Un étudiant mort de faim ?
Un étudiant de l’Université du Burundi serait mort de faim. L’information a choqué. Les reporters d’Iwacu ont mené l’enquête. Ils ont découvert la vie des étudiants minés par la faim et la précarité.
11h à l’Université du Burundi, au campus de Mutanga, nous avons parcouru tout le campus à la recherche de témoins de la mort de l’étudiant Joël Nindorera. Finalement, des étudiants nous donnent un contact dans la faculté d’histoire.
C’est là enfin que nous allons trouver des témoins sur la mort de l’étudiant Joël Nindorera. Le délégué de la faculté et des camarades du défunt nous ont renvoyés vers des colocataires et des proches de sa famille.
“Il était déjà malade lors des derniers examens et il n’a pas pu se présenter pour le début du second semestre. Il avait signalé qu’il n’allait pas bien “,témoigne le délégué de la faculté d’histoire et science politique.
Nous avons contacté un des cinq colocataires de Joël Nindorera. Abel Ndikumana est étudiant à l’Université du Burundi au campus Rohero.
Il a accepté de nous accueillir là où il vivait avec Joël Nindorera et quatre autres étudiants de l’UB.
Le rendez-vous est fixé au mausolée de l’Unité nationale à Kiriri dans la zone de Rohero. Mais les étudiants habitent plus loin. Pour arriver à leur domicile, une véritable randonnée.
Le lieu se trouve derrière Kiriri, c’est un bidonville appelé « Kanyare » C’est là où vivent un bon nombre d’étudiants de l’UB. Nous avons traversé une vallée parsemée de grosses pierres, en passant par la rivière Gasenyi.
Nous avons descendu et remonté des pentes, essoufflés, nous alternons des marches et des arrêts pour récupérer. Personne ne parle mais chacun d’entre nous pense à Joël Nindorera. Seuls les piétons peuvent marcher, aucun chemin, même pour une bicyclette.
Sur les rives de la rivière Ndumbwa, nous voyons une maisonnette en terre battue. Elle compte, une chambre et un salon. C’est là où vivent les 6 étudiants du Baccalauréat I. C’est là où vivait l’étudiant Nindorera. Les étudiants, de sexe masculin, sont originaires de Cankuzo, Gitega, Ngozi et Muyinga. Ils fréquentent différents campus de l’université du Burundi.
Que s’est-il réellement passé ?
C’est ici que nous allons apprendre tout sur Joël Nindorera. L’étudiant a commencé à avoir des malaises vers la fin des examens du premier semestre. « Il avait une faiblesse et de l’inappétence. Nous insistions et il parvenait à avaler trois cuillères. C’était devenu la routine », témoigne Abel Ndikumana. Il a pu terminer ses examens le 13 avril dernier. Il a téléphoné à un cousin pour lui dire qu’il n’allait pas bien. Ce dernier lui a demandé de venir à son bureau. « J’ai rencontré Joël et il m’a dit qu’il a fait un surmenage à cause des examens et je lui ai donné un peu d’argent pour se faire soigner », raconte son cousin M.T.
Dimanche, le 18 avril, Joël est allé se faire soigner au centre de santé Izere de Kanama. « Il est revenu avec des comprimés de paracétamol. Il nous a dit après deux prises, qu’il allait mieux, mais son visage était gonflé. Je croyais que c’est parce qu’il s’endormait tout le temps », dit Abel.
L’infirmière du centre de santé Izere de Kanama nous a confié que Joël était dans un état critique. « Il avait une pâleur bien visible à l’intérieur des paupières et au niveau des ongles », explique-t-elle. Elle lui a prescrit du paracétamol, des multi vitamines et des antiamibiens. Elle lui a suggéré d’aller dans un hôpital où il pourrait bénéficier d’un traitement adéquat. Son patient lui a répondu qu’il n’avait pas de moyen pour aller à l’hôpital.
La situation a commencé à se détériorer dans la nuit de mardi 20 avril. « Il avait la fièvre et la nausée, il vomissait tout ce qu’il mettait sous la dent. Nous avons contacté son cousin et il nous a envoyé de l’argent pour les soins. Malheureusement, le centre de santé ne travaille pas la nuit. De retour à la maison vers 21 heures, nous l’avons signalé au propriétaire de la maison et il a cherché un taxi. », témoigne toujours son ami Abel.
