Région Bututsi et Mugamba : les éleveurs forcés de vendre leurs troupeaux à vil prix
A moins de 6 mois de l’application effective de la loi sur la stabulation permanente du bétail, les éleveurs des régions Bututsi et Mugamba commencent à se débarrasser de leur cheptel. Parmi eux, ceux des communes Matana et Mugamba, en province Bururi, se plaignent d’une pratique impossible au regard de l’exiguïté des terres.
« Nous avons commencé à vendre notre cheptel pour abandonner l’élevage. Nous n’avons pas d’autres choix. La stabulation permanente est quasiment impossible dans cette région car nous avons des lopins de terres », indique la plupart des éleveurs des régions de Bututsi et Mugamba.
Il est 9h, lundi 12 avril. Nous sommes en commune Matana, province Bururi dans la région naturelle du Bututsi. Elle est frontalière avec la commune Mugamba qui se trouve dans la région naturelle du Mugamba. Elles sont constituées notamment de hautes terres. Leur climat permet de développer une économie paysanne bicéphale fondée sur l’agriculture et l’élevage. L’économie rurale du Bututsi et Mugamba est séculairement caractérisée par cette double pratique. Cette région possède le troupeau bovin le plus nombreux du pays. La densité en bovin au niveau des collines confirme l’importance pastorale de la région.
Pour son alimentation, le bétail se nourrit de ce qu’offre le milieu naturel. L’état de la végétation détermine la qualité, puisque les cultures fourragères restent le seul fait des stations expérimentales. Certains éleveurs font brouter leur bétail sur les bords de la route, dans les marais non arables ou dans les plantations des eucalyptus. M.N, sexagénaire garde ses deux vaches au bord de la Matana-Rutana, sur la colline Gisarenda, zone Gisarenda en commune Matana. Il vient de vendre 7 vaches. En cause, la politique de la stabulation permanente.
Il explique que l’exiguïté des terres est une entrave forte à la stabulation du bétail. « Nous ne pouvons pas laisser un petit lot de terre pour le maïs, haricot et patate douce aux cultures fourragères. On préfère laisser l’élevage ». Pour lui, se débarrasser des vaches va mettre les ménages en difficultés. Outre le lait, dit-il, l’apport indispensable est le fumier.
Même son de cloche chez Emmanuel Manirakiza, habitant de la zone Matana. D’après lui, il est pratiquement impossible de mettre en œuvre l’élevage en stabulation pour plus de 5 vaches. Il évoque le problème des terres cultivables dans cette partie du pays. Les cultures fourragères dont le tripssacum plantées sur des haies antiérosives ne peuvent pas suffire. Ils servent, dit-il, de complément le soir quand les vaches ont trouvé suffisamment à manger dans la nature. Il fait savoir qu’ils attendent le mois de septembre pour vendre toutes les 12 vaches dont ils disposent.
Des éleveurs du Mugamba dans le désarroi
« Nous éprouvons déjà des difficultés pour trouver des espaces pâturables. Nous nous demandons maintenant comment nous allons trouver où enfermer tout le bétail et les nourrir », se lamente un quinquagénaire de la zone Nyagasasa, commune Mugamba. Les éleveurs ne cachent pas leurs préoccupations quant à l’application de la loi sur la stabulation permanente. Selon eux, avoir des aliments en quantité et en qualité suffisante pour nourrir ces animaux ainsi que leur logement est un casse-tête.
«La stabulation est possible pour un ménage qui dispose d’une terre relativement large. Dans mon petit lot de terre arable, où vais- je trouver un domaine pour cultiver l’herbe pour mon bétail ? Serais-je à mesure d’acheter une autre parcelle ou de la nourriture ? », s’interroge une veuve de 6 enfants. Elle fait savoir que deux de ses vaches vont être acheminées au marché très prochainement.
P.N., un administratif à la base à Mugamba, n’en revient pas. Il indique que les éleveurs vendent de plus en plus leurs vaches de peur de se voir imposer des amendes exorbitantes le cas échéant. « Les éleveurs sont dans la peur. Cette mesure de la stabulation permanente inquiète beaucoup. Notre région risque de se vider de ses vaches. Nous avons un relief très difficile. Des montagnes accidentées et des petits lots de terres cultivables ». Il demande un soutien urgent de la part du gouvernement.
Selon Jean-Marie Ndayizeye, acheteur et revendeur de vaches, le nombre de vaches sur le marché a augmenté. Il décrit une situation inhabituelle sur le marché du bétail. « Ces trois dernières semaines, il s’est observé un grand nombre de vaches sur le marché. Cela a influé sur leur prix habituel. Celui-ci a chuté entre 150.000 et 100.000 BIF ». D’après lui, d’autres éleveurs qui ne sont pas satisfaits par le prix proposé décident de rentrer avec leurs vaches pour les acheminer au marché du bétail de Rwibaga en commune Mugongomanga, province Bujumbura, ouvert les jeudis. Il s’inquiète également qu’avec cette politique, toute la région risque de se vider de son cheptel.
Pour Clément Nkeshimana, chargé du développement de l’élevage et halieutique au bureau provincial de l’Environnement, Agriculture et Elevage en province Bururi, tout est possible quand il y a une volonté. Il fait savoir que les éleveurs ont été sensibilisés au respect de la loi et la sensibilisation continue. « La stabulation permanente est un projet du gouvernement qui doit être appliqué. C’est un mode d’élevage qui améliore la santé du bétail et augmente la production pour les agri-éleveurs. Il faut développer un élevage rentable et non de prestige».
Il incite ces éleveurs à cultiver une association fourragère dont les légumineuses. Pour lui, ce mode d’élevage, permettrait de limiter les conflits entraînés par les problèmes de réduction des pâturages. Il est également possible, dit-il, d’adopter un système de paddockage qui consiste à délimiter une parcelle pour y faire brouter son bétail.
En août 2018, une loi relative à la stabulation permanente et à l’interdiction de la divagation des animaux domestiques et de la volaille a été adoptée. Un délai de trois ans jusqu’en octobre 2021 a été accordé aux éleveurs traditionnels pour adopter cette nouvelle pratique.
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