Les accords de libre-échange entre l’UE et la CEA dans l’impasse
L’Accord de Partenariat Economique (APE) entre l’Union Européenne (UE) et la Communauté Est Africaine (CEA) est loin de faire l’unanimité. Les pays non signataires s’inquiètent de la mise en application de l’accord. Ils craignent que les produits européens ne déstabilisent le marché local.
Les faits remontent à 2014 quand le Conseil européen a donné son feu vert pour signer l’APE entre l’UE et la CEA. Le sommet des chefs d’Etats de la CEA tenu à Arusha s’est soldé par un échec. Les pays membres de la communauté campent sur leurs positions et ne veulent rien lâcher. Ils se révèlent très protectionnistes. Pourtant, les pays comme le Kenya et le Rwanda ambitionnent déjà le marché Européen pour écouler leurs produits manufacturés surtout alimentaires horticoles. Ils voient dans cet accord une opportunité à ne pas rater. Par contre le Burundi, la Tanzanie et l’Ouganda ne l’entendent pas de cette oreille. Ils s’opposent à la signature de l’accord aussi longtemps que tous les problèmes ne sont pas résolus.
Quel est le contenu de ces accords ?
L’APE en passe d’être signé touche plusieurs aspects. M. Jean Pierre Bacanamwo, directeur du département des finances, du commerce et des investissements au ministère à la Présidence Chargé des Affaires de la Communauté Est Africaine nous donne quelques détails là-dessus. L’APE porte sur l’agriculture, l’élevage, le commerce, la pêche et le développement économique.
Pour le secteur halieutique, l’accord prévoit l’industrialisation de la pêche. Ceci inclut l’introduction de nouvelles techniques de pêche et la transformation des produits de la pêche avant leur exportation. « Ce qui facilitera le transfert des technologies, la promotion de l’emploi et l’entrée des devises », se réjouit M. Bacanamwo. L’accord revient aussi sur les mesures phytosanitaires qui devraient être appliquées sur les produits agricoles et halieutiques de la CEA. Néanmoins, certains produits (la viande, les légumes, les fruits, …) exportés vers l’UE ne franchissent même pas le terminal des aéroports sous prétexte que ces produits ne répondent pas aux règles d’hygiène. Ce qui constitue des barrières aux échanges, déplore M. Bacanamwo.
Le désenclavement des pays membres
Dans le cadre du développement socioéconomique de la sous-région, les pays membres de la CEA exigent des compensations sur les pertes occasionnées par la suppression des droits de douane. Ainsi l’UE a accepté de financer des projets en rapport avec les infrastructures pour faciliter les échanges des marchandises. Bacanamwo cite notamment la construction des infrastructures routières, ferroviaires et portuaires. Cela permettra aux pays enclavés qui ne touchent pas le littoral de l’océan indien d’augmenter le flux des marchandises. Les produits qui transitent par les ports de Mombassa et Dar-es-Salaam vont atteindre les centres de négoce des autres pays membres de la CEA dans un temps relativement court.
Pourquoi certains pays membres ne veulent pas signer l’accord ?
M. Bacanamwo révèle les points de discorde au niveau de la signature de l’APE. Le Rwanda et le Kenya ont signé l’accord et les autres membres ont refusé de parapher le texte. La mise en application des accords est remise en cause d’autant plus que tous les pays membres n’ont pas ratifié l’accord. Puisque le principe de géométrie variable n’est pas utilisé au niveau de la Communauté Est Africaine, les deux pays signataires de l’accord ne peuvent pas mettre en application l’accord. « Tous les pays membres devront donner le feu vert pour que les pays signataires commencent sa mise en application », constate-il.
La Tanzanie, le Burundi et l’Ouganda restent fermes sur leurs positions. La position de la Tanzanie est unilatérale. Le pays de Nyerere ne veut pas lâcher le Royaume-Uni qui est un partenaire commercial privilégié des pays partenaires de la CEA. Le BREXIT pourrait causer un déficit commercial dans les pays de la CEA. De plus, le gouvernement tanzanien estime que l’exonération des produits européens risque de déstabiliser le marché local et de freiner le développement industriel de la Communauté Est Africaine. Pour la Tanzanie, les subventions accordées aux agriculteurs Européens auront aussi un impact négatif sur les produits est africains qui entreraient sur le marché européen.
