
L’AFC/M23 instaure une autorité de régulation bancaire
Dans un contexte de tensions institutionnelles et d’affirmation progressive de son emprise sur les territoires qu’il revendique, Corneille Nangaa, coordinateur de l’Alliance Fleuve Congo/M23, a opéré une déclaration d’une portée capitale, tant sur le plan juridique que politique.
Il dénonce, avec une vigueur certaine, l’ostracisme financier dont sont victimes les populations des zones placées sous son contrôle, en raison du blocage systématique opéré par Kinshasa sur l’ensemble des institutions bancaires.
Face à cette situation qu’il qualifie d’injustice manifeste et de tentative d’asphyxie économique, il préconise une réponse institutionnelle d’envergure : la création d’une autorité de régulation bancaire indépendante dans l’espace libéré. Cette instance aura pour mission de suppléer à l’absence de la Banque Centrale en octroyant des licences pour la création de nouvelles institutions bancaires et la réactivation des sociétés de microfinance.
Ce projet, qui s’inscrit dans une dynamique d’affirmation des nouvelles autorités sur ces territoires, marque un tournant significatif. Loin d’être une simple mesure palliative, il témoigne d’une volonté assumée de structurer un appareil financier autonome, susceptible d’assurer les services bancaires essentiels à une population jusque-là prise en otage par les blocages imposés par Kinshasa.
Ce basculement progressif de l’autorité de fait vers une institutionnalisation de droit traduit un changement d’échelle dans la contestation de l’ordre établi. La finance, colonne vertébrale de tout système étatique moderne, devient ainsi le nouvel enjeu de la confrontation entre Kinshasa et les autorités de l’AFC/M23.
Dès lors, il convient de s’interroger sur la portée de cette initiative et sur ses implications à moyen et long terme. Si la communauté internationale peine à se positionner face à cette réalité en mutation, la dynamique enclenchée semble placer Kinshasa dans une posture délicate. En refusant d’anticiper cette évolution, elle pourrait bien se retrouver contrainte de composer avec une architecture institutionnelle alternative, dont la légitimité pourrait s’ancrer progressivement dans les faits, avant d’obtenir, à terme, une reconnaissance juridique formelle.
Dans cette vaste arène où se confrontent les intérêts souverains, la finance, loin de n’être qu’un simple instrument d’échange, se révèle un levier stratégique d’une puissance redoutable. Elle modèle les rapports de force, oriente les décisions publiques et confère à ses détenteurs un pouvoir d’influence qui transcende les clivages institutionnels. Chaque allocation de ressources, chaque arbitrage budgétaire constitue une décision à haute valeur normative, engageant non seulement l’équilibre économique, mais aussi la stabilité politique et sociale d’une nation. Ainsi, le maniement des leviers monétaires et fiscaux devient une véritable prérogative de puissance, conférant à ceux qui les maîtrisent une emprise quasi régalienne sur l’architecture de l’État.
L’histoire, en sa rigueur implacable, atteste que toute structure administrative investie de missions inhérentes à l’exercice des fonctions régaliennes tend, par une logique d’institutionnalisation irréversible, à se pérenniser et à s’ériger en une entité politique de premier ordre. Lorsqu’une administration, initialement conçue comme un simple organe d’exécution, s’inscrit dans la durée et se dote d’une autonomie fonctionnelle et décisionnelle, elle acquiert un statut normatif et devient un acteur incontournable de la gouvernance étatique. Dès lors, la frontière entre l’appareil bureaucratique et la souveraineté s’estompe, consacrant une interpénétration progressive entre l’État et ses propres rouages administratifs, jusqu’à ce que ces derniers s’imposent comme les véritables garants de la continuité et de l’autorité publiques.
Engluée dans un amateurisme structurel, prisonnière d’un ostracisme aveugle et mue par une mauvaise foi érigée en mode de gouvernance, Kinshasa se révèle incapable d’appréhender la portée de son intransigeance. Ce raidissement dogmatique, loin de s’inscrire dans une logique de préservation de l’intérêt général, traduit plutôt une myopie stratégique qui confine à l’irresponsabilité. En se refusant à toute remise en question de ses certitudes, le pouvoir en place obère sa capacité d’adaptation et s’enferme dans une posture réfractaire aux dynamiques systémiques qui façonnent les rapports de force nationaux et internationaux. Ainsi, l’État, au lieu de s’ériger en arbitre éclairé des tensions qui traversent la République, se mue en facteur d’inertie, sapant par là même les fondements de sa propre légitimité.
Or, l’histoire politique enseigne que l’inflexibilité d’un régime face aux mutations en gestation précipite sa désagrégation. A brève échéance, les forces centrifuges, nourries par les déséquilibres qu’il a contribué à exacerber, risquent d’imposer une redéfinition brutale des équilibres de la République démocratique du Congo.
Dans ce contexte, l’incapacité de Kinshasa à anticiper l’émergence de nouveaux rapports de domination, tant sur le plan interne qu’externe, révèle non seulement une carence analytique préoccupante, mais aussi une déconnexion manifeste d’avec les exigences d’une gouvernance prospective.
Si l’aveuglement persiste, il ne fera qu’accélérer le processus d’érosion d’un pouvoir déjà fragilisé, au risque de livrer le pays à des recompositions dont il ne serait plus le maître, mais la victime.
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