mai
26
2025

Le retour de Joseph Kabila et la résurgence des ombres

L’histoire a ses retours inattendus, ses résurgences mythique où l’ancien s’invite avec fracas dans le présent, souvent là où on l’attendait le moins, parfois là où les plaies ne sont pas refermées.

L’annonce, désormais confirmée par la voix autorisée de Laurence Kanyuka, porte-parole de l’Alliance Fleuve Congo AFC/M23, de la présence effective de l’ancien président Joseph Kabila à Goma, ne saurait être reléguée au rang des anecdotes politiques. Elle s’impose comme un événement majeur, aux implications à la fois symboliques et stratégiques, qui soulève de redoutables interrogations quant à la stabilité, la mémoire collective et l’avenir immédiat.

Car Goma n’est pas un lieu neutre dans l’imaginaire congolais. Elle est la cicatrice vive d’une décennie de convulsions sécuritaires, d’épisodes insurrectionnels et d’accords fragiles. Elle est aussi, dans une dimension plus intime, la ville préférée de la Première dame honoraire, Olive Lembe Kabila, un ancrage affectif que certains verraient volontiers comme une justification sentimentale, mais que d’autres soupçonnent d’être le paravent d’une manœuvre politique plus élaborée.

Or, ce retour inattendu, voire théâtral, du « Raïs », à l’épicentre d’une région secouée par la résurgence des violences armées, notamment sous la bannière du M23 reconfiguré en AFC/M23, ne peut manquer d’éveiller les consciences, d’exacerber les ressentiments, et de raviver les souvenirs les plus amers.

Car le M23, avant d’être l’acteur redouté de l’heure, fut en son temps le produit direct de dynamiques qu’inspira les manquements du pouvoir de Joseph Kabila. De cette proximité historique découle une question lancinante : le retour de Kabila est-il une réconciliation ?

Un homme, un passé, des comptes en suspens

À la tête de l’État pendant dix-huit longues années, Joseph Kabila n’a pas laissé le pays indemne. Il fut, selon les points de vue, l’homme du silence opaque, du compromis permanent, ou du pouvoir clientéliste enraciné. Sous son règne, le Congo a certes évité certains écueils, mais au prix de compromissions profondes, de fractures sociales accrues et de violations récurrentes des droits fondamentaux.

À Goma, le souvenir de ce règne ne se résume pas à l’image feutrée d’un ancien chef d’État revenu en touriste politique. Il rime, pour beaucoup, avec l’expropriation brutale, les incarcérations arbitraires, les pertes d’emploi sans recours, et la concentration des richesses dans les mains d’une oligarchie militaro-affairiste. Les blessures sont encore vives, les doléances nombreuses, les cicatrices ouvertes. On ne revient pas impunément dans une terre qu’on a blessée sans provoquer l’émoi, l’inquiétude, voire la colère sourde des humiliés.

Le pacte des ombres : vers une recomposition du champ politico-militaire ?

Mais que vient donc chercher Joseph Kabila à Goma, et avec quels desseins ? S’agit-il d’une retraite déguisée, d’une tentative de médiation dans une crise qu’il connaît de l’intérieur, ou d’une manœuvre visant à peser, en amont, sur les équilibres futurs du pouvoir ? L’hypothèse d’une collusion stratégique avec l’AFC/M23 ne saurait être écartée d’un revers de main, tant les convergences historiques et les intérêts tactiques semblent s’aligner avec une fluidité suspecte.

Car les rébellions, dans l’histoire congolaise, ne sont jamais que les épiphénomènes visibles d’alliances souterraines. Le retour de Kabila ne peut donc être lu indépendamment de la configuration actuelle des rapports de force dans la région des Grands Lacs, ni de la dynamique de la succession politique en RDC, où les ambitions se recomposent, où les réseaux anciens cherchent à reprendre pied.

Mémoire, justice et avenir : l’épreuve du peuple

Si le retour du Raïs ouvre un nouveau chapitre, il ne saurait faire oublier les précédents. Il ne peut se faire sans une forme de reddition de comptes au moins morale vis-à-vis des populations affectées par son règne. Il ne peut surtout ignorer cette donnée irréductible : les peuples ont la mémoire longue. Et celle-ci ne se laisse pas effacer par les stratagèmes politiques, ni même par les apparences de la réconciliation. La justice, qu’elle soit judiciaire ou historique, reste la condition sine qua non de la paix durable.

A défaut, les fantômes du passé continueront de hanter le présent, et les alliances du jour ne feront qu’ajouter à l’instabilité chronique du pays.

Dans cette conjoncture incertaine, le retour de Joseph Kabila n’est pas simplement un fait : il est un signe. Il incarne le retour du refoulé, le surgissement de l’inachevé, la tentation d’un passé qui résiste à se laisser oublier.

Il appartient désormais à la société civile, aux intellectuels, aux juristes, aux rescapés, mais aussi aux acteurs politiques les plus lucides, de s’interroger : quel Congo voulons-nous ? Un Congo de l’impunité recyclée ou un Congo de la mémoire assumée et du renouveau éthique ?

C’est à ce prix seulement que les plaies de Goma et au-delà, celles de tout un peuple pourront espérer cicatriser.
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