Le Burundi et la République Unie de Tanzanie protestent contre les sanctions de l’Union Européenne contre le Burundi. L’UE a suspendu unilatéralement sa coopération directe avec le gouvernement. Ce genre de sanctions constitue un mauvais signe pour un partenariat durable entre les deux parties. D’ailleurs, le Burundi trouve inopportun de signer l’accord d’autant plus que ses intérêts ne sont pas pris en compte. Il en appelle à d’autres pays de rester solidaires. Pour la République Ougandaise, tous les pays de la Communauté Est Africaine doivent avancer ensemble conformément aux principes qui guident l’intégration régionale. L’Ouganda défend le slogan de la CEA : « Un peuple, une destinée ».
A qui profite l’APE ?
Il est difficile de savoir qui va profiter de l’accord de partenariat économique entre l’UE et la CEA. Comme l’accord n’a pas été signé ce sera très difficile de commanditer une étude pour évaluer les pertes ou les gains occasionnés par sa mise en application, regrette Bacanamwo. Mais d’ores et déjà « l’Union Européenne semble être le grand gagnant. L’UE dispose de la technologie, la capacité de produire une large gamme de produits et de moyens de transport développés, par rapport aux pays de la CEA », justifie-t-il. Dans les autres pays africains, l’APE fait polémique. L’UE est accusée de promouvoir ses produits au détriment des producteurs locaux.
M. Bacanamwo suggère de renégocier l’accord pour essayer de répondre aux préoccupations des uns et des autres que ce soit au niveau de la Tanzanie, du Burundi et de l’Ouganda. Il reste optimiste que l’accord sera mis en place. « Dans un proche avenir, je présume qu’il y aura des négociations entre la CEA et l’UE pour apporter des réponses à toutes ces questions avant la signature et la ratification de l’accord », estime-il.
La problématique du poulet européen
Une guerre du poulet va-t-elle s’engager entre l’Afrique et l’Union Européenne ? s’interroge notre confrère de la Radio France Internationale. En tout cas le torchon brûle entre l’Afrique et ses partenaires européens. Les producteurs africains accusent leurs homologues européens d’inonder le continent de cuisses de poulet à bas prix au détriment des filières locales.
Actuellement, 50% des exportations de volaille européenne vont vers l’Afrique contre 27% en 2003. Et c’est en particulier la Pologne qui en tire les bénéfices, car la filière volaille polonaise est devenue l’une des plus dynamiques d’Europe. C’est de surcroît une véritable machine à exporter. De 2010 à 2016, les exportations de poulet polonais vers l’Afrique ont été multipliées par quatre », rapporte la RFI sur son site.
Depuis le début de l’interdiction de l’importation des poulets par l’Afrique du Sud en 2016, les exportateurs européens ont conquis de nouveaux marchés. Les pays qui sont dans le collimateur sont le Congo, le Ghana, le Gabon ou encore le Liberia. Dans ces pays, le poulet européen se vend bien parce qu’il est bon marché. Au Ghana par exemple, il est trois fois moins cher que le poulet local dans le commerce de détail. Du coup, le Ghana a perdu une partie de sa filière volaille et de nombreux emplois connexes.
L’Afrique a besoin encore de temps…
D’après les experts, le marché africain n’est pas encore assez mûr pour affronter la compétition des produits venant de pays tiers, qu’ils soient d’Europe voire d’Asie. L’Afrique a besoin encore de temps. Ceci alimente des doutes quant aux bénéfices réels que pourrait en tirer le continent. A ce sujet, les analystes sont catégoriques. « Dans l’histoire économique du monde moderne, aucun pays ne s’est industrialisé en ouvrant son économie à la concurrence internationale à un stade aussi précoce comme le font les pays africains », disent-ils.
Pour rappel, les Accords de Partenariat Économique (APE) constituent le volet commercial de l’Accord de Cotonou et leur mise en œuvre doit entraîner un profond changement dans les relations commerciales entre les partenaires. Ces accords commerciaux visent à développer le libre-échange entre l’Union Européenne et les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique).
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