Le travail des mineurs dans les ménages ou une enfance volée
Le travail des mineurs est devenu un phénomène très récurrent dans la ville de Bujumbura. La pauvreté serait l’une des raisons à l’origine de cette situation à finalité économique mettant en péril la santé et l’éducation des enfants. Les associations luttant pour les droits de l’enfant appellent le gouvernement à instaurer des lois pour éradiquer le travail des enfants mineurs.
Réalisé par Alexandrine Ndayishimiye et Nadia Mugisha
L’Organisation internationale du travail définit le travail des mineurs comme « l’ensemble des activités qui privent les enfants de leur enfance, de leur potentiel et de leur dignité, et qui nuisent à leur scolarité, santé, développement physique et mental. » Les enfants rencontrés affirment travailler à cause de la pauvreté qui sévit dans leurs familles.
Il est 10 h dans la zone urbaine de Kamenge de la commune urbaine de Ntahangwa. Dans le quartier Mirango II, trois jeunes filles d’une dizaine d’années reviennent du robinet avec des bidons de 20 l chacun remplis d’eau sur leurs têtes. Interrogées, elles disent qu’elles viennent de Gatunguru, de la zone Rubirizi.
Sous anonymat, A.A témoigne qu’elle a 12 ans et qu’elle travaille comme « bonne » dans un ménage de cette localité. « Je viens de passer 6 mois dans ce boulot. J’ai quitté chez moi parce qu’on pouvait passer deux jours sans manger. J’ai dû venir en ville pour chercher du travail. Je l’exerce même si c’est dur. Je suis chargée de faire les courses, la cuisine, le ménage, la lessive et d’emmener les enfants à l’école. »
A.A. ajoute qu’elle est obligée de se réveiller très tôt le matin avant les autres. « Ma routine est la même tous les jours. Je me réveille à 5 h du matin pour préparer le petit-déjeuner. Après, je réveille les enfants et je les préparer pour aller à l’école. J’ai deux enfants à préparer et un bébé de 6 mois à garder. Je me suis déjà habituée. »
M.A., une jeune mineure de 15 ans vivant dans la zone urbaine de Kinama, n’est pas loin du précédant témoignage. Elle raconte en effet qu’elle a été trompée par la personne qui l’a fait descendre de chez elle :
« Avant, on m’avait dit que je venais pour aider une mère qui venait d’accoucher et que je pouvais continuer mes études. Mais, cela n’a pas été le cas. Je dois me lever à 5 h 30 min et accomplir toutes les tâches ménagères. Je ne peux pas retourner chez moi, car c’est mon père qui m’a envoyée ici. »
M.A. confie également qu’elle ne reçoit qu’un tiers de son salaire. Le reste est envoyé sur le compte Lumicash de son père. « Au fait, je me suis rendu compte que je travaille pour aider ma famille. Je n’ai aucun autre choix, je dois travailler. »
Cette situation ne concerne pas que des enfants mineurs domestiques. À l’âge de 11 ans, le prénommé Clovis, un jeune adolescent, exerce le commerce des œufs et des arachides à Bujumbura.
« Je vends les œufs dans les rues, les bistrots et dans d’autres plusieurs endroits. Mon patron a demandé à mon père de m’envoyer pour l’aider. Je ne savais pas que je venais pour faire du commerce. Parfois, les gens ne me paient pas. Et si je perds l’argent, mon patron retranche cette somme de mon salaire. Je n’ai pas le choix. Je dois travailler », confie-t-il visiblement fatigué.
Une exploitation économique
Pour David Ninganza, chargé de la protection de l’enfance à la Sojpae, Solidarité de la jeunesse pour la paix et l’enfance, le travail des mineurs dans les ménages est un problème majeur très fréquent dans notre pays. « Cinq ménages sur sept emploient des filles mineures. Il faut agir très vite pour éradiquer ce problème. »
David Ninganza indique que donner du travail à un enfant est un crime. « Il est strictement interdit de donner du travail aux enfants de moins de 16 ans à part leurs parents ou bien les enseignants. Ces enfants ont encore besoin d’affection et d’éducation familiales. C’est très important de mentionner que personne ne devrait pas engager un enfant de moins de 16 ans. »
Pour Ninganza, la pauvreté dans les familles est l’une des raisons qui poussent les parents à la décision d’envoyer leurs enfants travailler. « Ce qui est injuste est que même le salaire n’est pas perçu par l’enfant qui est au travail. On l’envoie à ses parents. »
David Ninganza explique également qu’il existe « des commissionnaires » qui vendent dans la ville de Bujumbura des enfants descendus de l’intérieur du pays.
