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20
2025

Le drame de l’absurde aux Nations unies

Lorsqu’il s’agit des politiciens congolais (RDC), il semble n’exister aucune limite à leur appétit pour le ridicule : ils excellent à transformer chaque occasion diplomatique en un véritable spectacle de honte.

 

Si le monde avait besoin d’un rappel que la rhétorique irresponsable trouve encore un écho jusque dans les plus hautes sphères, il l’a reçu comme un couperet, le 16 avril 2025, lors de la 9899e séance du Conseil de sécurité des Nations unies. Ce jour-là, Thérèse Kayikwamba Wagner, ministre des Affaires étrangères de la République démocratique du Congo, s’est fendue d’une déclaration stupéfiante : il y aurait eu un génocide contre les Hutu en 1994.

Ce n’était ni une rumeur marginale sur les réseaux sociaux, ni un délire conspirationniste sur YouTube. C’était la parole officielle d’une haute représentante d’un État souverain — dans un continent encore marqué par les stigmates de véritables génocides — prononcée dans la plus haute enceinte diplomatique du monde. L’impudence est déconcertante. Les implications, profondément inquiétantes.

Oui, elle l’a bel et bien affirmé. Dans cette salle censée incarner la mémoire collective et la vigilance historique, une diplomate de premier plan a entrepris, sans trembler, de réécrire l’un des crimes les plus minutieusement documentés de l’histoire contemporaine. Ce n’était ni un lapsus ni une interprétation maladroite. C’était une tentative délibérée de révisionnisme, assumée et décomplexée.

En reprenant l’un des discours les plus toxiques des négationnistes, Kayikwamba a sciemment piétiné les faits établis. Elle a relayé la rhétorique des idéologues qui, depuis des décennies, s’évertuent à inverser les rôles, à culpabiliser les victimes, et à blanchir les bourreaux. Ce n’était pas un simple dérapage : c’était un acte politique calculé, destiné à entretenir une vision falsifiée de l’histoire.

Le problème dépasse le mensonge. Sa déclaration était non seulement fausse, mais aussi dangereuse, irresponsable et profondément offensante. Il s’agissait d’une négation abjecte du génocide contre les Tutsi au Rwanda — un crime reconnu par les Nations unies elles-mêmes — au cours duquel plus d’un million de personnes furent massacrées en cent jours.

Il n’y a ici ni zone grise, ni controverse universitaire, ni détail ambigu. Et pourtant, nous en sommes là : une ministre congolaise prend la parole comme si l’histoire n’était qu’une page blanche, bonne à accueillir n’importe quel graffiti idéologique.

Et que s’est-il passé ensuite ? Rien. Aucun rappel à l’ordre du Secrétaire général. Aucun sursaut d’indignation des membres du Conseil. Silence. Un silence assourdissant.

Car, visiblement, lorsqu’il s’agit de la RDC, même les déclarations les plus outrancières peuvent passer pour un discours diplomatique. C’est devenu une sinistre habitude : les représentants congolais excellent dans l’art de proférer des propos embarrassants, grotesques ou mensongers, sans jamais en subir les conséquences.

Mais tout n’est pas que déraison et renoncements

Deux jours plus tard, une voix s’est levée sur la plateforme X : celle du diplomate burundais Fred Ngoga. Il a tenu à rétablir publiquement la vérité face à la falsification historique proférée par Kayikwamba :

« Ma sœur @RDCongoMAE, ceci est factuellement faux. Notre président à l’époque était Sylvestre Ntibantunganya, un Hutu. D’autre part, lisez le rapport de l’ONU. Il n’y a pas eu de génocide contre notre population hutue au Burundi, point. Essayez-vous de monter nos communautés les unes contre les autres ? Je vous prie de retirer cette déclaration ! »

Son message, digne et ferme, était ancré dans les faits. Il ne cherchait ni polémique ni confrontation, mais simplement à défendre la vérité, dans une région meurtrie par les manipulations ethniques et les mensonges d’État.

Et pourtant, ce geste salutaire a donné lieu à une scène surréaliste. L’ambassadeur du Burundi auprès de l’Union africaine, Willy Nyamitwe, est intervenu — non pas pour soutenir la position courageuse de son compatriote — mais pour le réprimander.

