sep
14
2021

ONATEL : une faillite à plusieurs facettes

Le président de la République et le Premier ministre tirent, tour à tour, à boulets rouges sur le personnel de l’Office nationale de Télécommunication (Onatel). Selon eux, ce dernier est à l’origine de la dégringolade de la seule compagnie nationale de télécommunication. Dépités, les représentants du personnel expliquent point par point les raisons de cette régression économique de la société.

« Imaginez combien d’argent le gouvernement a injecté dans l’Onatel, mais aucun bénéfice n’a été dégagé. Et vous voyez les syndicalistes bomber le torse. Qu’est-ce qu’ils ont fait pour nous ? Un jour, nous allons réclamer notre argent. Je vais commencer à arrêter ces syndicalistes. S’ils ne nous montrent pas où ils ont mis notre argent, nous allons les jeter en prison. On ne badine pas avec notre argent ! Le syndicat devait se concentrer sur les études afin de trouver des stratégies pour rentabiliser notre capital. Est-ce que le gouvernement a investi cet argent pour qu’il soit bousillé par eux seuls ? Moins de 5000 personnes veulent manger l’argent de tous les Burundais. NON ! Nous allons sévir. Vouloir le salaire sans travailler, ce n’est plus d’actualité. »

Ce sont les propos outrés du président Evariste Ndayishimiye, tenus le 1er septembre 2021 à Isare lors d’une séance de moralisation sur la bonne gouvernance et le patriotisme à l’intention des natifs, élus et responsables politiques, administratifs et religieux et d’autres représentants de différents services œuvrant dans la province Bujumbura.

Le numéro Un burundais ajoute une couche

Sur un ton toujours menaçant, il n’y va pas par quatre chemins : « Voulez-vous qu’on aille chercher de l’argent dans la caisse pour vous payer ? Vous n’aurez pas un centime. Quand l’enfant meurt, la nounou rentre chez elle. A quoi bon de rester ? Si l’Onatel n’est plus en mesure de les payer, qu’ils rentrent à la maison. Nous leur avions confié la mission de développer l’Onatel. Comme ils en sont incapables, qu’ils rentrent chez eux. Ces gens de l’Onatel se pavanent sur les comptoirs des bars, prétendant que ce sont des hommes. Ce ne sont pas des hommes. Ils croient que nous ne les voyions pas ? Ils se trompent. Nous les voyons. Laissons-les l’accompagner jusqu’à sa faillite. On verra où ils iront. De toutes les façons, elle est morte. Nous la ressusciterons quand ils seront partis. Est-ce qu’ils vont continuer à travailler alors qu’ils ne sont pas payés ? Ils finiront par partir et nous irons la remettre à flot. »

Le 19 août dernier, le Premier ministre Alain-Guillaume Bunyoni avait tenu presque le même discours. « Ils ont fait comme s’ils n’étaient pas responsables de la faillite en organisant un sit-in. Qui devrait les payer ? Pourquoi le gouvernement paierait alors que ce sont eux qui devraient verser des dividendes ? » Pour rappel, le personnel de l’Onatel réclame 5 mois d’arriérés de salaire et le versement de différentes cotisations.

Pointés du doigt, les employés répliquent

Résultat net et de l’affectation des dividendes (État, Personnel, SCEP et administrateurs)
L’Onatel a été créé en 1979 par décret N°100/146 du 8 novembre. C’est un établissement public à caractère industriel et commercial doté de la personnalité juridique et placé actuellement sous la tutelle du ministère de la Communication, des Technologies de l’Information et des Médias.

L’Onatel exploite les réseaux de télécommunications fixes (1979), mobile (2005), l’Internet (2003) et la transmission des données (2004). C’est le seul opérateur public œuvrant dans le secteur des télécommunications. Depuis sa création jusqu’à aujourd’hui, le capital de l’entreprise a enregistré des augmentations allant de 208.393.911 à 2.000.000.000 de BIF.