« Prenons par exemple un enfant en provenance de l’intérieur du pays et qui est accueilli par un commissionnaire pour l’amener au milieu de travail. Ce dernier va réclamer la rémunération qui va être retranchée du salaire de l’enfant. C’est du trafic interne des enfants. C’est de l’esclavage. C’est de l’exploitation économique. », martèle-t-il.
David Ninganza appelle les parents à prendre la défense de leurs enfants en satisfaisant leurs besoins familiaux. « Il faut que les parents assument leur responsabilité devant leurs enfants pour que ces derniers ne soient pas victimes. Qu’ils leur montrent que l’école est la meilleure solution pour une vie meilleure !»
En fin de compte, Ninganza suggère une mise en place des lois réglementant le travail dans les ménages pour éviter toutes sortes d’exploitation des mineurs.
Privés de certains droits
Ferdinand Simbaruhije, porte-parole de la Fenadeb (Fédération nationale des associations engagées dans le domaine de l’enfance au Burundi) explique que le phénomène des enfants travailleurs est observé à travers tout le pays. Il s’agit donc d’une réalité regrettable au niveau national.
« Ces enfants exercent souvent la garde et la propreté des maisons, la cuisine, la lessive, la vaisselle, la garde des enfants, etc. Ils sont souvent privés de leurs droits à l’éducation et à la protection. Ce qui limite leurs opportunités d’emploi dans l’avenir et leurs potentiels économiques. », précise-t-il.
De plus, comme le dit Simbaruhije, le travail des enfants les expose à des risques physiques et psychologiques qui entraînent des problèmes de santé et affectent leur développement émotionnel et social à long terme.
Ferdinand Simbaruhije trouve lui aussi qu’une loi sur le travail informel devait être mise en place parce que ces enfants exercent leur travail dans le secteur informel. « Les enfants qui travaillent dans ces ménages auront ainsi un cadre juridique dans lequel ils pourront être justifiés. »
Simbaruhije rappelle à ceux qui font travailler les enfants mineurs que ces derniers ont le droit de commencer leur travail à l’âge de 16 ans. « Ce qui est déplorable, c’est que même les enfants de 9, 10 ou 12 ans se retrouvent dans cette situation. Une sensibilisation sur les droits de l’enfant à l’endroit des personnes qui les font travailler est nécessaire. », déplore et propose-t-il.
Victimes de toute forme de violences
Fulgence Manirahinyuza, représentant de l’ACPDH, Association communautaire pour la promotion et la protection des droits de l’Homme, fait lui aussi savoir que le travail des mineurs expose l’enfant à être victime de différentes formes de violences.
« Nous avons trois cas très récents d’enfants mineurs, deux filles et un garçon, qui en ont été victimes. Le garçon a été victime de coups et blessures. Puis le patron l’a chassé. Les deux filles ont été victimes de violences sexuelles et une parmi elles a conçu. Maintenant, elle a un bébé. »
Fulgence Manirahinyuza ajoute qu’il y a des enfants qui franchissent les frontières sans même les pièces d’identité pour aller faire le commerce en République démocratique du Congo et en Tanzanie. « Tous ces enfants sont victimes de l’exploitation dans ces pays. Une fois arrivés là et interceptés pour ne pas avoir des documents migratoires officiels, ils sont torturés et parfois incarcérés. »
Cesser l’exploitation des enfants
Le représentant de l’APCDH appelle les personnes qui font travailler ces enfants en famille à éviter l’exploitation des enfants. « Le travail domestique empêche l’enfant de jouir de ses droits, notamment les droits à l’éducation, à la protection et à la santé. »
Enfin, Fulgence Manirahinyuza appelle le gouvernement à mettre en application toutes les lois allant dans le sens de promouvoir et de protéger les droits de l’enfant ainsi que la répression des auteurs de violences commises à l’égard des enfants.