« M. @NgogaFred travaille au sein du département des affaires politiques, de la paix et de la sécurité de @_AfricanUnion (@AUC_PAPS). Il devrait défendre l’impartialité de l’UA ainsi que son engagement pour la diplomatie et la prévention des conflits. Son devoir n’est pas d’alimenter des discours politiques contre un État membre souverain. »

Nous en sommes donc là. Un diplomate est rappelé à l’ordre, non pas pour avoir menti, mais pour avoir dit la vérité. Selon Nyamitwe, affirmer les faits relèverait de la « rhétorique politique », et la souveraineté deviendrait un prétexte commode pour protéger l’impunité et le mensonge. Faut-il en conclure que l’Union africaine est désormais prête à sacrifier la vérité sur l’autel de la diplomatie molle et de la solidarité de façade ?

Ce qui aurait dû susciter une mise au point immédiate du Conseil de sécurité ou une réaction du Secrétaire général s’est dissipé dans une indifférence générale. Aucune clarification. Aucune condamnation. Aucun signal d’alerte.

Quand c’est la RDC qui parle, il semble que le monde ait appris à tolérer l’inacceptable — et à banaliser la médiocrité.

Essayer de comprendre l’absurde

Ce à quoi nous assistons relève d’un cas d’école : un délire dissociatif dopé par une psychose idéologique.

Les travaux de Robert J. Lifton et Eric Markusen sur la mentalité génocidaire évoquent un phénomène d’« engourdissement psychique », où le bourreau ou ses sympathisants deviennent insensibles aux faits, remplacent le traumatisme par le mythe et substituent à l’histoire une fiction taillée sur mesure pour justifier la haine. La déclaration de la ministre congolaise donne l’impression qu’elle évolue non dans le monde réel, mais dans un Congo-verse parallèle.

Depuis quelque temps, il faut bien admettre que la politique étrangère de la RDC s’est transformée en un laboratoire d’expérimentation du non-sens. Sous la présidence de Félix Tshisekedi, le ministère des Affaires étrangères est devenu une fabrique de propagande, une machine linguistique visant à détourner l’attention des échecs internes en s’attaquant aux faits les plus établis.

Si les routes sont impraticables, si l’économie s’effondre, si l’est du pays est ravagé par les milices, alors blâmons le Rwanda. Et si la réalité gêne, on invente un génocide imaginaire au Burundi pour créer une fausse symétrie morale. Car rien ne dit mieux « crédibilité diplomatique » qu’une falsification historique.

Un ami juriste international m’a récemment confié : « La négation du génocide est un crime en droit international. Il en va de même pour sa banalisation. Ce que Mme Wagner a fait revient à jeter un cocktail Molotov diplomatique dans une région déjà meurtrie. Elle n’a pas simplement dérapé : elle a violé l’esprit même de la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, en mettant sur un pied d’égalité les bourreaux et leurs victimes. »

Soyons clairs : en 1994, il y a eu un génocide au Rwanda. Les victimes étaient les Tutsi. Ce génocide fut planifié, exécuté, documenté. Au Burundi, en revanche, il n’y a pas eu de génocide contre les Hutu cette année-là.

Le président du Burundi en 1994, Sylvestre Ntibantunganya, était lui-même Hutu. Prétendre le contraire ne relève pas de l’erreur, mais du vandalisme historique. Si un délégué s’était levé à l’ONU pour affirmer qu’un génocide avait été commis contre les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, il aurait été escorté hors de la salle. Pourquoi l’Afrique devrait-elle accepter de telles dérives ?

Ce que Kayikwamba Wagner a dit est le produit d’une diplomatie confiée à des populistes numériques et à des sympathisants de l’idéologie génocidaire. Il ne s’agit ni du Burundi, ni des Hutu. Il s’agit de diaboliser les Tutsi — particulièrement les Tutsi rwandais — en construisant une fausse équivalence entre la libération du Rwanda et la barbarie génocidaire.

Une partie de l’élite congolaise semble convaincue qu’il suffit de crier « Rwanda ! » pour faire oublier les FDLR, la corruption, les violences sexuelles de masse et les milliards détournés. Cela a fonctionné un temps. Désormais, nous voilà plongés dans le délire historique.

Pourtant, même un internaute moyen pourrait, en quelques clics, constater que le génocide contre les Tutsi est abondamment documenté : par les Nations unies, les ONG, les chercheurs, les tribunaux internationaux. Il a ses mémoriaux. Ses survivants. Ses auteurs condamnés. Ce n’est pas une controverse — sauf pour Charles Onana ou certains cadres du ministère congolais des Affaires étrangères.

