Matana : des éleveurs désemparés commencent à décapitaliser
Depuis la crise de 2015, la coopérative laitière « Icakunze » ne trouve pas de marché d’écoulement. Depuis lors, plus de 50 éleveurs qui y vendent du lait ne savent plus où donner de la tête.
Colline Rutandu, devant l’entrée de l’école « Excellence » de Matana, il fait froid. Ce matin le thermomètre affiche 16 °C. Le ciel est nuageux ce lundi 6 mai.
Pour arriver au centre de collecte du lait «Icakunze », il faut virer à gauche. Icakunze est érigé à quelque dix mètres.
Ici, la porte du bâtiment flambant neuf en briques cuites est grandement ouverte. De loin, des étangs réfrigérateurs en aluminium. Il est 9 h 30. C’est l’heure de la vente du lait trait le matin. Cependant, bizarrement, il n’y a personne.
A l’intérieur, une femme est assise sur une table. Salonge Kanyange, le gestionnaire de ce centre tient un registre. Elle pointe quotidiennement les éleveurs qui viennent vendre le lait frais Depuis le matin, confie-t-elle, elle n’a reçu que 8 éleveurs qui n’ont apporté que 17 litres de lait.
D’après elle, cette quantité est de loin inférieure à celle collectée au 28 février 2015. Elle feuillette son registre pour être plus précise. « Ce jour-là, à cette heure, j’avais déjà enregistré 47 éleveurs avec plus de 170 litres de lait vendus ».
Interrogée sur les raisons de cette diminution, Mme Kanyange nous renvoie au président du conseil d’administration de cette coopérative, Jean Claude Rurindikije.
Pour lui, la crise de 2015 est la seule explication de cette chute. « La quantité du lait collecté a baissé faute de marché d’écoulement ». A la suite de cette crise, explique-t-il, notre coopérative a perdu plus 95 % de clients situés dans la ville de Bujumbura. Des points de vente en zone Musaga et Kanyosha sont fermés. En outre, plusieurs restaurants et cafétérias qu’elle fournissait en zone Kinama, Ngagara et au centre-ville de Bujumbura ne commandent plus.
Selon lui, de mai 2014 à mars 2015, la coopérative laitière «Icakunze» collectait et vendait plus de 800 litres par jour. Une cinquantaine d’éleveurs y vendaient du lait frais
Faute d’équipements de conservation et du marché d’écoulement, ce centre a enregistré une grande quantité de méventes. Elle a jeté plusieurs centaines de litres par jour. Son étang réfrigérateur de 1 000 litres conserve le précieux liquide pas plus de 72h.
Ainsi, précise Jean Claude Rurindikije, pour réduire la perte, la coopérative a annoncé aux éleveurs qu’elle ne peut plus acheter la totalité du lait comme avant. Elle collecte uniquement le lait trait le matin. « Actuellement, nous n’achetons que 50 litres seulement que nous pouvons écouler localement ».
La coopérative ne peut ni écouler ni conserver plus que cette quantité. D’une part, le marché local ne consomme pas plus de 50 litres par jour. D’autre part, l’étang réfrigérateur ne peut pas conserver moins de 200 litres. Car, explique M. Rurindikije, l’agitateur ne peut pas atteindre cette quantité.
Cet éleveur fait savoir que la coopérative a enregistré un manque à gagner énorme. Plusieurs clients se sont volatilisés. Ils doivent à ce centre plus de 13 millions. Son fournisseur du lait, l’ISABU réclame 29 millions BIF.
Et de rassurer que sous peu, cette coopérative recommencera la collecte du lait. Le président du conseil d’administration révèle que la coopérative va bientôt transformer le lait pour éviter les pertes en cas de mévente « Nous avons reçu les équipements de pasteurisation et d’ensachage du lait. Nous attendons la machine que Prodema nous a promise», soutient M.Rurindikije.
Les éleveurs victimes
Les éleveurs de cette colline ne savent plus quoi faire. Remontée, Godeberte Ndayishimiye confie que la crise a eu raison de ses revenus. En 2015, elle possédait quatre vaches. Cette veuve de quatre enfants soutient qu’après avoir payé toutes les charges, la production du lait rapportait plus 100 000 BIF de bénéfice.
Découragée, elle déplore avoir vendu deux vaches pour réduire les charges. « Sinon, j’aurais perdu plus».
Pour le moment, cette femme ne garde plus qu’une vache allaitante produisant 10 litres par jour. Si le centre de collecte lui refuse le lait trait le matin, elle le jette. S’il l’accepte, elle déverse seulement 5 litres trait le soir.
Fâchée, cette veuve souligne qu’elle déverse toute la quantité produite le soir. Désormais, le gain tiré dans la production du lait est nul. De plus, elle dépense plus de 100 mille BIF par mois pour entretenir ses vaches.
« Je pense arrêter l’élevage. Je continue de le faire simplement pour conserver une tradition familiale », précise Godeberthe Ndayikengurukiye.
Fidèle Tuhabonye, un autre éleveur, soutient qu’il a perdu suite à la crise de 2015.Il a vendu sa production de lait à un particulier. Malheureusement, celui-là ne lui a pas payé. « Il me doit plus de 700 mille BIF ». Désemparé, ce père de famille signale qu’il déverse plus de 9 litres de lait trait le soir.
« Le seul défi, le manque du marché d’écoulement »
Colline Matana, 10h 30. Dans la petite étable située au fond de l’enclos d’un certain Simon Sakubu, trois bêtes ruminent paisiblement. Une de ces vaches est allaitante. Simon Sakubu confie qu’elle produit 16 litres par jour. Une quantité qu’il apprécie positivement. Le seul défi, regrette-t-il, le manque d’un marché d’écoulement. «Seule la moitié est écoulée aux cafétérias situées à Matana ».
D’après cet éleveur, le lait trait le soir ne trouve pas de preneur. Il est jeté ou donné aux plus nécessiteux. Cette situation remonte de la crise de 2015. « La coopérative « ICAKUNZE » a annoncé qu’elle ne peut pas acheter toute la quantité produite », se désole-t-il.
Ce producteur du lait indique que cette décision lui a coûté cher. Avant la crise, il produisait 48 litres par jour. Ce qui lui rapportait 33 600 BIF. Ce revenu lui permettait d’entretenir ses vaches. La fin du mois, poursuit-il, je réalisais un gain de plus de 150 mille BIF.
M. Sakubu fait savoir qu’il n’avait pas trouvé de nouveaux clients. Ainsi, les revenus tirés de la vente du lait étaient presque nuls. « Je ne pouvais ni nourrir ni entretenir mes bêtes. Car, ils consommaient plus de 120 000 par semaine».
Simon Sakubu s’est battu pour tenir. Il s’est endetté pour nourrir ses vaches. En 2016, il a constaté que la situation est intenable : «Je travaillais à perte.» Ainsi, il a vendu deux vaches pour baisser les charges. Mais, la situation ne s’est pas améliorée. Tout au contraire. Le revenu tiré de son élevage ne couvre pas les coûts y afférents. En 2018, il a vendu la troisième vache.
Désormais, cet éleveur ne sait plus à quel saint se vouer. Une de trois vaches qui lui reste mettra bas dans deux semaines. «Cette dernière produira 24 litres par jour. Je ne vois pas où vendre cette production du lait qui vient s’ajouter ».