Les écrivains de la sous-région autour du feu pour écrire « le conflit »
L’Institut Français de Goma (IF Goma) a convié les amoureux des lettres de la région des Grands-Lacs à une rencontre littéraire dénommée « Au-dessus du Volcan » autour du thème « Ecrire le conflit ». Un des reporters de Burundi Eco y a participé. Il vous fait vivre les effluves du Volcan Nyiragongo telles que les auteurs les ont vécus.
L’Afrique des Grands Lacs souffre d’un traitement médiatique international désastreux lié aux conflits et crimes de masse qui endeuillent la région depuis trois décennies. Cette optique, agissant comme un prisme déformant, obstrue notre champ de vision sur la créativité artistique et littéraire de la région. Que nous disent les écrivains des conflits qui ébranlent leur région ? C’est cette phrase soigneusement préparée par Maeline Le Lay, chercheuse à la CNR qui résume mieux l’esprit de la rencontre littéraire qui vient de se tenir à Goma du 14 au 17 juin 2018.
Est-il possible de raconter nos histoires autrement ? Les créations littéraires doivent-elles nécessairement s’incruster dans les stéréotypes fossilisés que propose ou parfois impose l’autre? Est-il possible de conter nos histoires différemment ? Ce sont ces questions et d’autres encore qui interrogent les auteurs qui ont été mises sur le tapis par l’IF Goma. Les auteurs du Nord et du Sud Kivu, ceux du Rwanda et du Burundi ont donc convergé vers cette ville pour réfléchir calmement sur la problématique du conflit qu’ils sont amenés à traiter dans leurs œuvres. L’histoire récente de notre région est faite d’événements douloureux dont la mémoire est encore vive. Quel serait l’apport de la poésie dans ces conditions ?
Les lectures croisées
Les écrivains confirmés ont procédé aux lectures croisées de leurs ouvrages. Ce sont ces lectures qui ont servi de trame aux réflexions. De Sans capote ni kalachnikov de Blaise Ndala à Baho de Roland Rugero en passant par Traîne-savane de Guillaume Jan, les participants se sont délectés de la lecture des ouvrages encrés dans la réalité des Grands-Lacs. Apres les lectures croisées, les écrivains ont apporté quelques éclaircissements concernant les circonstances entourant l’écriture de leurs ouvrages ainsi que le choix du style qu’ils ont adopté.
A titre d’exemple, Elise Rida Musomandera, auteur de « Le livre d’Elise », s’est retrouvée face à un dilemme. Après le génocide de 1994 au Rwanda, ses interlocuteurs ne parvenaient pas à écouter son histoire jusqu’au bout, tellement elle avait des horreurs à raconter. Elle devait soit se taire ou écrire sa vérité elle-même. Elle devait écrire pour parler du début jusqu’à la fin. C’est de ce dilemme qu’est né son récit. Elle s’est quand même heurtée au problème d’être à la fois témoin et victime dans les tribulations de son peuple. Sa relation avec les mots s’est avérée problématique ; d’où l’importance d’écrire pour parler jusqu’à la fin sans être interrompue.
Il est ressorti de ces échanges que c’est effectivement de la responsabilité des écrivains de ne pas se taire. Si ceux qui ont vécu des histoires ne les racontent pas pour la postérité, il y a risque de n’avoir que des fictions qui se nourrissent d’elles-mêmes, a mise en garde Mme Le Lay. Il y a nécessité pour l’écrivain de prendre la parole.
Volez la vedette à Voltaire
Ecrire sur notre terroir, raconter nous-mêmes nos exploits, est-ce vraiment compliqué ? Cette question est revenue dans les ateliers d’écriture qui suivaient les présentations des ouvrages pendant les après-midi. Doit-on attendre que des messieurs lunettés d’ailleurs viennent nous raconter ce que nos cultures ont de noble et de pure au risque de se retrouver face à des « enflures qui n’ont rien à voir avec la réalité » comme l’a asséné Blaise Ndala à l’auditoire ?
Une écriture est d’autant plus savoureuse qu’elle s’imbibe des réalités vécues, senties voire subies ; d’où la phrase « j’ai écrit pour éterniser le génocide » qu’a susurrée de sa voix monocorde M. Musomandera prend tout son sens.
