Le Fbu en chute libre
La perte de valeur de la monnaie burundaise est fulgurante ces trois derniers mois. Les conséquences de ce phénomène sont entre autres la hausse généralisée des prix des produits importés.
«Un kilo du riz importé de la Tanzanie se vend à trois mille Fbu contre deux mille cinq cent Fbu, il y a deux mois», c’est le témoignage de Pascal Gahungu, commerçant à Bujumbura City Market, un marché situé dans la zone Ngagara, en mairie de Bujumbura.
Selon lui, cette augmentation s’explique par la dépréciation accélérée du Fbu. « Notre pays fait face à un manque criant de devises. Un dollar américain s’obtient à 2.940 Fbu contre 2.500 Fbu, il y a de cela trois mois.» Il évoque une dépréciation de 17,2%.
Avant la crise politique de 2015, explique-t-il, les devises étaient disponibles dans les banques commerciales. «Les importateurs n’avaient aucune difficulté pour l’approvisionnement. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui», déplore-t-il.
A part que le taux de change augmente de jour en jour, les devises ne sont pas disponibles en quantité suffisante ni sur le marché de change ni dans les banques commerciales.
Cet importateur de denrées alimentaires indique que le coût de revient d’un sac de 25 kilos de riz est passé de 60 mille Fbu à 72 mille Fbu dans l’intervalle d’un mois. Si le Fbu continue à dégringoler face au billet vert, prévient-il, les importateurs abandonneront tout simplement leur travail.
Et cela soit par manque de devises, soit par manque de clients : «La dépréciation entraîne l’effondrement du pouvoir d’achat de la population de nature faible au Burundi.» Avant de lâcher : «Qui acceptera de débourser plus de 3 mille Fbu pour se procurer un seul kilo de riz ?»
Ndayisenga Mélance, importateur de denrées alimentaires déplore également le manque criant de devises. «Certains commerçants vont s’en procurer en RDC, au Rwanda et en Ouganda.» Mais, cela entraîne directement une hausse des prix de produits importés.
Il indique qu’un sac de 25 kilos de farine de maïs importé de l’Ouganda se vend à 47 mille Fbu contre 45 mille Fbu, il y a trois semaines : « Même à ce prix, nous vendons à perte. C’est juste pour récupérer notre capital car la farine de maïs n’est pas conservable pendant une longue période.»
M. Ndayisenga fait savoir qu’un bidon de trois litres de l’huile de palme se vend à 15.500 Fbu contre 13.000Fbu, il y a de cela un mois. Celui de 5 litres à 25.000 Fbu contre 23.000 Fbu, il y a deux semaines. «Là où le bât blesse, c’est que les prix de ces denrées sont fixes dans leurs pays d’origine. Les prix augmentent ici chez nous en raison du manque de devises.»
Cette dépréciation affecte également le commerce des produits pharmaceutiques. N.P., pharmacien à l’officine «La différence», souligne que les prix des médicaments changent incessamment : «Ils sont fixés en fonction du taux de change.» Or, glisse-t-il, les prix peuvent changer deux fois par mois. Cela s’explique par l’instabilité du Fbu par rapport au dollar américain.
A titre d’exemple, l’Olkene se vend à 49 mille Fbu. Pourtant, son prix était de 35 mille Fbu, il y a seulement trois semaines. L’Avamus est un autre antibiotique dont le prix grimpe très vite. Il est à 25 mille Fbu contre 15 mille Fbu, il y a deux mois.
Les changeurs s’en lavent les mains
« Le taux de change de la monnaie se fixe selon la loi de l’offre et de la demande», fait savoir T.G., changeur au centre-ville de Bujumbura, le lundi le 2 octobre. « Le taux de change d’un dollar américain a atteint aujourd’hui un pic de 2.940 Fbu et celui de l’euro 3.34o0 Fbu. C’est du jamais vu dans l’histoire du Burundi.»
A ce même jour, le taux de change officiel est de 1.765,04 pour le billet vert et de 2.076,39 pour l’euro. Cette dépréciation est liée à une diminution considérable de la quantité de devises qui entrent au pays.
T.G. fustige la décision de la banque centrale d’exiger le transit de tous les transferts de devises en provenance de l’étranger en son sein. « La plupart de burundais vivant à l’étranger préfèrent faire passer leur argent dans des pays limitrophes. » Et ce sont ceux-ci qui en profitent.
Ce changeur déplore par ailleurs les propos du porte-parole du ministère des Finances. Il est reproché à ces changeurs d’être les seuls responsables du manque de devises. «On se demande sur quelle base.»
Sur quelle base», se demande-t-il, peut-il nous accuser d’en être les seuls responsables ? Et d’ajouter : «Les changeurs n’ont aucune responsabilité dans la dépréciation de la monnaie nationale. Nous sommes des Burundais et nous partageons le même marché de biens et de services avec les autres catégories de la population.» En cas de la flambée des prix, nous en faisons également les frais.
«Le pays n’a aucun problèmes de devises»
Désiré Musharitse : «Certains bailleurs de fonds ont gelé les aides depuis 2015.»
Les officiels du secteur économique nient toute pénurie de devises. D’après Désiré Musharitse, porte-parole du ministère des Finances, le pays n’a aucun problème de devises. Il l’a dit vendredi 29 septembre, en province de Ngozi, lors de la conférence des porte-paroles des institutions publiques.
«Les devises sont en quantité suffisante que ce soit à la banque centrale ou dans les banques commerciales.» Ceux qui évoquent le manque de devises au Burundi, explique-t-il, ne savent pas le fonctionnement du marché de change : «Ces conclusions sont basées sur le taux du change du marché noir.» Or, ce dernier ne peut pas constituer un vrai indicateur pour affirmer qu’il y a insuffisance ou pas de devises.
M. Musharitse reconnaît tout de même que la quantité des réserves de change a chuté depuis 2015 : «Certains bailleurs de fonds ont gelé les aides. Mais cela n’a pas pu empêcher le pays de continuer à se procurer tout ce dont il avait besoin pour le fonctionnement.» Et de conclure que la situation de 2014 diffère significativement de celle de 2017. Le minimum de réserves de change du pays est de trois mois d’importations.
iwacu-burundi.org