Mkapa, l’aveu d’échec
A l’ouverture de la 5ème session du dialogue inter-burundais boycottée par le gouvernement, le facilitateur a reconnu avoir tout fait pour convaincre Bujumbura à participer à ce round en vain. Il a demandé à l’opposition réunie à Ngurdoto de proposer une feuille de route.
Pour marquer la solennité de cette dernière session, selon le facilitateur Benjamin Mkapa, l’hymne national, ‘’Burundi bwacu’’ précédé de celui de l’EAC retentit dans la salle des conférences de l’hôtel Ngurdoto Mountain Lodge à Arusha. C’est à gorge déployée que la classe politique présente entonne ce chant cher aux Burundais, martelant chaque mot. «Ça faisait longtemps», avoue un des participants à ce round.
Passé cet instant de réveil patriotique vient le discours d’ouverture du facilitateur Mkapa. Chaque mot est pesé. Il tient à être bien compris. Il répète quelques phrases, comme pour marquer leur portée.
«C’est une session très importante, de très haut niveau par rapport aux consultations que j’ai menées sur la crise burundaise consécutive aux élections de 2015 », tient-il à préciser.
«Ce round est important parce que c’est le dernier avant que je ne présente mes recommandations, mon rapport, mes conclusions au Sommet des chefs d’Etat de la Communauté Est Africaine qui m’a mandaté».
Quand j’ai présenté les résultants de la 4ème session, a rappelé le facilitateur Mkapa, il m’a été recommandé par ces derniers de garantir une chose : avoir un consensus et des conclusions sur le dialogue inter-burundais. Et ils m’ont demandé de tenir une dernière session.
«C’est parce que je leur avais signifié que je croyais avoir conclu mon travail et que j’étais au bout de mes efforts. Mais ils m’ont rétorqué que ce n’est pas encore fini, qu’il fallait mener d’autres consultations pour une toute dernière session », va confier l’ancien chef d’Etat tanzanien.
Selon lui, sa volonté de conclure de manière expéditive ce dialogue a été dictée par la décision du gouvernement burundais de reporter après le référendum constitutionnel, toutes les activités en rapport avec le dialogue.
Après la promulgation de la nouvelle Constitution, va-t-il révéler, j’ai demandé à mon équipe de contacter le gouvernement burundais, les partis politiques, l’opposition en exil, la société civile, les jeunes, les femmes, les confessions religieuses, les médias, pour la tenue de la 5ème et dernière session avec un draft d’agenda.
«Après ces consultations, je crois avoir eu un consensus de tous les protagonistes sur la nécessité de poursuivre ce dialogue inter-burundais. C’était pour avoir une base de discussions sur les questions pendantes et de préparer une Feuille de route pour les élections de 2020 ». Il précise que c’était pour garantir des élections libres, équitables et crédibles au niveau national et international.
Impossible de céder à toutes les exigences
Sur la base des conclusions de ces consultations, fait-il savoir, les invitations ont été lancées pour la tenue de cette session du 19 au 24 octobre. «Le gouvernement a demandé que ce round soit reporté pour qu’il puisse débuter le 24 et se clôturer en date du 29 du même mois. J’ai accepté cette requête». Mais le gouvernement va encore une fois demander que cette session soit programmée au mois de novembre et que la liste des participants lui soit envoyée.
Une nouvelle révélation de la part du facilitateur : «Le gouvernement a par la suite proposé que les discussions soient axées sur la Feuille de route de Kayanza. Je ne pouvais pas céder à cette exigence et accepter les excuses qui les accompagnaient. Et c’est ainsi que j’ai décidé de faire des arrangements pour que cette session soit tenue».
Jusqu’aujourd’hui, va avouer Mkapa, je n’ai pas encore eu de notification formelle de la part du gouvernement, s’ils ont l’intention de prendre part à cette session.
Un « devoir à domicile »
A la lumière de toutes ces circonstances, va souligner cet ancien chef d’Etat, je vous propose de prendre en considération la Feuille de route de Kayanza de 2018 et celle d’Entebbe de 2018. Il relève, en outre, qu’elles ne sont pas consensuelles.
« Je vous demande de tirer profit de ces deux feuilles de route, de travailler sur base de ces documents pour aboutir à une autre feuille de route qui va inclure toutes les propositions essentielles pouvant conduire à la tenue d’élections crédible de 2020 ».
Et de tirer une conclusion : « En ce qui me concerne, je vais confectionner une feuille de route axée sur la Feuille de route de Kayanza et celle que vous allez produire dans cette session».
Par après, a confié le facilitateur, il va produire un rapport sur ce dialogue qu’il va soumettre au médiateur et au sommet des chefs d’Etats de la Communauté Est Africaine en guise d’orientation.
Analyse/ Bujumbura, le maître des horloges jusqu’à quand ?
Vers un 6e round du dialogue inter-burundais ? Sur la radio Isanganiro, jeudi 25 octobre, Prosper Ntahorwamiye, secrétaire général et porte-parole du gouvernement, a fait savoir que les recommandations issues de cette 5è session du dialogue n’engagent que les participants. Bujumbura continue de vouloir imposer son tempo envers et contre tout. Retour sur un boycott prévisible.
Après avoir imposé son propre agenda à la facilitation, Bujumbura a redouté de perdre la main. Et pour cause, sa feuille de route pour les élections de 2020 n’a pas été retenue comme document de travail à soumettre aux opposants. Or, cette fameuse « feuille de route » est tout ce qui intéresse Bujumbura. A plusieurs reprises, le parti au pouvoir a déclaré que cette feuille de route était acquise, non-négociable.
vCraignant de tomber dans un piège qu’il a lui-même tendu, celui qui prétend avoir le dialogue chevillé au corps n’avait d’autre option que l’esquive. La hantise de Bujumbura était que sa feuille de route soit considérée comme ce qu’elle doit être : une proposition du camp regroupant gouvernement, parti au pouvoir et ses partis satellites et susceptible d’être confrontée à celle remise au facilitateur, en septembre dernier, à Entebbe, par le camp opposition interne et externe. Chose inacceptable pour Bujumbura et ses séides.
Ce que redoute par-dessus tout Bujumbura est une proposition de validation des prochaines élections par une instance internationale ou à tout le moins mixte. Cela reviendrait à remettre en cause la partialité de la Ceni, qui s’en trouverait diluée, vidée de sa substance. A cet égard, la nomination à sa tête du Dr Pierre-Claver Kazihise, bien connu dans la sphère de la société civile pro-Cndd-Fdd lorsqu’il présidait l’Association pour la consolidation de la paix au Burundi (Acopa), apporte de l’eau au moulin des détracteurs de la nouvelle Ceni, les revigore.
A la recherche de l’enjeu véritable
Les équipes du bureau de la facilitation, épaulées par l’UA, l’Onu ne peuvent pas escamoter une telle proposition sous prétexte de s’attirer le courroux de Bujumbura. L’enjeu n’est pas le retour d’exil de certains ténors de l’opposition burundaise, mais la tenue d’élections crédibles, transparentes et apaisées. Pour, in fine, une acceptation par tous les partis politiques en lice du verdict des urnes.
C’est une piste d’autant plus envisageable qu’une méfiance viscérale de l’autre - constante entre politiques burundais, depuis la crise d’octobre 1993 - confine à la haine d’autrui par moments de crise.
A trop vouloir mener le jeu des pourparlers de paix, Bujumbura court le risque de perdre sa qualité de maître des horloges, soit en se voyant imposer l’agenda des opposants ayant bifurqué vers la lutte armée, soit par le coup de sifflet final du maître d’école lui dictant que la récréation est terminée.