L’exportation du café en chute libre
Rétrécissement des champs de caféiers, prix dérisoire, manque d’intrants… Ce sont quelques explications de la diminution de la production et de la quantité du café à exporter. Eclairage
« Je suis né et grandi dans une famille de caféiculteur. Dans le passé, le café était une fierté pour les familles, mais ce n’est plus le cas », constate Mélance Hakizimana, caféiculteur de Kayanza.
Ce sexagénaire raconte que dans le passé, quand une personne recevait l’argent issu de la vente du café, il pouvait acheter des tôles pour couvrir sa maison et beaucoup d’autres biens assez luxueux. Mais actuellement, c’est impossible et cela décourage les caféiculteurs : « Le franc burundais s’est déprécié, mais le prix attribué au caféiculteur n’a pas augmenté dans les mêmes proportions. »
Un autre caféiculteur de Gitega renchéri : « Le caféiculteur est mal payé comparativement aux autres cultures et c’est décourageant. Certains arrivent même à arracher les caféiers pour y planter d’autres cultures.»
Il prévient que si on ne redonne pas la parole aux caféiculteurs, la production ne cessera pas de chuter : « Le caféiculteur est le maillon primaire de la production du café, mais il ne reçoit pas le prix qui lui convient. C’est cela le nœud du problème. »
Selon M. Hakizimana, le gouvernement doit s’impliquer à fond pour redynamiser cette culture. « En Colombie, chaque autorité doit avoir son champ de café. Pourquoi pas au Burundi, si réellement on a besoin des devises et que le café est la principale culture destinée à l’exportation », s’interroge-t-il.
Ce caféiculteur de longue date suggère à l’Etat de primer les caféiculteurs qui se démarquent comme c’était le cas dans le passé, d’amener des agronomes spécialisés et des plants de café capables de cohabiter avec d’autres cultures.
Quant à Jean Nduwayo de la province Gitega, il regrette que les intrants n’arrivent plus à temps et en quantité suffisante comme par le passé, Actuellement, la livraison est tardive
Exportations clandestines, une des conséquences du prix dérisoire
Ces derniers jours, des quantités importantes de café frauduleux ont été saisies en partance vers le Rwanda. Ainsi, le 21 mai, plus de 500 kg ont été saisis en province Ngozi et le 25 mai, plus de 26 tonnes en commune Gatara de la province Kayanza.
Les caféiculteurs interrogés indiquent qu’ils sont mieux payés au Rwanda, ce qui explique cette tentation. Selon eux, au Rwanda un kilogramme de café vert est acheté à 9.000 BIF contre 4.000 BIF au Burundi.
Ils disent qu’ils ne comprennent pas les raisons de cette disparité des prix octroyés aux caféiculteurs. « Si le prix est au double à quelques kilomètres de chez nous, nous sommes tentés. Que le gouvernement hausse le prix donné aux caféiculteurs sinon, le café burundais sera toujours vendu dans les pays voisins», confie l’un d’eux.
Jean Pierre Ntabomenyereye, président de la CNAC Murima w’isangi, déplore le comportement de certains caféiculteurs. Il demande aux instances habilitées de punir sévèrement ces malfaiteurs.
Néanmoins, il reconnaît que la cause de cette fraude est le prix dérisoire donné aux caféiculteurs, car, selon lui, le café vert est vendu à 9.000 BIF au Rwanda, autour de 6.500 BIF en Tanzanie tandis qu’au Burundi, il est encore à 4.000 BIF.
M. Ntabomenyereye estime que le gouvernement devrait augmenter le prix comme dans d’autres pays pour juguler la fraude. « En 2019, les parlementaires avaient demandé de fixer le prix de 1.500 BIF pour le café cerise, mais il est encore à 800 BIF », ajoute-t-il.
Les exportations en net déclin
Selon les données de la Banque de la République du Burundi (BRB), la quantité du café exportée ne cesse de diminuer d’année en année. De 1999 à 2021, elle s’est dégringolée de plus de 60%.
Elle était de 23.685 tonnes en 1999 et elle est passée de 20.661 tonnes en 2010 pour atteindre 9.211,9 tonnes en 2021.
Malgré cela, elle reste parmi les deux principales cultures de rente et ainsi la deuxième source de devises après le thé. Le thé représente 28,3% soit 12.064,2 millions de BIF et le café 13,2%, soit 5.632,1 millions de BIF de la valeur totale des exportations des produits locaux au troisième trimestre 2021, selon les données de l’Office burundais des recettes (OBR).
« Il faut disponibiliser des intrants à temps et en quantité suffisante pour hausser la production»
Dieudonné Ngowembona : « Le désintéressement des caféiculteurs ne dépend pas uniquement du prix qu’ils perçoivent, mais aussi de la faible productivité. »
Dieudonné Ngowembona, ancien ministre des Finances et actuellement usinier transformateur et exportateur de café, trouve que la production a considérablement diminué suite principalement au manque des intrants agricoles.
Pour lui, le désintéressement des caféiculteurs ne dépend pas uniquement du prix qu’ils reçoivent, mais aussi de la faible productivité : « Un caféier bien entretenu peut produire jusqu’à 10 kg, mais celui qui ne l’est pas ne donne qu’ 1 kg.»
Il explique qu’un caféiculteur qui produisait 1 kg à 800 BIF à cause du manque des intrants peut avoir 10 kg à 8.000 BIF grâce aux engrais et pesticides en quantité suffisante et à temps. « Vous comprenez alors qu’au lieu d’augmenter le prix du café jusque par exemple à 3.000 BIF, il faut rendre accessibles les intrants agricoles à bas prix, à temps et en quantité suffisante. »
De plus, ajoute-t-il, il faut penser à une politique de limitation des naissances, car le café comme tant d’autres cultures est menacé par la pression démographique.
Selon lui, d’autres personnes substituent le café par les cultures vivrières, à cause de la faible production les caféiculteurs ne s’adonnent plus à cette culture : « Il faut les sensibiliser pour les inciter à cultiver le café et renverser la tendance. »
M. Ngowembona salue le retour de l’Etat dans le secteur du café, car il est le seul à avoir les moyens et le pouvoir de redynamiser ce secteur.
« Une différence de 10% entre les prix des pays limitrophes conduit à la contrebande»
Pour Patrice Ndimanya, professeur à l’Université du Burundi au département d’Economie rurale et des entreprises agro-alimentaires, le café est victime d’une communication de désinformation.
Il indique que les gens comparent l’incomparable en disant que le haricot est rentable plus que le café : « 100 kg de café cerise (matière première) sont nécessaires pour avoir 14 kg de café vert (prêt à exporter). »
M. Ndimanya précise que si la différence entre le prix octroyé au Burundi et celui des pays limitrophes dépasse 10%, cela incitera les caféiculteurs à la contrebande.
Selon lui, cette disparité de prix entre les pays peut dépendre des coûts de production et la stratégie commerciale pour attirer les acheteurs.
Contacté, le directeur général de l’Office pour le développement du café du Burundi (ODECA) a promis de s’exprimer ultérieurement.
https://www.iwacu-burundi.org/lexportation-du-cafe-en-chute-libre/