Liberté de la presse : Encore un long chemin à faire
Le Burundi s’est joint aux autres pays pour célébrer la journée internationale dédiée à la liberté de la presse. Mais au-delà des festivités et des convenances liées au caractère solennel entourant cette journée, n’est-il pas important de savoir où on en est réellement avec la liberté de la presse au Burundi ? Des changements fréquents des lois régissant la presse aux conditions de travail des journalistes en passant par le récent classement de Reporters Sans Frontières, Burundi Eco fait le tour de la question.
On dit que les médias sont le quatrième pouvoir à côté des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. La presse est un outil très utile dans un Etat démocratique. Ils permettent d’informer sur ce que le gouvernant fait du mandat que le citoyen lui a confié. A ce propos, Frédéric Ngenzebuhoro, quand il préface le livre d’Athanase Ntiyanogeye intitulé Répertoire de la presse d’information au Burundi écrit : « Dans tous les pays du monde, on constate que la presse joue un rôle déterminant dans la réalisation de tout objectif politique, social, économique et culturel (….) une presse libre et développée se caractérise par son indépendance et son objectivité. Elle est alors dite libre et épanouie ». On le voit, la presse est un outil efficace de formation et d’éducation pour la population. A ce titre, la presse ne doit être que libre pour s’acquitter correctement de sa mission. Est-ce le cas au Burundi ?
Les textes ne suffisent pas pour parler d’une presse libre
La liberté de la presse est reconnue par la constitution du Burundi et elle est plus présente au niveau des textes, selon Denise Mugugu, présidente et représentante légale de la Maison de la Presse du Burundi. La loi qui régit la presse de 2015 est révolutionnaire par rapport aux autres lois qu’a connues ce domaine dans le passé. En effet, elle consacre la dépénalisation des délits de presse. Cela constitue une avancée significative selon la présidente de la Maison de la Presse du Burundi. Mais les beaux textes et le cadre réglementaire ne suffisent pas pour parler de la liberté de la presse. Elle dépend de la situation générale dans laquelle le métier est exercé. On a beau avoir de beaux textes, si d’autres conditions ne sont pas réunies, cette liberté n’est que factice. Elle ne sert à rien. Elle n’est utile à la profession que quand on a les moyens de l’exercer. Elle est propice quand d’autres partenaires que le journaliste rencontre dans l’exercice de la profession(le public, les gouvernants) comprennent l’intérêt de son travail. Par rapport aux années passées, surtout depuis la crise de 2015, on peut dire que le journaliste est mieux cette année. Mais il reste qu’il y a une permanence de l’autocensure. La situation que le pays a vécue et les conditions de travail influencent beaucoup l’exercice de la profession, indique Mme Mugugu.
On doit comprendre l’intérêt d’une presse libre et indépendante
Selon toujours cette journaliste qui exerce ce métier depuis 1986, quand on parle de liberté de la presse, il faut être prudent. A côté du cadre légal, il y a la psychologie de ceux qui exercent le métier et les partenaires qui doivent comprendre l’intérêt d’une presse libre et indépendante. Il faut que le journaliste se sente à l’aise dans l’exercice de son métier. Mme Mugugu note quand même une certaine amélioration, car actuellement aucun journaliste n’est emprisonné. Elle espère que la situation de la presse au Burundi continuera à s’améliorer avec le temps.
Les changements fréquents des lois régissant la presse, une avancée ou un recul ?
La presse est un domaine où les lois changement fréquemment. La première loi sur la presse date de l’époque coloniale. En 1968 une ordonnance signée par le ministre de la Communication de l’époque, feu Martin Ndayahoze vient organiser le métier de journaliste. Elle sera remplacée par la loi de 1976. Par la suite, elle changera successivement en 1992, 1997, 2003, 2013. La loi en vigueur date de 2015 mais, d’ores et déjà, un autre de projet de loi la modifiant a déjà été adopté par le parlement. Il n’attend que la promulgation pour entrer en vigueur. A ce propos, Mugugu déplore que les organisations professionnelles des journalistes n’aient pas été consultées pour apporter leur contribution dans l’élaboration de cette nouvelle loi. Pour autant, elle dit que ce n’est pas ces changements qui doivent inquiéter les professionnels des médias. Si cette loi vient améliorer positivement la précédente, tant mieux. Le mal serait de revenir sur les acquis de l’ancienne loi.
L’important est que le législateur garde à l’esprit que les médias ont besoin de cet espace de liberté
Pourquoi change-t-elle ? Telle devrait être la seule préoccupation des concernés, tient-elle à préciser. L’important est que le législateur garde à l’esprit que les médias ont besoin de cet espace de liberté pour fonctionner. Si la loi de 2018 pouvait être meilleure en termes de liberté de la presse que celle de 2015, on ne pourrait que s’en réjouir, ajoute Mme Mugugu.
