « crime contre l’humanité », Claude Muhayimana pourrait être jugé devant la cour d’assises de Paris, a confirmé à Jeune Afrique maître Alexandre Kiabski, avocat du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), qui était présent à l’audience en appel. Muhayimana est accusé de « complicité par aide et assistance » pour des « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ». Il devrait néanmoins se pouvoir en cassation, selon son avocat maître Philippe Meilhac.
Les juges d’instruction avaient rendu le 9 novembre 2017 une « ordonnance de non-lieu partiel et de mise en accusation devant la cour d’assises » à l’encontre de Claude Muhayimana, l’ancien chauffeur du Guest House de Kibuye, qui avait décidé de faire appel.
Si son pourvoi en cassation n’aboutit pas, Muhayimana devrait ainsi être jugé pour sa responsabilité dans l’attaque en avril 1994 de l’école de Nyamishaba, dans la préfecture de Kibuye, dans l’ouest du pays. Il est également mis en cause dans les massacres commis sur les civils tutsi réfugiés dans les collines de Karongi, Gitwa et Bisesero entre avril et juin 1994. Claude Muhayimana est notamment accusé d’avoir organisé le transport de miliciens Interahamwe sur les lieux des attaques.
Dans son ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises, les juges d’instruction avaient en revanche abandonné les poursuites concernant les tueries de masse qui ont fait des milliers de morts le 17 avril dans l’église et l’hôtel Home Saint-Jean de Kibuye, puis le lendemain dans le stade Gatwaro, ainsi que pour les meurtres de collègues de son hôtel. Claude Muhayimana avait invoqué un alibi prouvant son absence sur les lieux durant une partie du mois d’avril, conduisant le parquet à requérir l’abandon de ces charges fin septembre 2017.
Réfugié en France, pays dont il a obtenu la nationalité en 2010, Muhayimana était visé par un mandat d’arrêt de la justice rwandaise depuis décembre 2011. Les autorités rwandaises ont également formulé une demande d’extradition à la France. En mars 2012, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Rouen avait émis un avis favorable à cette requête, considérant que les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense seraient assurées au Rwanda. Muhayimana avait néanmoins formé un recours, estimant ne pas avoir la garantie d’un procès équitable au Rwanda. Le 24 février 2014, la Cour de cassation a jugé que Muhayimana ne pouvait être extradé, la demande rwandaise étant basée sur des lois entrées en vigueur après la commission des crimes.
Le 9 avril 2014, Muhayimana avait finalement été arrêté à Rouen à la suite d’une plainte déposée un an plus tôt par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), avant d’être mis en examen pour son rôle présumé dans le génocide des Tutsi. Le 3 avril 2015, il avait été placé sous contrôle judiciaire.
Lenteur de la justice
À trois jours des 25èmes commémorations du génocide des Tutsi au Rwanda, le 7 avril, ce renvoi constitue une légère avancée dans les différents dossiers judiciaires en lien avec le génocide et actuellement en cours d’instruction en France. Quelque 25 dossiers liés aux massacres de 1994 sont instruits au pôle d’enquêteurs et de magistrats spécialisés dans les crimes contre l’humanité. Le CPCR, à l’origine de différentes plaintes contre des génocidaires présumés résidant en France, s’est à plusieurs reprises insurgé contre la lenteur du processus juridique français sur ces dossiers.
Interrogé sur le sujet en janvier dernier par Jeune Afrique, le ministre rwandais de la Justice ne cachait pas son impatience de voir la justice aboutir plus rapidement. « Nous avons envoyé 42 mises en accusation en France, pour des personnes que nous voulons voir soit extradées, soit jugées sur place. La France a été très proche du régime rwandais en 1994. Mais les efforts fournis par Paris pour s’assurer que les gens qui ont eu un rôle pendant le génocide soient amenés devant la justice sont faibles, comparativement aux pays qui n’étaient pas proches du Rwanda à l’époque, comme les Pays-Bas ou l’Allemagne, qui ont fait de leur mieux », avait alors expliqué Johnston Busingye.
D’autres cas pourraient rebondir prochainement devant la justice française, comme celui de Sosthène Munyemana, médecin à Butare (sud du Rwanda) accusé de « génocide », « crimes contre l’humanité », « complicité de génocide » et renvoyé devant les assises en décembre 2018. Également celui de Laurent Bucyibaruta, ex-préfet dans la province de Gikongoro (sud du Rwanda), accusé par les juges du pôle judiciaire spécialisé dans les crimes contre l’humanité de s’être « rendu complice d’une pratique massive et systématique d’exécutions sommaires ».
Par Jeune Afrique