Les médias burundais au coeur de la crise
Depuis un an, le Burundi s'enfonce dans la crise.
Le samedi 25 avril 2015, lors du Congrès du CNDD-FDD, le Président sortant Pierre Nkurunziza est choisi par les membres du parti pour être leur candidat à l’élection présidentielle. Ce choix, fortement prôné par les proches du président, va à l’encontre des termes de la Constitution burundaise et de l’interprétation des Accords d’Arusha limitant à deux, le nombre de mandats présidentiels. Dès l’annonce de cette candidature, de violents heurts éclatent à Bujumbura, replongeant le pays dans les inquiétudes de la guerre civile. Patiemment tissés depuis le 28 août 2000, date de la signature du compromis d’Arusha, les acquis démocratiques se sont par ailleurs brutalement effrités.
Observateurs attentifs mais aussi acteurs du processus de démocratisation depuis une quinzaine d’année, les médias burundais deviennent rapidement les cibles privilégiées du pouvoir en place.
Alors que le pays connaissait un secteur médiatique indépendant relativement développé et professionnel, les quatre principales radios privées sont fermées brutalement par les forces de l’ordre. Le gouvernement accuse ces quatre radios (Radio Publique africaine, Radio Isanganiro, Radio Bonesha FM et Radio Télévision Renaissance) de complicité avec les putshistes dont elles ont diffusé les déclarations lors de la tentative de coup d’Etat du 13 mai 2015.
Suite à ces événements, se sentant menacés, près d’une centaine de journalistes burundais ont fui à l’étranger, la plupart trouvant refuge dans la capitale rwandaise, Kigali. Ceux qui sont restés à Bujumbura tentent de continuer à travailler, ne fût-ce qu’en diffusant de l’information en ligne, mais sont l’objet de violences et de pressions constantes.
Outre quelques sites Internet, dans un pays où le taux d’accès est très faible (moins de 6% de la population a accès à Internet), le journal Iwacu est le seul média indépendant encore disponible à Bujumbura, mais sa diffusion reste limitée à deux mille exemplaires, circulant dans la capitale.
L’énorme majorité de la population burundaise est donc, depuis près de six mois, privée de tout accès à une information indépendante, ne pouvant plus capter que la radio-télévision nationale (RTNB) ou des radios proches du parti au pouvoir (Réma FM, Umuco, Star FM).
C’est dans ce contexte que se sont déroulées les dernières élections, en l’absence de toute forme de pluralisme médiatique et sans participation de l’opposition politique.
Rétrospective
Le 27 avril 2015, au lendemain des premières manifestations, la Maison de la Presse, lieu fédérateur incontournable des médias et des journalistes burundais, est encerclée par la Police. A l’intérieur de l’enceinte, les studios de l’Association burundaise des radiodiffuseurs (ABR) abritent une Synergie des médias, une émission radiodiffusée et relayée en direct par les principales stations membres de l’ABR (RPA, Bonesha, Isanganiro, Renaissance et CCIB FM+). L’émission de ce lundi matin propose des commentaires et des analyses sur les manifestations ayant suivi l’annonce de la candidature du Président Nkurunziza à l’élection présidentielle de juin 2015. Les reportages illustrent également les tensions de plus en plus vives constatées dans plusieurs quartiers de la capitale. Alors que Pierre Claver Mbonimpa, Président de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH) s’apprête à rentrer dans les studios pour y être interrogé en direct, il est arrêté. La situation devient totalement confuse, des journalistes sont frappés, l’émission est arrêtée et la police force tous les journalistes à quitter les lieux...
“Cinq radios étaient en train d’émettre en synergie à partir du studio de l’association burundaise des radiodiffuseurs, quand les policiers ont débarqué, brutalisé les journalistes et fermé le studio et la Maison de la Presse”, a déclaré à RSF, Patrick Nduwimana, directeur de la radio Bonesha FM et Président de l’Association burundaise des radiodiffuseurs (ABR).
Pour Antoine Kaburahe, Directeur du journal Iwacu, «ce qui vient de se passer à la Maison de la Presse fait partie d’un plan bien mûri : fermer, mettre la presse indépendante à genoux ».
«Le droit à l’information est un droit inaliénable » rappelle de concert le président de l’OPB (Observatoire de la presse au Burundi), Innocent Muhozi. «Nos radios respectives vont continuer leur devoir d’informer la population sur le développement de la situation», poursuit-il.