Me Ntahe, professeur de droit des médias, ne la contredit pas. « J’imagine que quand le législateur promulgue une loi sur la presse c’est dans l’intérêt de la liberté de la presse. La loi sur la presse change tous les 3 ou 4 ans », indique-t-il. Pour lui, ce n’est pas normal. Depuis 1992, année de promulgation de la première loi, on en est à la 6ème loi. A la longue, on s’y retrouve plus facilement. Une loi est faite en principe pour durer. A titre comparatif, le code du travail en vigueur date de 1993. Ce qui est certain c’est que les concernés n’ont pas le temps de maîtriser une loi qui change trop vite.
Les conditions de travail du journaliste, la face cachée de la liberté de la presse
Un journaliste a besoin de bonnes conditions de travail pour s’acquitter correctement de sa mission. S’il n’exerce pas son métier dans des conditions acceptables, la qualité de ce qu’il produit ne peut être que moindre. La situation financière des médias locaux est connue. Elle n’est pas bonne. Mais cela ne devrait pas être une excuse pour maintenir les journalistes dans la précarité. Ces derniers doivent avoir des contrats de travail comme les autres travailleurs. Demander à un journaliste de travailler de manière professionnelle alors qu’il n’a même pas des moyens de subsistance, c’est impensable. Faire travailler un journaliste qu’on ne paie pas est dangereux pour lui et pour son médium. En fait, entre les deux il n y’a aucun lien à proprement parler. Ce journaliste est un outil qui peut être utilisé d’une manière ou d’une autre. Déontologiquement, c’est injustifiable, s’insurge Mme Mugugu
Les journalistes pas très prolixes sur cette question
Les journalistes contactés à ce sujet n’ont pas voulu s’exprimer publiquement. En revanche, loin des regards, ils ont confirmé que les conditions dans lesquelles ils travaillent sont difficiles. Certains ont des contrats de travail, d’autres n’en ont pas. Il y en a qui travaillent sous le régime de stage tandis que d’autres font carrément du bénévolat. Même ceux qui sont rémunérés déplorent les salaires qui ne permettent pas de joindre les deux bouts du mois. D’autres n’ont pas droit ni à l’assurance maladie ni à la sécurité sociale. Il est quand même important de noter que quelques médias font un effort pour mettre leurs salariés à l’aise malgré une situation financière compliquée.
Le journaliste, comme tout autre travailleur, a doit au contrat de travail
Me Ntahe rappelle à ce sujet que la loi est claire. Un journaliste doit avoir un contrat de travail comme tout autre travailleur. En ce qui concerne le stage, au regard de la loi, il ne doit en aucun cas dépasser 12 mois. Après cette période, le stagiaire est engagé ou congédié. Quant au volontariat auquel ont recours certains médias, la loi n’en parle pas, indique-t-il. Par ailleurs, le code de déontologie, dans son article 23, parle non seulement du contrat individuel, mais aussi de convention collective pour que le journaliste puisse s’épanouir. En fait, la convention collective permet d’aller au-delà (pas en deçà) de ce que la loi prévoit dans l’intérêt des travailleurs et des employeurs d’un domaine donné.
Me Ntahe met en garde : un journaliste qui n’est pas correctement payé par son employeur cherche d’autres expédients. Par exemple au lieu de faire des reportages approfondis, il ne fait en réalité que des publireportages. Il va courir derrière les per diem. En tout état de cause, il ne peut pas dire du mal de celui qui lui a donné de l’argent.
Il faut trouver un moyen de doter les médias de moyens suffisants
Il faudra trouver le moyen de doter les médias de moyens suffisants pour effectivement promouvoir la liberté de la presse. C’est vraiment une longue discussion à mener avec les différents partenaires, fait savoir la présidente de la Maison de la Presse du Burundi. Le gouvernement a promis de mettre sur pied un fonds de soutien aux médias. C’est là un bon moyen pour promouvoir la liberté de la presse. Mais les autres partenaires doivent apporter leur soutien aussi.
Le récent classement de RSF, un pas dans la bonne direction
Ce 26 avril, Reporters sans frontières (RSF) a rendu public son rapport de 2018 sur l’état de la liberté de la presse dans le monde. Au niveau global, RSF conclut à l’émergence d’une « haine du journalisme ». Il est noté dans ce classement que l’Afrique améliore légèrement son rang par rapport à celui qu’elle occupait en 2017. En outre, le Burundi est classé à la 159ème place. Il devance d’un point l’Irak (160ème) et se trouve dernière le Kazakhstan (158ème). Alors que le rapport de RSF le classe dans ce qu’il appelle « les trous noirs de l’information », Ramadhan Karenga, président du CNC, lors de la présentation du rapport annuel de 2017, indique que même si les critères de classement de ce rapport sont discutables, c’est un petit pas encourageant qui montre que le pays est sur la bonne voie.
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