Trafic d’or, général Tango Four, M23… que dit le dernier rapport du groupe d’experts de l’ONU ?
Trafic d’or, accusations contre le général « Tango four », traque des ex-M23 ou encore des FDLR… Le dernier rapport des experts de l’ONU, rendu public le 13 août, contient de nombreux détails sur les crises que traverse la RD Congo. Il a été rédigé par les collègues de Michael Sharp et Zaida Catalán, assassinés en mars alors qu'ils enquêtaient dans la province du Kasaï-central.
Le 12 mars 2017, deux membres du groupe d’experts de l’ONU pour la RD Congo, l’américain Michael Sharp et la suédoise Zaida Catalan alors qu’ils enquêtaient sur les milices Kamuina Nsapu. Mais leurs collègues ont poursuivi leur travail d’enquête sur les crises que traverse le pays. Leur rapport a été mis en ligne dimanche 13 août et doit être présenté mardi 15 août au Conseil de sécurité de l’ONU. Voici ce qu’il faut en retenir.
Qui sont les assassins de Michael Sharp et Zaida Catalán ?
« Le 12 mars 2017, [Michael Sharp et Zaida Catalán] ont quitté [la ville de] Kananga pour une mission de terrain dans la localité de Bukonde, écrivent les experts. Le groupe croit comprendre que, vers 16 heures (heure locale), Michael Sharp et Zaida Catalán ont été exécutés par un groupe hétéroclite d’individus, dont l’identité n’avait toujours pas été établie au moment de l’établissement du présent rapport ».
« À la lumière des informations disponibles, on ne saurait exclure l’implication de différents acteurs (favorables ou non au Gouvernement), les factions Kamuina Nsapu, d’autres groupes armés et les membres des services de sécurité de l’État », assurent-ils, constatant en outre «qu’en dépit des éléments de preuve disponibles, certains autres suspects clefs n’ont pas encore été arrêtés ».
« Tango four » accusé d’être impliqué dans le trafic d’or
« Le groupe a réuni des éléments de preuve de l’implication du général de division Gabriel Amisi Kumba (alias Tango Four) commandant des FARDC de la première zone de défense du pays, dans le secteur de l’or », affirme le rapport. Selon les témoignages recueillis sur place, le général posséderait « quatre dragues », bateaux extrayant de l’or au fond de la rivière Awimi, près de la ville de Bafwasende, dans la province de la Tshopo, « par l’intermédiaire d’une entreprise locale appelée La Conquête ». Or les officiers des FARDC n’ont pas le droit d’exploiter des ressources naturelles.
Par ailleurs, arguant de l’identité de leur propriétaire, les conducteurs des engins refuseraient «de payer toute taxe à l’État », selon un témoignage recueilli par le groupe.
Collaboration entre l’armée congolaise et des dissidents des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR)
Les experts de l’ONU ont été témoins de contacts amicaux entre les Forces armées de RDC (FARDC) et des rebelles rwandais du Conseil national pour le renouveau et la démocratie (CNRD), un groupe armé issu d’une scission avec les FDLR. Les FDLR sont elles-mêmes issues des anciennes Forces armées rwandaises (FAR) qui ont fui au Zaïre après le génocide des Tutsis du Rwanda, en 1994, et demeurent un ennemi irréductible du gouvernement rwandais.
Les contacts dont ont été témoin les experts se sont produits en octobre 2016 dans la localité de Katsiru. « Trois éléments des FARDC ont déclaré au groupe qu’ils étaient ‘désormais avec le CNRD ici’ », écrivent les experts, qui n’ont toutefois « pas pu déterminer si et dans quelle mesure cette collaboration était approuvée par la hiérarchie des FARDC ».
Les FARDC semblent avoir fait de la lutte contre les FDLR la priorité, quitte à s’appuyer sur ces dissidents. « Des fonctionnaires des Nations Unies et des sources militaires ont confirmé que les FARDC progressaient en direction du fief des FDLR », notent les experts.
De mystérieux missiles SAM-16 repris aux FDLR
« En août 2016 les FARDC ont repris aux FDLR un système de missiles […] sol-air SAM-16 Gimlet ou 9K310 Igla-1 » à Mibirubiru, dans la province du Nord-Kivu, assure le groupe. « Le système présentait des caractéristiques similaires à celles des missiles fabriqués dans l’ex-URSS » et avait été « fabriqué en 1987 ». Il lui « manquait notamment la batterie, la poignée de commande et l’alimentation ».
« Le groupe avait déjà signalé que les FDLR détenaient ce type de matériel et qu’en 1998 l’armée pour la libération du Rwanda, prédécesseur de fait des FDLR, s’en était emparé auprès du Rassemblement congolais pour la démocratie-Goma au Mont Goma lors d’un affrontement. Trois sources des FARDC et d’anciens hauts dirigeants des FDLR ont chacun confirmé cette information au groupe », écrivent-ils encore.
Comment la « guerre civile » burundaise se poursuit sur le territoire congolais
Plusieurs rébellions burundaises, opposées au gouvernement de Bujumbura, se trouvent dans la province congolaise frontalière du Sud-Kivu. Le groupe d’experts de l’ONU affirme ainsi que «les FOREBU [Forces républicaines du Burundi] qui ne prônent pas d’idéologie particulière autre que celle de s’opposer au gouvernement burundais, sont devenues, au milieu de l’année 2017, le groupe armé burundais le plus important opérant en République démocratique du Congo». Il comptait « entre 300 et 500 combattants en mai 2017 », estiment les experts.
