La qualité de l’enseignement au point mort
La qualité de l’enseignement est au point mort malgré pas mal de réformes qui ont été opérées dans le système éducatif. Joseph Ndayisaba, professeur à l’Université du Burundi dans la faculté de Psychologie et de Sciences de l’Education et responsable de la Chaire UNESCO évoque les causes de cette situation.
«Il y a actuellement un débat sur la qualité de l’enseignement au Burundi. Les gens, les parents et les professeurs s’inquiètent du fait qu’elle a beaucoup régressé», indique Ndayisaba. Selon lui, les raisons sont multiples. La première réforme d’importance a été opérée en 1967, informe-t-il .La gestion des ressources humaines et financières du système éducatif revenaient au Gouvernement du Burundi au lieu des congrégations religieuses. L’enseignement officiel a été ainsi créé et directement géré par l’Etat. Le fait de gérer directement les écoles a permis d’augmenter les effectifs des élèves de l’enseignement primaire. Le taux brut de scolarisation a passé de 36,8% en 1967 à 41,4% en 1971.
Selon lui, la réforme du système de l’Education au Burundi en 1973 préconisait une école communautaire accessible à tous. C’était la première véritable réforme qui reconnaissait le droit des enfants à l’éducation. Malheureusement, la réforme a été définie à une période qui n’a pas permis aux parents d’envoyer de bon cœur leurs enfants à l’école. Car, le Burundi venait de vivre une crise sociopolitique profonde en 1972. Au niveau de l’accès, cette politique n’a pas eu le temps de faire ses preuves car les effectifs des écoliers sont passés seulement de 27,4% en 1973 à 29,3% en 1981.
En 1981, le Président de la République a déclaré la scolarisation universelle de l’enseignement primaire et la pleine inscription des enfants de 7 ans. Comme piliers de mise en œuvre, le pouvoir en place a proposé une stratégie de double vacation des maîtres et des locaux dès la rentrée scolaire 1982- 1983. On a aussi voulu fixer un système de promotion collective d’une classe à l’autre en limitant le taux de redoublement à 10%.
Baisse du niveau des enseignants
Depuis un certain temps, Ndayisaba fait savoir que les gouvernements ont pris l’option de démocratiser l’enseignement. Vers les années 80, le gouvernement a baissé le niveau des enseignants pour avoir le maximum d’enseignants possible. On a mis en place des Ecoles de Formation des Instituteurs (EFI). Peu de temps après, les lycées pédagogiques et les écoles normales ont vu le jour.
Vers les années 90, le gouvernement a instauré des collèges communaux. Selon Ndayisaba, l’objectif était de pouvoir scolariser le maximum possible d’enfants dans l’enseignement de base et secondaire. Par conséquent, les effectifs des élèves dans les écoles ont augmenté et ceux des écoles techniques ont légèrement augmenté avec l’ouverture de certaines filières. Le taux de passage au secondaire était de 30%.
Quid des écoles fondamentales ?
Ndayisaba fait savoir que récemment en 2011-2012 le gouvernement a mis en place les écoles fondamentales dans l’optique d’augmenter le nombre d’années d’apprentissage pour les enfants dans l’enseignement de base. On supposait que l’enfant qui termine l’école primaire après 6 ans de scolarité n’est pas comparable à celui qui le termine après 9 ans de scolarité. Les connaissances de celui qui a déployé ses efforts pendant 9 ans sur le banc de l’école sont bonnes par rapport à celui qui a accompli 6 ans de scolarité. Toutes ces réformes ne sont pas des initiatives du Burundi. Dans une réunion qui s’est tenue à Kigali en 2008, les pays membres de l’EAC se sont convenus de passer de 6 ans de scolarité à 9 ans dans l’enseignement de base (école fondamentale) et 3 ans dans l’enseignement secondaire (école post-fondamentale).
L’intégration de l’Anglais et du Kiswahili pose problème
Ndayisaba certifie que l’introduction de quatre langues à partir de la 1ère année a été mise en place dans la précipitation contre toute logique car plus de 99% des enseignants ne comprenaient pas la langue Kiswahili. Ils ont un niveau extrêmement faible en Anglais et ne maîtrisent pas parfaitement le Français.