Mais Kayikwamba Wagner n’est pas une commentatrice de réseaux sociaux. Elle est diplômée de Harvard, ministre d’un pays de plus de 100 millions d’habitants. Et elle a sciemment choisi de fabriquer un génocide fictif au nom de la diplomatie.

Alors, posons la question : qu’est-ce qui l’a poussée à cela ?

S’agissait-il d’un accès de paranoïa ? D’un emballement conspirationniste remontant du palais présidentiel comme une vapeur toxique ? Non. C’est bien plus méthodique. Il s’agit d’une stratégie : banaliser la négation du génocide des Tutsi en tentant de lui opposer un crime fictif.

Dans tout autre pays, une telle déclaration aurait provoqué une crise diplomatique, des excuses officielles, voire des sanctions. En RDC, rien. Pas même une tentative d’imputer la déclaration à un piratage russe ou à une IA mal calibrée. Même pas une mise en scène grotesque accusant le Rwanda d’avoir manipulé le micro via le Wi-Fi.

Non. Ce qui a suivi, c’est un silence glacial. Un silence d’État. Comme si toute la machine institutionnelle avait prêté serment : quand nous mentons, nous mentons d’une seule voix.

Les leçons de Ngugi

Ce qui est pire encore que la sortie de Kayikwamba, c’est l’intervention de Nyamitwe, qui lui a prêté main-forte. Il n’a pas seulement plaidé pour une prétendue neutralité institutionnelle — il a endossé le genre de silence qui nourrit les mensonges et protège les falsificateurs.

Son message résonne comme un écho de complicité, un murmure sorti des pages du Diable sur la croix de Ngugi wa Thiong’o, où l’auteur met en garde :

« Le Diable, qui nous entraînerait dans l’aveuglement du cœur et la surdité de l’esprit, doit être crucifié, et l’on doit veiller à ce que ses acolytes ne le descendent pas de la croix pour poursuivre leur œuvre de construction de l’Enfer sur Terre. »

C’est exactement ce que font ces diplomates : ils décrochent le Diable de la croix, l’habillent de costumes taillés sur mesure, et le relâchent dans les enceintes internationales pour y semer la confusion. Ce n’est pas de la neutralité. Ce n’est pas de la diplomatie. Ce n’est même plus de la souveraineté. C’est l’abdication morale, la lâcheté politique en habits de gala, au service d’une solidarité tribale aveugle.

Cela soulève une question grave : si une telle falsification historique peut prospérer sans contestation au sein de l’ONU ou de l’Union africaine, que reste-t-il de crédibilité à ces institutions ? Comment la réconciliation peut-elle s’enraciner sur un sol aussi empoisonné par le mensonge ?

La déclaration de Kayikwamba n’est pas qu’une provocation. C’est un signal de ralliement lancé aux négationnistes et aux semeurs de haine. Et la réaction de Nyamitwe confirme à quel point certains diplomates africains préfèrent protéger leurs pairs que défendre la vérité.

Le gouvernement congolais a, depuis longtemps, recours aux boucs émissaires ethniques pour masquer son impuissance : insécurité chronique, corruption structurelle, délabrement économique… Tout peut être balayé d’un revers de main en criant « Rwanda ! ». Et quand la réalité dérange, on invente une fiction — un génocide imaginaire au Burundi — pour rééquilibrer le récit.

Quant au Burundi, il continue de marcher sur une corde raide, entre contradictions internes, impunité institutionnelle et diplomatie de connivence. En préférant protéger les révisionnistes plutôt que la vérité, ses représentants ne trahissent pas seulement leur peuple, ils compromettent l’avenir d’une région entière.

En réalité, le triste spectacle offert au Conseil de sécurité — et la farce qui s’en est suivie en ligne — ne résulte pas d’une simple erreur. Il incarne l’impunité arrogante de dirigeants pour qui falsifier l’histoire est une stratégie politique. Kayikwamba n’est pas une exception : elle est le produit d’un système qui a élevé le mensonge au rang d’instrument diplomatique.

Une farce régionale en pleine floraison

Que dire encore de cette classe politique congolaise et burundaise, qui traite la gouvernance comme une improvisation grotesque sur la scène mondiale ? Quand l’un trébuche à New York, l’autre chute à Addis-Abeba. La médiocrité devient un concours régional, avec la RDC et le Burundi en finale — et un prix d’excellence pour celui qui défendra le mensonge avec le plus grand sérieux.

