avr
19
2017

La rhétorique de la peur

Les habitants de la commune Nyanza-Lac se disent maltraités par les Imbonerakure. Selon eux, ces jeunes du parti Cndd-Fdd sont ragaillardis par les discours prononcés par les dignitaires de la province Makamba. Ces derniers réfutent.

Chef-lieu de la commune Nyanza-lac en province Makamba. Kiosques et autres boutiques sont ouverts, plus loin les activités battent leur plein au marché de la place. Tout va bien apparemment sauf que depuis quelques temps, les contrôles au faciès se multiplient et ceux qui ne sont pas natifs de Makamba sont pris à partie, malmenés voire tabassés dans le silence total. « Ce phénomène a commencé avec l’arrestation des présumés bandits armés à Kazirabageni et depuis toute personne suspectée est arrêtée par des jeunes Imbonerakure », confie un défenseur des droits de l’Homme qui a requis l’anonymat.

Selon notre source, ces jeunes ont érigé des barrières presque sur tous les axes menant vers la province et font des contrôles. « Ceux qui ne sont pas natifs de Makamba sont fouillés, interrogés sur l’objet de leur présence dans la province. Malheur à celui ou celle qui donne des réponses incohérentes. Il est malmené et mis en garde à vue pendant des heures. »

Pire, même ceux qui habitent à Makamba depuis des années mais qui ne sont pas natifs de cette province n’échappent pas à ce harcèlement. « Ces jeunes les accusent publiquement de collaborer avec des groupes armés. Si par malheur ils ne sont pas du parti au pouvoir, ils sont tout simplement tabassés en présence des administratifs à la base. Et personne ne s’y oppose. »

Actuellement, confie une autre source de Nyanza-lac, seuls les gens natifs de Makamba circulent le soir ou prennent un verre entre amis sans craindre quoique ce soit. « Les autres restent terrés chez eux de peur de tomber sur ces jeunes et de subir des interrogatoires. »

Tout cela à cause des discours

Selon les habitants de Nyanza-Lac, cette situation s’est accentuée quand le gouverneur de la province Makamba, Gad Niyukuri, a ordonné aux Imbonerakure d’arrêter toute personne qui leur semble suspecte. «Les Imbonerakure ont commencé à se comporter comme les maîtres du monde», confie F.H, un habitant de la zone Kazirabageni en commune Nyanza-Lac. «Ils se sont mis à arrêter ceux qui ne sont natifs de Makamba et les membres de l’opposition et à piller leurs biens », renchérit un autre habitant de cette localité.

Gad Niyukuri balaie du revers de la main ces allégations : «J’ai demandé aux comités mixtes de sécurité de veiller à la sécurité du pays. Certaines personnes se promènent avec des sac-à-dos, c’est normal de leur demander leurs identités et leurs destinations. S’ils sont en règle, on les laisse partir.»

Selon les habitants de la zone Kazirabageni, le gouverneur aurait récidivé le 3 avril 2017. «Lors d’une réunion avec les habitants, il a prononcé des mots qui nous ont fait peur», indiquent les habitants. D’après eux, Gad Niyukuri aurait exhorté les habitants à éliminer les rebelles «au lieu de gaspiller du carburant en les transférant aux forces de l’ordre.» Selon toujours les habitants de Nyanza-Lac, le président du Sénat burundais, Révérien Ndikuriyo, aurait tenu le même langage lors d’une réunion à Nyanza-Lac, le 7 avril dernier. «Depuis ce jour, c’est devenu encore pire», racontent J.N, un habitant de Nyanza-Lac.

«Que de mensonges !»

Ces accusations sont rejetées par Gad Niyonkuru : « Je n’ai jamais tenu des propos pareils. Comment peut-on appeler les gens à s’entretuer lorsqu’on est chargé de gouverner les autres ? » Pour lui, ces rumeurs sont véhiculées par Humura et Inzamba, des médias qui émettent à partir de l’étranger «dans le but de salir le Burundi». « Ils cherchent à gagner l’argent des Blancs et leur cheval de batail est la calomnie mais cela ne nous affecte en rien car nous sommes au service du pays. » Et de rappeler qu’il a demandé à tout habitant de Makamba de veiller à la sécurité de la province : « Je leur ai dit d’arrêter toute personne suspecte, de lui demander son identité et si besoin de la conduire auprès de la police. Et je crois qu’il n’y a rien d’illégal car la sécurité est une affaire de tous. »

A la question de savoir si cet appel ne peut pas créer de l’anarchie sachant que le rôle de procéder aux arrestations incombe à la police, le gouverneur rétorque que les comités mixtes de sécurité peuvent également arrêter les gens qu’ils soupçonnent de vouloir commettre des crimes ou causer de l’insécurité.« Leur rôle s’arrête là. Les enquêtes sont effectuées par la police. »

Concernant les informations qui accusent les Imbonerakure de voler voire de piller les biens d’opposants arrêtés, Gad Niyonkuru parle de pur mensonge : « Je n’ai jamais vu aucune plainte. C’est toujours du venin inoculé par ces médias travaillant à l’étranger. » Et de conclure qu’ils peuvent parler autant qu’ils veulent mais les habitants de Makamba sont à l’œuvre pour développer leur province.

Anschaire Nikoyagize, un des activistes des droits humains, n’est pas étonné par les actions des Imbonerakure. «Ils exécutent les ordres des hauts cadres du gouvernement transmis dans ce genre de discours.» Selon lui, les Imbonerakure maltraitent les gens parce qu’ils s’estiment protégés. Anschaire Nikoyagize trouve qu’il y a une corrélation entre ces discours et les crimes qui s’observent depuis le début de la crise. «Ces discours des dignitaires sont relayés jusqu’à la base par les gouverneurs des provinces et les administrateurs. Ça sonne comme un mot d’ordre.»

http://www.iwacu-burundi.org

 

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