Nous sommes là pour rester. Nous sommes condamnés à vivre ensemble, a indiqué M. Ndala. Il pense d’ailleurs que cette rencontre est un moment de vérité. Nous devons nous regarder les yeux dans les yeux et nous parler sans détour. Nous avons les mêmes matériaux. Profitons-en pour nous libérer des écritures qui flottent sur nos réalités, a-t-il ajouté.
Les congolais se sont surpassés
Au programme était également prévu un opéra. Le groupe RIHWA et la chorale Armée du Ciel de la Paroisse Dame du Mont Carmel ont exécuté magistralement l’œuvre de H. Purcell. Cet art des grandes villes du monde s’est incarné à travers les artistes congolais guidés par Mmes Maruska LeMoing et Lucia Zarcone. Les auteurs ont été subjugués par la beauté et la sensualité de cet art qui n’est pas très connu dans la sous-région. Ce n’est pas une danse ou un simple chant, Le spectacle s’est joué sur fond d’une belle musique. Il racontait l’histoire d’un poète qui noie sa tristesse dans la boisson. Dans son délire il fait un rêve dans lequel il se perd dans une forêt peuplée de créatures merveilleuses.
Une virée sur l’île de Tcheguera pour booster l’inspiration
Il est beau, il est majestueux. Quoi de mieux que le Nyiragongo pour faire jaillir des fleuves d’inspiration pour l’écrivain le plus asséché? Il était prévu que les participants à la rencontre fassent l’ascension de ce volcan qui surplombe la ville de Goma. Sa grandeur devait inspirer les écrivains et les aider à produire des textes qui seront publiés dans un livre. Cela n’a pas été possible. Par contre, ils se sont rendus sur l’île de Tcheguera où ls ont profité de sa quiétude pour booster leur inspiration. Quand ils sont retournés à Goma, c’était les âmes pleines d’effluves du lac Kivu ainsi que de belles paroles forgées dans ces lieux paradisiaques
Restitution autour du feu à Yole
La rencontre s’est clôturée par la lecture des textes produits dans un cadre plutôt convivial autour d’un feu au centre Yole. Les auteurs se sont livrés à cet exercice dans une ambiance bon enfant. M. Charly Makhetis de Butembo a même improvisé un poème qui louait l’initiative de l’IF Goma tout en espérant que le futur soit plus clément et que des effluves du volcan Nyiragongo naisse un nouveau souffle pour les écrivains de la sous-région.
Pourquoi l’IF Goma a-t-il organisé cette rencontre ?
Alexandre Mirlesse, conseiller à l’Ambassade de France en RDC chargé de suivre l’Est de ce pays et la région des Grands Lac a indiqué que cette rencontre a été organisée dans le but de faire rayonner la langue française que les peuples de la sous-région ont en partage. Cette langue facilite le dialogue entre les communautés. Elle doit constituer un espace libre et ouvert. A travers elle on se dépouille des préjugés, de la méfiance et on accepte d’aller à la rencontre d’autres univers artistiques et géographiques. Cette rencontre avec des auteurs de 7 nationalités différentes en a été un bel exemple. C’était une joie de découvrir la beauté, l’émotion, le sens de la vie à travers l’art, la danse et le chant. L’IF Goma a voulu servir de porte d’entrée, initier un dialogue entre francophones et en faire un livre. Voilà l’idée qui était derrière cette rencontre, a fait savoir M. Mirlesse. Ce n’est que la 1ère édition des rencontres littéraires baptisées « Au-dessus du Volcan ».
Un rendez-vous appelé à grandir
La littérature de la sous-région n’avait pas un lieu de rencontre. L’IF Goma n’a été créé qu’en 2017 et il a l’avantage de se trouver au carrefour du Rwanda, du Burundi, du Nord et du Sud Kivu. C’est un lieu indiqué pour lancer un nouveau rendez-vous littéraire qui, peut-être sera appelé à grandir et à avoir lieu tous les 2 ans. Peut-être que dans 10 ans il sera un des grands moments pour les écrivains africains et du monde entier, a conclu M. Mirlesse.
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