Kayikwamba est montée au Conseil de sécurité comme une actrice amateur débarquant sur une scène de Broadway, transformant le génocide contre les Tutsi en punchline diplomatique au nom de la souveraineté. Nyamitwe, de peur d’être éclipsé, s’est rué à sa défense — non avec des faits, mais avec un sermon creux sur la neutralité, qui ferait rougir Ponce Pilate.

Et pendant ce temps, les institutions censées défendre la vérité — l’ONU, l’Union africaine — détournent poliment le regard, espérant que cette mascarade prenne fin avant l’entracte.

Faut-il vraiment croire que ce duo burlesque est à la hauteur des défis que traverse la région ? Des diplomates qui réécrivent l’histoire, s’applaudissent mutuellement pour leurs contre-vérités, et s’attaquent à ceux qui osent dire le vrai ? Ngugi wa Thiong’o n’aurait pu rêver meilleure illustration : le Diable, non seulement descendu de sa croix, mais honoré avec les insignes de la République.

Mais peut-être que le vrai drame est ailleurs : ce n’est pas que Kayikwamba ait tenu des propos révisionnistes. Ni que Nyamitwe l’ait soutenue. C’est que plus personne ne s’en étonne. La barre est si basse que dire la vérité est désormais un acte révolutionnaire. Dans cette farce politique, ce n’est pas le menteur qu’on interroge — c’est l’homme honnête qu’on réprimande.

Bienvenue au cirque diplomatique des Grands Lacs : entre mensonges institutionnels et applaudissements complices, l’Enfer n’est plus à venir — il figure déjà sur la liste des invités.

Soyons clairs : dans la catégorie des discours irresponsables et des abus de tribunes internationales, certains pays ont des champions toutes catégories.

D’un côté, la RDC, avec Thérèse Kayikwamba Wagner, ministre des Affaires étrangères de titre, mais propagandiste de métier, qui foule aux pieds la vérité historique comme un simple décor de théâtre.

De l’autre, le Burundi, avec Willy Nyamitwe, ambassadeur zélé, qui préfère réprimander un compatriote honnête plutôt que défendre la mémoire d’un génocide reconnu par la communauté internationale.

À eux deux, ils composent un numéro de vaudeville diplomatique, où la fiction supplante les faits, et où l’indignité se drape dans le langage sacré de la souveraineté.

Il ne reste plus qu’à distribuer des trophées : à Kayikwamba, le « Gaffeur d’or du révisionnisme », et à Nyamitwe, le « Prix diplomatique de la contorsion morale ».

Ce serait risible, si ce n’était aussi dangereux. Car ce qu’ils font n’est pas seulement honteux — c’est délétère. Cela alimente la haine, brouille la mémoire, et sape chaque pas vers la paix dans les Grands Lacs.

Quand la politique devient si pervertie que la négation du génocide devient une position officielle, et que la vérité devient subversive, alors ce ne sont plus des nations que l’on gouverne — c’est le chaos que l’on orchestre.

Et il est temps de le dire sans détour : ce n’est pas de l’art de gouverner. C’est de la stupidité d’État.

Si les dirigeants africains et les institutions internationales n’ont pas le courage de dénoncer la banalisation du génocide lorsqu’elle se produit sous leur propre toit, qu’ils ne s’étonnent pas que ces mensonges se transforment en violences futures.

À la RDC : cessez de manipuler le souvenir du génocide à des fins politiques. Votre peuple mérite mieux qu’un gouvernement qui transforme la vérité en fiction pour masquer ses échecs et ses crimes.

À la ministre Kayikwamba : l’histoire ne vous pardonnera pas. Vos paroles resteront comme une trahison honteuse des faits et une insulte à la mémoire des victimes d’un des crimes les plus atroces du XXe siècle.

À Fred Ngoga : merci d’avoir résisté, alors que tant d’autres se sont résignés à l’inaction.

À Willy Nyamitwe : la diplomatie sans principes n’est rien d’autre qu’une lâcheté en costume.

Et à l’ONU et à l’Union africaine : si vous ne défendez pas la vérité dans vos murs, ne soyez pas surpris que les mensonges finissent par mettre le feu à votre propre maison.

https://fr.igihe.com/Le-drame-de-l-absurde-aux-Nations-unies.html

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