Dans un document intitulé « Contributions des organes sociaux regroupant le personnel sur la situation critique actuelle », les représentants du personnel dans ces organes sociaux (Conseil d’Entreprise, Syndicats) font savoir que depuis 1991 jusqu’en 2008, il y a eu une augmentation du chiffre d’affaires annuel jusqu’à atteindre plus de 20 milliards de BIF en 2008. « C’est à partir de 2009 jusqu’aujourd’hui que ce dernier n’a cessé de chuter passant de 18,5 milliards à 5,5 milliards en 2019. Pendant la même période, le résultat net de l’Onatel reste déficitaire de 17,2 milliards en 2019, à l’exception des exercices 2007, 2009 et 2012 où l’on enregistre des résultats positifs, respectivement 2,62 milliards de BIF, 2,88 milliards de BIF et 541 millions de BIF. »

Selon ces représentants du personnel, les dettes à court, moyen et long terme, au 31 décembre 2020, totalisent un montant d’environ 117 milliards de BIF y compris les dettes envers le personnel évaluées à 8 milliards de BIF sans compter les intérêts de retard sur les crédits bancaires octroyés au personnel. « Cette dette au personnel est constituée des retenues conventionnelles et des fonds de pension complémentaires non versés aux différentes banques et institutions de microfinance. »

Quid des effectifs et la masse salariale ?

Evolution des effectifs du personnel et de la masse salariale
Depuis 2001, indiquent les représentants du personnel, l’Onatel a enregistré une augmentation des effectifs du personnel dus aux différents recrutements de nouveaux employés en remplacement des départs à la retraite, des décès, des démissions, licenciements, mise en disponibilité… La masse salariale n’a pas augmenté depuis 2015. Le gel des recrutements institué en janvier 2016 a provoqué la réduction des effectifs passant de 619 à 462 jusqu’à la fin du mois de décembre 2020. « Le ratio Chiffre d’affaires/Masse salariale n’a pas cessé d’augmenter depuis 2010 à cause de la baisse de la productivité consécutive au gel des investissements suite à l’amorce du processus de privatisation consécutive au décret n° 100/12 du 16/01/2009. »

En ce qui concerne la direction de cette entreprise publique, on remarque que, pour une période de 41 ans, l’Onatel a connu 14 directeurs généraux parmi lesquels 4 seulement ont pu achever leur mandat. « Pour le reste des mandataires, la moyenne est de 2 ans et cela ne pouvait en aucun cas contribuer au développement de l’entreprise. »

Comment en est-on arrivé là ?

Dividendes reçues
Dès sa création, l’Onatel jouissait d’un monopole (Blue ocean) et avait une mission publique : assurer l’augmentation du taux de pénétration des TIC dans le pays. « Par Décret-loi N°01/011 du 04 septembre 1997 portant cadre organique sur les télécommunications au Burundi, le gouvernement a libéralisé le secteur des télécommunications avant la restructuration de l’Onatel pour qu’elle puisse être compétitive sur le marché. » Des opérateurs privés affluent en masse pour exploiter les réseaux de télécommunications.

L’Onatel a même participé au capital de TELECEL BURUNDI à sa création avec une participation d’un montant d’un million de dollars qui n’a jamais généré de dividendes jusqu’en 2003. « Le capital a été finalement cédé à TELECEL Burundi moyennant versement d’un montant de 460 millions de BIF sous une forte pression du personnel pour donner naissance à la téléphonie mobile (ONAMOB). »