Face à cette menace, l’armée burundaise mène, selon eux, la lutte en utilisant parfois des moyens illégaux. Ils dévoilent notamment l’existence d’un réseau de trafic d’armes entre « des membres de l’armée burundaise, des intermédiaires et des groupes armés congolais. »
Ce réseau a notamment permis d’alimenter les milices d’autodéfense congolaises « Maï-Maï Mwenyemali, les Maï-Maï Bigaya, les Maï-Maï Nyerere et les Maï-Maï Karakara ». « Des sources ont expliqué au groupe d’experts que ces transferts viseraient à contrer les menaces à la sécurité que faisaient peser sur le Gouvernement burundais les groupes comme la RED Tabara et les Forebu, en soutenant des groupes armés congolais qui pourraient à terme agir pour leur compte ».
« Des témoins lui ont fait état d’un transfert de 10 fusils et de six boîtes de munitions à Katogota, d’un autre de 15 fusils d’assaut de type AK-47 et d’un sac de munitions à Luberizi, et d’un troisième de deux mitrailleuses légères, deux lance-grenades, deux pistolets, cinq fusils d’assaut de type AK-47 et plusieurs caisses de munitions à Sange », poursuit le rapport.
Par ailleurs, le rapport revient sur une incursion de l’armée burundaise en territoire congolais à Kiliba Ondes le 21 décembre 2016, vraisemblablement pour y traquer des rebelles burundais. «Le groupe sait que les FDN [l’armée burundaise] franchissent régulièrement la frontière pour mener des patrouilles conjointes avec les FARDC » affirment les experts.
« Cinq témoins ont indiqué aux experts avoir vu des soldats des FDN entrer en République démocratique du Congo près du poste frontière de Vugizo autour de 7 heures. Peu de temps après avoir entamé leur progression vers le secteur 6 à Kiliba, ils ont ouvert le feu. Selon certains témoins, les FDN comptaient peut-être s’en prendre aux combattants des FNL-Nzabampema mais le bataillon des FARDC, stationné dans les environs, a riposté aux coups de feu des FDN. »
« Au cours des affrontements, un agriculteur et un soldat des FARDC ont été blessés. Si les déclarations sur le nombre de victimes divergent, une dizaine de témoins s’accordent pour dire qu’au moins trois soldats des FDN ont été tués, puis emmenés à la morgue de l’hôpital général d’Uvira. »
L’ex-Mouvement du 23 mars lessivé
Il fut un temps ou le Mouvement du 23 mars (M23), rébellion congolaise rwandophone menée par Sultani Makenga, faisait trembler l’Est de la RD Congo. Cette rébellion avait notamment pris le contrôle de la grande ville de Goma, en novembre 2012. À lire le rapport, ce temps est révolu. « Depuis la mi-janvier 2017, quelques 200 combattants de l’ex-M23 sont revenus en République démocratique du Congo, sous la direction du « général de brigade » Sultani Makenga ». Mais « il s’agit là d’une tentative éphémère et infructueuse » jugent les experts qui disent encore n’avoir pu trouver « aucune indication d’un appui extérieur pour ces incursions ». « Mal équipés avec une dizaine de fusils seulement », ils auraient subi plusieurs défaites face aux FARDC.
Une église pentecôtiste impliquée dans le trafic de minerais
Les experts affirment qu’un site minier « non-homologué », celui de « Mpafu/Nyakoba » dans le territoire de Walikale, province du Nord-Kivu, était « exploité par l’Église de la pentecôte pour l’évangélisation du monde (EPEM) ». « Des minerais étaient stockés dans un entrepôt se trouvant sur le site de l’EPEM ». Ce minerai illégal serait ensuite blanchi au moyen d’étiquettes « provenant de sites homologués, moyennant 3 dollars par sac ». Le trafic d’étiquettes est malheureusement encore très courant, assurent les experts dans d’autres parties du rapport.
Plus de 150 kilogrammes d’or transportés par avion dans des bagages à main
« Le groupe a mené une enquête sur une Congolaise, Mme Élysée Kanini Chibalonza, explique le rapport. En octobre 2016, les agents des douanes de Dubaï ont découvert 150 kilogrammes d’or non déclarés dans ses bagages. Madame Chibalonza venant de Lubumbashi par un vol d’Ethiopian Airlines ».
Au cours de l’or actuel, ce seul chargement aurait une valeur d’approximativement 5 millions d’euros. Un chiffre extravaguant, d’autant plus si on le compare aux « 244,42 kilogrammes d’or» officiellement exportés par le pays sur toute l’année 2016.
Mais par quel miracle une seule personne a-t-elle pu transporter autant d’or dans ses seuls bagages à main lors d’un seul voyage en avion ? « Un volume d’un litre d’or pèse un peu moins de 20 kilogrammes. Suivant les normes appliquées par la plupart des compagnies aériennes, un bagage à main a un volume d’environ 15 litres. Par conséquent, un passager pourrait théoriquement voyager avec une quantité de 300 kilogrammes d’or placée dans un seul bagage à main ». « Aux dires de quatre personnes ayant des activités dans le secteur de l’or, il est courant que les contrebandiers achètent des sièges supplémentaires, vides, afin de pouvoir transporter le plus d’or possible en un seul voyage », note encore le rapport.
Selon les experts, une grande partie de l’or exporté illégalement de RD Congo transiterait notamment par l’Ouganda, « plaque tournante pour l’or produit dans d’autres pays ».
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