De plus, les enseignants sont incompétents pour enseigner les deux nouvelles langues introduites dans le programme, à savoir l’anglais et le kiswahili. Ces deux langues risquent de brouiller le paysage psychique de l’enfant et de ne pas lui permettre de maîtriser aucune des langues enseignées.
De 1990 à 2006, sur la nouvelle grille horaire, il fait remarquer que les langues d’enseignement ont subi des réductions drastiques. En effet, le Kirundi qui était une langue d’enseignement jusqu’en quatrième primaire a connu une chute de 54%. De même, le Français qui est devenu langue d’enseignement depuis la cinquième année primaire a perdu plus de 35% de son volume horaire. Les élèves avaient déjà des problèmes pour apprendre en Français. Qu’en est-il aujourd’hui, se questionne-t-il ?
Gratuité scolaire à l’origine de la hausse du TBS
De 2005 à 2010, la gratuité des frais scolaires a permis une hausse spectaculaire du Taux Brut de Scolarisation (TBS). Il est passé de 81,6% à 130% sur cette période. Le taux de redoublement au primaire a par contre augmenté passant de 32,9% en 2004 à 35% en 2010. Le taux d’achèvement est resté faible : 47,7% en 2010. Cela a fait que le taux d’achèvement universel ne soit pas atteint en 2015
Massification des effectifs dans les écoles
Cette politique de gratuité des frais scolaires a entrainé une massification des effectifs dans l’enseignement primaire. Le ratio élèves par enseignant et élèves par classe a sensiblement augmenté. Le nombre d’élèves par banc pupitre s’élève à 3,9. Le nombre d’élèves par salle de classe est passé de 85 en 2007 à 94 en 2011. Ceci a eu comme conséquence une baisse relative de la qualité de l’enseignement car l’enseignant ne peut pas assurer un suivi individuel de chaque élève. La même politique a donné la priorité à la construction des infrastructures, mais le rythme d’acquisition des supports pédagogiques n’a pas suivi pour assurer une éducation de qualité.
Si vous voulez un enseignement de qualité, Ndayisaba souligne que vous devez mobiliser beaucoup de moyens. Ce qui assure un enseignement de qualité ce sont les enseignants bien formés et qualifiés. En baissant le niveau de qualification des enseignants et en gonflant les effectifs des élèves, cela ne facilite pas le suivi. Enseigner plus de 100 élèves est extrêmement difficile qu’enseigner 30 élèves. Avec la massification des effectifs des élèves dans les classes, il y a un manque à gagner au niveau de la qualité d’une manière générale. De plus, il n’y a pas de matériels didactiques suffisants dans les écoles. Comment alors va s’y prendre celui qui dispense les cours de chimie, de physique… ?
Crises récurrentes
Selon Ndayisaba, le pays entre aussi dans des crises récurrentes. Les bailleurs sont par conséquent refroidis et certains ont fini par plier bagages. «C’est la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui», affirme-t-il. Au niveau mondial, il informe qu’il y avait un certain consensus qui précisait qu’il s’avère nécessaire que l’enseignement de base soit financé en dehors des moyens locaux via le partenariat mondial de l’éducation.
Avant la crise, le pays finançait son éducation à hauteur de 51%. Le reste était l’affaire des bailleurs. Aujourd’hui, il n’est pas à mesure de suppléer à ce manque à gagner. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de livres et de matériels didactiques suffisants. Et Ndayisaba d’ajouter les formations des enseignants qui se font à compte-gouttes. Toutes ces anomalies sont incompatibles avec la qualité de l’enseignement. «Nous avons la qualité que nous méritons», se lamente Ndayisaba.
Notons enfin que la situation d’intégration a été introduite dans le système actuel d’évaluation. Selon Ndayisaba, c’est une nouveauté pédagogique de tendance mondiale. On a constaté qu’à un certain moment les apprentissages étaient trop cloisonnés (chaque cours à part). Les élèves apprenaient des bribes de connaissances. Ce n’étaient pas des connaissances unies et cohérentes. La pédagogie d’intégration est venue corriger tout cela. L’enseignant fournit des connaissances à l’élève. A la fin de x chapitres (ressources) ou du trimestre, l’élève est mis dans une situation où il doit résoudre ce qu’on appelle un problème complexe. Pour le faire, il fait appel à toutes les ressources apprises en classe. L’apprentissage est à ce moment globalisé pour ouvrir les horizons de l’élève en vue de lui prouver que l’apprentissage n’est pas univoque.
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