Pour faire face à cette concurrence, plusieurs investissements ont été réalisés. « Malheureusement, certains d’entre eux n’ont pas été rentables », déplorent les représentants du personnel. Parmi ces investissements, ils citent l’actionnariat dans les banques BANCOBU et BBCI respectivement 80.000.000 en 2007 et 57.270.000 Fbu en 2004. L’actionnariat dans les sociétés des TIC locales et internationales, à savoir Burundi Backbone System (BBS), West Indian Ocean Cable Company (WIOOC) et une Organisation Régionale Africaine de Communication (RASCOM)
respectivement avec 800.000 dollars américains en 2011, 550.000 dollars américains en 2007 et 350.151 dollars américains en 2007. L’actionnariat dans la société EABS (Est African Back Haule System) « avec un montant de 60 000 dollars pour un acompte d’un projet qui n’a jamais vu le jour. » Déposit d’un montant de 600.000 dollars en 2004 auprès de la société SPI LTD via la Banque populaire. Selon ces représentant du personnel, ce paiement constituait la première partie d’un ‘’déposit ’’ de 10% des 10.000 000 de dollars américains à accorder à l’ONATEL par MAZAKHELE Financial Services Bus au titre de prêt pour le financement de l’acquisition des équipements d’un réseau mobile ONAMOB et des câbles pour la téléphonie fixe. « Le dossier est en contentieux, car le financement de ces projets n’a pas abouti et le montant a été provisionné à 100% pour équivalent de 660.324.900 francs burundais en 2005. »

Les représentants du personnel évoquent aussi la signature d’un contrat de marché gré à gré de fournitures d’internet par satellite (VSAT) avec les sociétés MBI et EMC pour des montants exorbitants de 96.000 dollars par mois pendant la période allant de Février 2009 à Mai 2013.

Amortissement du Crédit Huawei
Ils mentionnent aussi la signature d’un contrat de marché gré à gré (Février 2010) de fourniture et d’installation d’un système de gestion et de contrôle du trafic d’interconnexion entre l’ONATEL et les autres opérateurs Télécoms nationaux et internationaux (phase1) et d’un système convergent de Gestion et facturation de tous les abonnés de l’ONATEL (phase2) pour un montant de 2.795.549 d’Euro HT. « Aujourd’hui, les payements déjà effectués sur le projet s’élèvent à 1.074.491 Euros HT. Le projet n’est pas à sa parfaite exécution et les négociations d’un avenant sont en cours pour garder uniquement la partie déjà réalisée. »

Il y a aussi la rétrocession par le gouvernement d’un réseau à fibre optique Métropolitain Area Network (MAN) d’un montant de 9 millions de dollars américains. « Il n’est pas rentable suite à une concurrence déloyale d’un fournisseur unique d’accès de la bande passante (BBS) dont sa mission initiale était le transport de la bande passante jusqu’au point d’atterrissage des opérateurs à partir duquel ces derniers devraient acheminer le trafic jusqu’aux derniers consommateurs. Malheureusement la société BBS s’impose et opère comme grossiste et détaillant. »

Parmi ces investissements, il y a aussi l’aval du gouvernement pour le financement d’un projet d’extension et de modernisation du réseau ONAMOB à hauteur d’un montant de 30 millions de dollars américains en 2017 par la signature d’un contrat de marché gré à gré. « Le remboursement cause problème actuellement suite aux prévisions non réalistes. Des problèmes d’ordre technique, commercial et financier sont observés pendant cette période d’exécution. »

Les représentants du personnel évoquent d’autres difficultés comme les lourdeurs administratives qui handicapent la réactivité de l’entreprise dans la prise de décisions notamment d’investissements. L’amorce du processus de privatisation consécutive au décret n° 100/12 du 16/01/2009 portant autorisation de la vente d’une partie des titres de l’Etat dans l’ONATEL, est accompagnée du gel des investissements. D’après eux, il s’en est suivi le vieillissement des équipements de production, d’une détérioration de la qualité de services et la migration de nos abonnés vers les concurrents. Cela a entraîné la perte de la part de marché dans le segment mobile et le délaissement du téléphone fixe. « C’est dans un tel environnement que les problèmes de l’Onatel se sont accumulés jusqu’à atteindre le niveau critique actuel nécessitant un remède adapté et urgent. »
https://www.iwacu-burundi.org/onatel-une-faillite-a-plusieurs-facettes/

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