Le livre fait-il vivre?
L’écrivain peut-il vivre de son art ? En marge de la rencontre littéraire de Goma, le reporter de Burundi Eco qui y a participé s’est entretenu avec les auteurs de la région des Grands-Lacs sur cette question. Leur constat est presque unanime, il est difficile pour l’écrivain de vivre de son art.
L’écrivain peut difficilement vivre de son travail. Même ceux qui sont très connus ne vivent pas nécessairement dans l’opulence. L’industrie du livre est très complexe.
Pour gagner de l’argent, il faut un grand tirage. Même avec un tirage de 100 mille exemplaires on ne gagne vraiment pas beaucoup d’argent. Il y a beaucoup d’intervenants dans la chaine de production du livre qui prennent chacun leur pourcentage au passage. De l’édition à l’impression en passant par la distribution, la marge qui revient à l’écrivain n’est pas fameuse. Et Dieu sait qu’ils sont peu nombreux dans la sous-région à faire un grand tirage de leurs livres. Pour couronner le tout, l’industrie du livre est inexistante dans la sous-région. Il faut aller en Occident pour trouver des maisons d’édition très solides. L’autre problème est que peu de personnes lisent les livres dans la sous-région. Ceux qui en achètent sont encore moins nombreux. C’est en substance ce que M. Roland Rugero, écrivain Burundais auteur de « Baho » et « Les Oniriques », a dit en aparté, lors des ateliers d’écriture organisés dans le cadre de la rencontre littéraire des écrivains de la région des Grands-Lacs par l’Institut Français de Goma.
Certains auteurs très connus se sont éteints dans la misère. D’autres n’ont connu la reconnaissance qu’à titre posthume. « Nous faisons ce travail par passion, pas pour les récompenses matérielles », a renchéri M. Blaise Ndala, auteur de Sans capote ni kalachnikov et de J’irai danser sur la tombe de Senghor.
Il faut un deuxième métier pour survivre
La plupart des écrivains sont obligés de trouver un deuxième métier, car l’écriture n’assure pas leur vie. Lise Rita Musomandera est une écrivaine Rwandaise, auteure de « Le livre d’Elise ». Elle avoue ne pas avoir mené des recherches sur la vie des écrivains, mais elle pense qu’il y a une catégorie d’auteurs qui peuvent bien vivre de leur plume. Mais il y a une autre catégorie qui, en dehors de celui d’écrivain, exerce un autre métier pour gagner leur vie. Elle-même est dirigeante de l’association IWE qui vient en aide aux femmes et aux filles vulnérables. A côté de cette passion pour l’écriture à laquelle elle s’adonne régulièrement, elle est obligée de faire un autre travail. L’écriture, elle en raffole. Elle a d’ailleurs un autre livre en préparation qui s’intitule « Les voix d’Elise ».
Le rôle prépondérant de l’écrivain
Kennedy Muhindo Wema est un écrivain prolifique. Il est originaire de Butembo en RDC. Il est en même temps journaliste et a, à ce titre, occupé plusieurs postes de responsabilité. « Tous ceux qui exercent dans la conception des œuvres d’esprit travaillent dans des conditions difficiles. On dit que ventre affamé n’a point d’oreilles, moi j’ajoute que ventre affamé n’a pas d’yeux. Les conditions de travail des écrivains de la sous-région sont plus que déplorables », indique M. Muhindo Wema. Pourtant, à travers leurs écrits, ils contribuent d’une manière ou d’une autre à la résolution des conflits qui ne manquent pas dans cette partie du monde. Ils devraient jouer un rôle prépondérant dans la vie de la société. Peut-être même que ces conflits parfois violents n’auraient pas lieu si on donnait assez de place et de moyens aux écrivains, pense M. Muhindo Wema
Il déplore en outre le manque de culture de lecture dans la sous-région. S’il est difficile de lire, il devient difficile d’acheter le livre. C’est pour cela que les écrivains de nos pays peuvent difficilement vivre de leur art.
Le circuit du livre est très fermé. Parfois ça marche de bouche à oreille. Les grands éditeurs se trouvent en Occident. Si on veut profiter de leur notoriété, il faut pouvoir les approcher. Parfois il faut être recommandé par quelqu’un pour voir son livre accepté par les grandes maisons d’édition. C’est comme ça que des auteurs de talent ressortissants de certains pays ne peuvent pas être publiés. C’est cette amère expérience qu’a vécu le Pr Butoa Balingene. Il a déjà écrit 17 ouvrages et il n’est parvenu à en publier aucun. Il a montré les exemplaires de ses ouvrages aux participants à l’atelier d’écriture dirigé par Roland Rugero et Blaise Ndala. Il ne sait pas comment faire ni quelle piste emprunter pour publier ses œuvres. S’il ne s’était pas reconverti rapidement dans l’enseignement pour gagner sa vie, que serait-il devenu ?
Dr Maxime Kabemba Maneno, doyen honoraire et enseignant de littérature et de linguistique à l’Université Polytechnique de Byumba apprécie beaucoup la rencontre littéraire à laquelle il a participé. Il trouve que c’est une occasion de parfaire l’écriture. Il en est ressorti avec une nouvelle vision. Sauf qu’il fait une nuance de taille. C’est important de maîtriser la technique, mais si on ne parvient pas à publier et à vivre de son art, cela devient un problème, annonce cet auteur d’un beau texte intitulé Nyampinga, la princesse chez les Banyabungo paru à Sembura, le ferment littéraire.
Ecrire malgré tout
Malgré tous ces problèmes, il faut continuer à écrire. Si c’est difficile de vivre de son écriture, il est indispensable de continuer à écrire. Il y a beaucoup d’histoires à raconter dans la sous-région. L’écrivain a l’obligation d’éclairer les lecteurs par son œuvre. Il y a nécessité de prise de parole. Blaise Ndala pense qu’il doit endosser sa responsabilité et son éthique car il faut d’écrire pour faire face aux maux qui endeuillent la sous-région.
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