A peine ces mots prononcés, les policiers investissent les locaux de la RPA, la radio la plus populaire du Burundi. Le signal est coupé. Indigné, le Directeur, Bob Rugurika, lance «Laissez-les fermer la radio mais qu’ils ne tuent personne et qu’ils ne volent pas le matériel ».
Les responsables des principaux médias et des organisations professionnelles des médias dénoncent cette tentative du gouvernement de verrouiller l’information pour éviter toute contestation.
3 mai 2015
La Maison de la Presse du Burundi étant toujours fermée, c'est au siège du Journal Iwacu que les journalistes se sont réunis pour célébrer la Journée mondiale de la liberté de la presse. Tristesse et espoir sont les deux mots clés qui résument les discours des patrons de presse et des représentants des organisations professionnelles. Certains diplomates étaient également présents pour souligner leur solidarité avec le monde des médias.
5 mai 2015
Dès l'annonce de la 3ème candidature du Président Nkurunziza, de violents heurts ont éclaté à Bujumbura, capitale du Burundi, faisant au cours des dix derniers jours 12 morts et des dizaines de blessés. Comme d’autres acteurs de la société civile, les médias burundais ont été particulièrement visés à la suite de cette décision : émissions suspendues, Maison de la Presse fermée, radios empêchées d’émettre et journalistes harcelés… Très concrètement, le gouvernement burundais verrouille l’information pour éviter la contestation. Les responsables des principaux médias et des organisations professionnelles des médias sont unanimes : depuis l’annonce de cette candidature, les libertés d’informer et de s’exprimer ont été gravement mises à mal au Burundi. A l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, ils ont tenu à rappeler que « tous les journalistes ont le droit de faire leur métier », qu’ils travaillent pour les médias publics ou privés. Ce reportage illustre le travail de la presse indépendante burundaise du 25 avril au 4 mai 2015, période qui a suivi l'annonce .
Mais le pire reste à venir.
13 mai 2015
A la faveur d’une tentative de « vrai-faux » coup d’état, le paysage médiatique indépendant du Burundi est anéanti en quelques heures. Ce jour-là, des manifestants et des hommes en uniformes se rendent au siège de la Radio Rema FM, station proche du parti présidentiel et pillent les lieux, mettant la radio hors d’état de fonctionner. Quelques heures plus tard, dans la nuit du 13 au 14 mai, la télévision Renaissance est attaquée et partiellement détruite. Dans la matinée du 14 mai, la radio RPA est incendiée par des policiers, avant que Bonesha FM et Isanganiro ne soient attaquées à la kalachnikov. Mis à part la radio télévision nationale (RTNB), les médias audiovisuels les plus populaires du pays sont réduits au silence.
Craignant de voir son outil de production également détruit et face au risque qu’encourent ses journalistes, le journal Iwacu décide de suspendre temporairement sa parution pendant quelques jours. Toutefois, le 19 mai, son directeur, Antoine Kaburahe, décide de rouvrir son média : «Nous devons continuer à travailler, malgré la peur au ventre. Nous refusons la pensée unique, car nous savons que les Burundais veulent la pluralité des opinions », déclare-t-il.
Face aux menaces et au harcèlement dont ils sont victimes, plus de 60 journalistes fuient le Burundi durant le mois de mai 2015, pour se réfugier dans les pays riverains (au Rwanda, principalement) ou à l’étranger. Depuis cette date, les Burundais sont donc privés d’accès à une information indépendante et plurielle à laquelle leurs radios les avaient habitués. C’est le règne de la rumeur qui prévaut et les citoyens, si prompts à délivrer leurs opinions dans les émissions interactives, sont désormais réduits au silence.
Interview d'Innocent Muhozi
Interview d'Alexandre Niyungeko, Président de l'Union burundaise des journalistes
Près d'un an après le début de la crise, les patrons de presse se sont réunis à Bruxelles (22 et 23 mars 2016) lors d'une Table Ronde visant à définir les conditions de la relance de l'activité médiatique.
Au terme des deux jours de travaux, des engagements communs ont été pris par les médias qui formulent également une série de recommandations à la communauté internationale.
L'ensemble des propositions est soutenue par Ramadhan Karenga, Président du Conseil National de la Communication.
Néanmoins, près d'un an après le début de la crise, les acteurs internationaux de défense de la liberté de presse comme Reporters sans frontières affichent un optimisme modéré. Cléa Kahn-Sriber, Responsable du Bureau Afrique de RSF