Les colocataires l’ont porté jusqu’au mausolée de l’unité. Ils étaient accompagnés par deux voisins. Ils l’ont conduit au centre de santé dans le centre-ville, un établissement géré par des Sœurs de la congrégation Sainte Thérèse. Les infirmières ont constaté que le cas était grave et dépassait leur compétence. Elles ont orienté le groupe vers la clinique prince Louis Rwagasore, à un kilomètre de là. Joël n’a pas pu tenir. Il s’est éteint en cours de route, vers minuit passé.
Arrivés à la Clinique, l’infirmier de garde a confirmé sa mort et leur a délivré une attestation de décès. Les étudiants et leurs voisins ont annoncé la mauvaise nouvelle au cousin du défunt. Ils ont par la suite cherché une morgue à Bujumbura en vain. Ils l’ont trouvé à l’hôpital de Mpanda, dans la commune de Bubanza. Joël Nindorera a été enterré dans sa commune natale, à Cendajuru, ce mardi 27 avril.
Une maladie aggravée par des conditions de vie précaires
Comme la plupart des étudiants de l’Université du Burundi originaires de l’intérieur du pays, Joël vivait dans des conditions minables à Kanyare, un des quartiers périphériques de la ville de Bujumbura.
Il habitait une chambre qu’il partageait avec 5 autres étudiants colocataires. Joël dormait sur un matelas de 0,90 cm avec son ami.
Leur alimentation était exclusivement composée de pâtes de manioc, de haricots, de légumes quelques fois, sauf pour les derniers jours du défunt où il mangeait des bananes. Le manioc et le haricot étaient fournis par les parents des jeunes étudiants.
Depuis le début de l’année académique en novembre 2020, les étudiants n’ont pas encore perçu leur prêt-bourse. Ce qui aggrave la précarité des conditions de vie.
« La plupart d’entre nous viennent de l’intérieur du pays, la somme de 180 mille francs burundais qu’on devrait avoir on ne l’a même jamais reçu. Cette somme devait nous permettre de payer le loyer, de manger et d’assurer nos besoins. On mange une fois par jour. Il nous arrive de passer deux jours sans manger », témoigne E.N., étudiant de la faculté d’histoire rencontré au campus.
Les étudiants venant de l’intérieur du pays vivent en grande partie dans des quartiers périphériques de la capitale Bujumbura, Kanyare, Mugoboka et ailleurs. Là où le loyer est abordable. Ils vivent dans des chambrettes qu’ils partagent souvent à plusieurs, 5 à 7 étudiants pour une minable maisonnette. Le loyer tourne autour de 35 mille par mois, selon les témoignages de certains d’entre eux.
« C’est plus facile de vivre avec les autres, on partage les dépenses. C’est toujours difficile, mais c’est mieux,» précise un autre étudiant qui s’indigne sur le fonctionnement du système de prêt-bourse.
Au départ, l’argent devait être versé chaque mois, mais il a été fixé que la bourse serait octroyée après la période de 3 mois, au grand malheur des étudiants qui louent des mansardes et qui vivent au jour le jour.
« Aujourd’hui, on peut passer même 7 mois sans avoir la bourse, quand on demande pourtant, on nous dit que l’argent est là, qu’on devrait juste attendre. Tout ce qu’on demande c’est qu’on nous donne cette aide à temps, la vie est dure à Bujumbura, qu’ils pensent aux étudiants, nous sommes le Burundi de demain, n’est-ce pas ce qu’ils disent ?», raconte M.N.
La mort de l’étudiant a été un électrochoc. Une journée après le décès de Joël Nindorera, le rectorat a annoncé aux étudiants que leur prêt-bourse était disponible. Sur demande du délégué de la faculté et du soutien d’un de leurs professeurs, le paiement a commencé par ceux de la faculté dont faisait partie le jeune défunt.« Pour que cela soit facile à ceux qui voudraient se rendre aux obsèques ou soutenir la famille ».
Jeudi, une longue file d’attente se faisait remarquer à la poste du campus Mutanga. Des étudiants, sourire aux lèvres, étaient là pour percevoir enfin leur prêt-bourse du mois de… décembre 2020! Le soulagement se lisait sur leurs visages. Malgré la perte d’un camarade, ils passaient quand même pour remercier leur délégué.
« La direction de l’Université du Burundi dément les fausses informations circulant sur les réseaux sociaux sans preuve médicale sur la cause du décès de l’étudiant Joël Nindorera BAC1, FLSH », peut-on lire sur le compte twitter de l’université du Burundi. Iwacu a contacté le rectorat de l’université du Burundi pour des éclaircissements sur la mort de l’étudiant et les retards dans le paiement des prêt-bourses en vain.